mercredi 28 mars 2012

Miséricorde (Jussi Adler Olsen)

Cold case à la danoise.

Ça ressemble à un best-seller de gare surfant sur la vague du polar nordique.
C'est en partie vrai.
Vrai parce que Miséricorde, le bouquin du danois Jussi Adler Olsen raconte une histoire où l'on joue à se faire peur avec la disparition d'une jolie députée danoise, Merete Lynggaard, qui se retrouve enfermée dans une sorte de grand caisson d'isolement surcomprimé. Qui lui en veut au point de la torturer ainsi ? Un amant éconduit ? Un politicien qu'elle aurait dénoncé ? C'était en 2002. Depuis 5 ans, Merete croupit dans sa cage. Le dossier a été classé, on l'a cru disparue en mer.
S'il n'y avait que ces chapitres, on ne parlerait pas de Jussi Adler Olsen sur ce blog.
Mais il y a l'autre volet du bouquin : en 2007, l'inspecteur Carl Mørck échappe de peu à une fusillade. Ses deux collègues n'ont pas eu sa chance. Il aurait peut-être pu réagir un peu plus vite et les sauver ? Déjà que Carl Mørck n'était pas un compagnon bien agréable avant, désormais il est odieux avec ses collègues. Traumatisé par la fusillade, il déprime.

[...] Pour commencer sa femme l'avait quitté. Ensuite, elle avait refusé de divorcer, tout en continuant à vivre séparé de lui dans son abri de jardin. Finalement, elle s'était offert une brochette d'amants beaucoup plus jeunes qu'elle et avait pris la mauvaise habitude de lui téléphoner pour les lui décrire. Ensuite, son fils avait refusé de continuer à vivre avec elle et s'était réinstallé chez Carl, en plein crise adolescente. Et pour finir, il y avait eu cette fusillade à Amager, qui avait stoppé net tout ce à quoi Carl s'était raccroché.

Pour cuver sa peine, le voici donc relégué au sous-sol avec de vieux dossiers classés à ré-ouvrir, histoire de redorer le blason de la police aux yeux des politiques et d'obtenir des subventions supplémentaires. Bien sûr, le dossier sur le haut de la pile est celui de Merete Lynggaard disparue 5 ans plus tôt. Et le lecteur futé se doute bien que les deux histoires vont finir par se rejoindre.
Mais Carl est affublé d'un aide à tout faire : Hafez el Assad, un pseudo-réfugié syrien (!) qui cuisine des beignets dans le bureau de Carl le bougon. Ces deux-là forment une paire impayable. Et originale.
Assad ne se contente pas de laver par terre et de faire la cuisine, il conduit aussi la voiture comme Samy Naceri dans Taxi, il connaît les filons pour décoder les faux-papiers plus vite que la scientifique et surtout il décrypte les affaires plus vite que Carl ! Ah, j'oubliais, auprès des femmes il a aussi plus de succès que Carl le maladroit.

[...] Carl s'assit lourdement sur son siège en face de son assistant.
« Ça sent très bon, Assad, mais ici, on est à la préfecture de police, pas dans un gril libanais de Vanløse.
- Goûtez ça, chef, et félicitations monsieur le commissaire », répliqua-t-il en lui tendant un triangle de pâte feuilletée fourrée. [...] La situation n'était pas facile à gérer.
« J'ai mis tous les papiers concernant l'accident de voiture sur votre bureau, chef. Je vous parlerai un peu de ce que j'ai lu, si vous voulez. »
Carl acquiesça de nouveau. Il ne manquait plus que ce type se charge aussi de rédiger le rapport quand ils en auraient fini avec cette affaire.

L'humour féroce de Jussi Adler Olsen décoiffe et égratigne ses compatriotes au passage.
Un bouquin qu'on ne lâche plus dès qu'on a eu le malheur bonheur de l'ouvrir.
Heureusement, tout au long du livre, les affreux collègues de Carl le bougon ont déposé tout plein de dossiers mal ficelés sur son bureau du sous-sol : on espère qu'il va bientôt en rouvrir un autre !


Pour celles et ceux qui aiment les danois et les syriens.
C'est Albin Michel qui édite ces 489 pages qui datent de 2007 en VO et qui sont traduites du danois par Monique Christiansen.
D'autres avis sur Babelio.

jeudi 22 mars 2012

Marée noire (Attica Locke)

Black power.

