dimanche 28 avril 2019

1793 (Niklas Natt och Dag)

[...] Quelque part, un monstre se promène en liberté.


Étrange nom pour cet auteur suédois : Niklas Natt och Dag, Nuit et Jour en VF.
Et ce n’est pas un pseudo : le ci-devant Niklas est le rejeton d’une grande famille de la haute noblesse suédoise et son patronyme vient des couleurs de leurs armoiries !
Et tout aussi étrange ce 1793, son premier bouquin.
La Suède connait une paix fragile avec son voisin russe mais les dérapages de la Terreur française font trembler les monarchies de l’Europe.
La Suède sera bientôt la première à reconnaître officiellement la toute nouvelle République française, Bernadotte et Napoléon n’en sont encore qu’à leurs premières armes.
[...] La mauvaise conjoncture, la mauvaise administration du pays et le besoin pressant d’un changement.
[...] Le roi faisait des cauchemars en imaginant que les idées de la Révolution française puissent se répandre dans notre grand Nord
Gustav III vient d’être assassiné par ses pairs et les complots vont bon train. Un trop jeune régent laisse le champ libre aux entreprenants de tous poils.
[...] Avec un prince héritier tout juste âgé de treize ans, immature, la lutte pour le pouvoir a éclaté avant même que le roi n’abandonne sa longue agonie. 
Habituellement on n'est pas fan du tout des 'polars historiques' mais, là, on s'est laissé alpaguer par un nom d’auteur et un titre de roman bien mystérieux et par le parfum exotique des pays nordiques ...
La première partie nous plonge (c’est le cas de le dire) dans une époque sombre, puante et glauque, digne des tableaux de Jheronimus Bosch et qui rappelle Le Parfum de P. Süskind.
[...] Une pluie matinale a transformé les rues en bourbier. Des mendiants, des miséreux et des squelettes filent au coin des rues, courbés pour échapper à la moisson prochaine de la Faucheuse. Des marins et des soldats en uniformes sales viennent grossir leurs hordes.
[...] Ce n’est que tout là-haut que les étoiles brillent. Voilà le monde : tant de ténèbres, si peu de lumière.
C’est plutôt hard et on est bien loin d’un policier historique gnangnan que l’on pouvait redouter !
Deux personnages (un soldat démobilisé qui a laissé un bras sur le front russe et un lettré qui crache son sang de tuberculeux) mènent une enquête après la découverte d’un cadavre auquel il manque ... les deux bras, les deux jambes, les deux yeux et la langue et les dents !
[...] La sueur a une odeur particulière à l’approche de la mort, le saviez-vous ? Mêlez-y de la fumée de poudre à canon, et vous aurez le parfum même de l’enfer.
Le bouquin se poursuit par des flash-back qui vont nous amener à découvrir qui se cachait derrière cet étrange cadavre d’homme-tronc ...
Malheureusement le roman est un peu long et l’on finit par être écœuré par une langue trop riche et ces descriptions glauques et sordides d’un Moyen-Âge sombre et boueux qui se serait éternisé jusque vers 1800 : c’est ce qu’on appelle aimablement une lecture exigeante mais pour tout dire, l’exercice de style aurait gagné à être un peu plus maîtrisé pour n’être pas réductible à une prouesse d’auteur.

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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lundi 15 avril 2019

Nuits Appalaches (Chris Offut)

[...] Il voulait un fils normal.