Attica Locke, comme elle le dit elle-même dans une petite post-face bien sympathique, est née juste après les évènements sanglants de la prison d'Attica. En 1971, la révolte des détenus d'Attica résonnait comme l'un des derniers échos de l'époque des Black Panthers.
Les parents d'Attica Locke avaient grandi dans cette mouvance d'activisme black.
Et le bouquin de leur fille, Marée Noire, rend hommage à toute cette époque révolue, entre les regrets d'avoir un peu oublié la Cause(1), le témoignage socio-politique du passé et la nostalgie.
Le résultat de ce mélange (réussi) est un polar "noir" dans tous les sens du terme.
L'histoire a lieu de nos jours à Houston, Texas, et Jay, un petit avocaillon, est encore traumatisé par ses années d'activiste. Poursuivi par divers procès (à une époque où il fallait éviter les snipers du FBI qui n'hésitaient pas à rendre justice eux-mêmes), il a fini par abandonner la cause et traîne désormais dans les bas quartiers de Houston aux côtés de sa gentille épouse enceinte jusqu'aux yeux.
Malheureusement, il va se retrouver au mauvais endroit et au mauvais moment : dans les eaux noires du bayou, le voilà avec sur les bras (littéralement) une blonde qui, apparemment, vient d'échapper de justesse à un mauvais sort. 
Et les ennuis vont (re)commencer. Pendant plus de 400 pages, les emmerdes vont pleuvoir sur Jay.
[...] Les éléments de cette histoire, les dernières vingt-quatre heures de sa vie s'étalent devant lui comme les morceaux hétéroclites de son téléphone cassé, des fragments qui ne collent pas ensemble, qui n'ont aucun sens : un homme qui lui remet des liasses de billets pour qu'il se taise au sujet d'un meurtre qu'il n'a pas vu. Il peut prendre le problème par m'importe quel bout, ça reste une sale affaire.
La grève fait la une du journal.
Voilà un livre bien intéressant. Parce que c'est un bon polar. Parce que c'est bien écrit. Parce que Attica Locke y retrace toute une période trouble de l'histoire US(2). Parce que le passé de Jay va se mêler à la revendication sociale des dockers de Houston, le tout sur fond de magouille pétrolière.
Le mélange à première vue surprenant est plutôt réussi et chacun des ingrédients y est justement dosé.
(1) : les parents d'Attica Locke, comme bon nombre d'activistes de l'époque, ont finalement fait carrière comme on dit (avocat, agent immobilier, ...), à l'instar de nos soixante-huitards(2) : de ce côté-ci de l'Atlantique on s'intéressait plus à la guerre du Vietnam qu'à la cause des noirs américains.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires en noir et blanc.
C'est Gallimard qui édite ces 440 pages qui sont traduites de l'anglais par Clément Baude.
D'autres avis sur Babelio.

lundi 19 mars 2012

Nagasaki (Eric Faye)

Fait divers.

Voilà bien longtemps qu'on avait ajouté un opuscule à notre liste des minuscules.
Avec Nagasaki, Eric Faye apporte donc ses quelques pages à notre pile des petits volumes qui se lisent en une heure ou deux.
S'inspirant d'un fait divers paru dans la presse nippone, Eric Faye nous relate une étrange histoire.
C'est d'abord l'histoire de la solitude (avec un grand S) de Shimura-san.
La cinquantaine bien tassée, seul chez lui (jamais marié visiblement), il ne fréquente pas ses collègues de travail et sa famille ne le visite guère, pour ne pas dire plus du tout. Aucune passion. Rien. Le vide total.
La routine tram-boulot-dodo.
Depuis quelque temps des évènements étranges perturbent ce quotidien trop bien réglé.
Un yaourt manque à l'appel dans le frigo. Un autre plus tard. D'autres bricoles de ci, de là, tant et si bien que, pour en avoir le cœur net, Shimura-san note dans un cahier tout ce qu'il range et qu'il ne retrouve plus à sa place.
Alors qu'on s'apprêtait à embarquer pour une histoire effarante de folie fantastique à la Kafka, voilà que Shimura-san installe une web-cam pour surveiller son terrier depuis son bureau et qu'il découvre bien trop vite le lutin qui commet ces larcins.

[...] Il faut vous dire, monsieur Shimura, mais vous l'avez sans doute compris depuis un moment, que cette cette femme a vécu chez vous près d'un an à votre insu, dans cette pièce où, comme elle l'avait constaté, vous n'alliez pas. Oui, près d'un an. Elle n'avait pas élu domicile uniquement chez vous, notez bien. Elle avait deux autres adresses où dormir incognito, de temps à autre.

Voilà qui éclate comme une bombe atomique dans l'univers impeccable de Shimura-san.
Cela arrive trop vite et même déçu, on est alors prêt à repartir pour une autre histoire, celle de la rencontre de ces deux êtres, celle de la solitude et de la vie trop bien réglée de Shimura-san enfin brisées. Mais non.
C'est évoqué bien sûr, mais ces deux solitudes ne se croisent que quelques instants, l'espace d'un regard. C'est tout. Finalement chacun retombe sur ces pattes.
Parfois la distance, l'absence d'émotion immédiate, la froideur apparente de l'écriture, donnent des romans d'autant plus forts, mais ici ce n'est malheureusement pas le cas et malgré la belle écriture fluide d'Eric Faye, il faut bien avouer que l'on reste sur notre faim. Avec le sentiment d'être passé juste à côté d'une belle histoire.


Pour celles et ceux qui aiment les courts romans ou les longues nouvelles.
C'est Stock qui édite ces 108 pages qui datent de 2010.
D'autres avis sur Critiques Libres.

jeudi 8 mars 2012

Le dévouement du suspect X (Keigo Higashino)

Un voisin encombrant.

Après La maison où je suis mort autrefois, voici le premier bouquin du japonais Keigo Higashino : Le dévouement du suspect X.
Encore une bien étrange histoire, un polar nippon plein d'étrangeté.
Séparée de son ex, Yasuko vit seule avec sa fille. Jusqu'ici elle fait à peine attention à son voisin, Ishigami, un prof de maths.
Un soir l'ex débarque, ça se passe pas bien et plus ou moins accidentellement, Yasuko et sa fille tuent le vilain bonhomme. Mais elle peut compter sur son aimable voisin prof de maths qui accourt et propose de façon fort sympa de débarrasser le corps et de bâtir un alibi en béton à la jeune femme.
Une offre qu'on ne refuse pas.
Bien sûr il y aura enquête. Les flics japonais sont aussi soupçonneux que chez nous, surtout dans les bouquins de Keigo Higashino. Tout ça leur semble louche.
Et puis l'un des inspecteurs fréquente un prof de physique, ancienne connaissance du prof de maths (ça va, vous suivez ?).
Et c'est bientôt une espèce de duel intellectuel, de partie d'échecs, prof de maths contre prof de physique : alibi or not alibi, that is the question.
On raconte ça à la légère parce qu'il est difficile de retraduire l'étrange oppression qui émane de ce bouquin très japonais.

[...] Elle n'avait aucun mal à imaginer qu'Ishigami soit rongé de jalousie [...]. Les sentiments qu'il avait pour elle étaient indiscutablement la raison pour laquelle il l'avait aidé à dissimuler le crime et continuait à les protéger, elle et sa fille, de la police. [...] Grâce à Ishigami, Yasuko semblait en passe d'échapper à la police pour le meurtre de Togashi. Elle lui en était reconnaissante. Avait-il dissimulé le crime pour la contraindre à passer le reste de ses jours sous sa surveillance ?

Tout cela semble cousu de fil blanc. Une certaine naïveté imprègne le récit (tout comme l'histoire de La maison, l'autre ouvrage de Keigo Higashino). Mais bien sûr l'auteur se joue de nous et la fin nous réserve quelques surprises !
Ne voyant que ce qu'il ne fallait pas regarder, on était passé à côté de l'essentiel, comme les flics : c'était justement tout l'art du prof de maths (et de Keigo Higashino) et de son alibi qui n'avait pas l'air d'un alibi !
Des deux bouquins de Keigo Higashino, BMR a préféré La maison, MAM Le suspect : alors prenez l'un ou l'autre et passez un bon moment en l'étrange compagnie de Keigo Higashino et de ses polars à la Edgar Allan Poe(1).

(1) : dans cette histoire, un cadavre est retrouvé au bord de la rivière Edo à Tokyo, Edogawa en VO ... rappelons que Edogawa Ranpo est une phonétique japonaise pour Edgar Allan Poe et le pseudonyme de Hirai Tarô, l'Agatha Christie du polar japonais.


Et c'est donc toujours Actes Sud qui édite ces 316 pages parues en 2005 en VO et traduites du japonais par Sophie Refle.
D'autres avis sur Babelio.