Le peu prolifique Chris Offutt nous parle de son Kentucky natal, celui qui s’adosse aux contreforts des Appalaches (l’un de ses précédents romans, un recueil de nouvelles que l'on n'a pas lu, s’intitule : Sortis du bois !).
Si l’on aime les étiquettes, c’est du nature-writing , du rural noir, très noir.
[...] Il était heureux d’avoir grandi sur une crête où les gens voyaient la lumière du jour. Les familles qui vivaient dans les vallons encaissés n’avaient du soleil direct que trois ou quatre heures par jour. Là-bas, les gens étaient pâles. 
Nuits Appalaches nous emmène donc au cœur des collines et des forêts, au cœur des années 60, quelques temps après la guerre de Corée.
Une guerre dont quelques uns sont revenus, comme Tucker, endurcis trop tôt et vieillis trop vite.
[...] Le tiraillement familier du sac à dos sur ses épaules. Par habitude, il fit basculer son poids d’un côté pour compenser celui du fusil qu’il n’avait pas. L’absence d’arme le troublait confusément, tel un amputé qui a perdu un membre. 
Revenu de l’enfer coréen, Tucker aimerait bien vivre simplement en famille dans ses collines.
Mais la vie ne l’entend pas comme ça : ni le bootlegger qui l’emploie (il faut ravitailler les grandes villes du nord), ni les affaires sanitaires sociales qui entendent s’occuper de sa famille.
[...] Il voulait une famille, et il voulait un fils normal.
[...] Les Tucker étaient des gens bien qui n’avaient pas eu de chance, comme beaucoup de familles des collines. On aidait comme on pouvait. 
Un bouquin pas bien gai même si Tucker et son épouse font preuve d’une étonnante force de caractère, un bouquin bienveillant envers les pauvres gens.
Et c’est particulièrement bien écrit.

Pour celles et ceux qui aiment la campagne.
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mardi 2 avril 2019

November road (Lou Berney)

[...] Le crime du siècle, ni plus ni moins.

Après Octobre, il était assez logique que l'on s'attaque à November road.
Mais cessons-là ces plaisanteries calendaires car les deux bouquins n'ont rien d'autre en commun (si tout de même : ce sont tous deux des 'premiers romans').
Donc petit coup de cœur pour ce roman noir : November road de Lou Berney.
Texas novembre 1963, Kennedy vient de se faire assassiner.
Un malfrat de La Nouvelle Orléans, Franck Guidry venait de ‘livrer’ une voiture à Dallas, juste au coin de Dealey Plazza.
Il comprend vite qu’il a tout intérêt à fuir rapidement s’il ne veut pas finir comme Lee Harvey Oswald.
Franck s’est visiblement [...] fourré dans un tel pétrin. Le crime du siècle, ni plus ni moins.
[...] Mardi matin. 9 heures. Guidry avait survécu une nuit de plus. C’était comme cela qu’il mesurait la marche du progrès, désormais.
Sur sa route, il croisera celle de Charlotte, ses deux filles et leur chien.
Novembre n’est pas le mois d’automne préféré de Charlotte : elle vient de quitter son mari et la petite vie étriquée qui était la sienne, [...] aussi saine et ennuyeuse qu’un champ de maïs.
[...] Charlotte aspirait à vivre dans un endroit où le passé et le futur n’étaient pas aussi difficiles à distinguer. 
La culture US déborde de road movies et de road novels, au point que toutes ces road stories font désormais partie du paysage littéraire tout comme les routes elles-mêmes font partie du paysage tout court. Alors une fois de plus ?
Oui une fois de plus, parce que Lou Berney n’a pas les yeux rivés sur le compteur de la bagnole mais plutôt sur ses deux personnages : Franck, une sorte de gentleman-baratineur et Charlotte, une jeune femme qui découvre les implications du mot liberté (nous ne sommes qu’en 1963 et c’est encore tout nouveau pour les dames du middle-west, rappelez-vous le film récent de Paul Dano).
Franck le fuyard trouve en elle une couverture idéale et se fait adopter par cette nouvelle famille, Charlotte la fugueuse trouve en lui l’aide et l’assurance qui lui manquaient après les premiers kilomètres ... et les premières déconvenues.
Et oui une fois de plus, parce que avec Lou Berney on danse sans trop savoir sur quel pied.
On passe du roman noir le plus noir (l’histoire du jeune black sur la route ou celle des jeunes nièces de Ed) à la romance amoureuse la plus rose, et tout cela car selon l’auteur :
[...] À chaque décision que nous prenons, nous créons un nouvel avenir. Et, ce faisant, nous détruisons tous ceux que nous aurions pu avoir à la place. 
Ah que voilà une belle morale à cette belle histoire fort bien racontée.
Au passage, on a aussi noté un joli clin d’œil au récent film (et excellentissime, rappelons-le) Green Book :
[...] — Va nous falloir un Livre vert.
— Un quoi ?
 — Un Livre vert. Ça dit où les gens de couleur peuvent s’arrêter sur la route. Pour déranger personne. Les gens de couleur partent en vacances, eux aussi, vous savez. Ça alors. Vous le saviez pas ?


Pour celles et ceux qui aiment la route 66.
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