jeudi 23 septembre 2021

Moins 18° (Stefan Ahnhem)

[...] Un simple congélateur, réglé à une température de – 18 °C.

La vague des polars nordiques n'en finit pas de submerger nos rayons.
Mais le bouquin du suédois Stefan Ahnehm avait deux ou trois atouts pour sortir la tête de l'eau : un titre accrocheur bien sûr, et puis cette bonne idée de construire son intrigue au-dessus du chenal de l'Øresund qui sépare Danemark et Suède, une frontière maritime qui nous est devenue presque familière depuis la fameuse série Bron.
Ça commence très fort d'ailleurs avec la folle poursuite d'une BMW qui finit dans l'eau du port de Malmö.
On repêchera le cadavre (congelé) du chauffard, un homme d'affaires bien connu.
[...] – J’ai examiné le corps et il s’avère que Peter Brise n’est pas mort aujourd’hui, mais il y a environ deux mois. 
– Hein ? Comment ça, il y a deux mois ? Il n’était pas au volant de la voiture ? 
– Si, bien sûr que si, mais il était déjà tout congelé quand le véhicule a plongé dans l’eau.
En dépit de ces bons auspices, le reste du bouquin va s'avérer un peu décevant avec une intrigue des plus classiques.
Le récit nous balade au Danemark et en Suède avec deux intrigues dont on se doute bien qu'elles finiront par se rejoindre quelque part au milieu du Skagerrak dans un final très mouvementé.
Les histoires "personnelles" des principaux enquêteurs (la famille éclatée de l'un, la hiérarchie policière de l'autre, ...) sont supposées donner de l'épaisseur aux personnages mais sont un peu too much et plombent un peu la lecture.
Bref, un polar nordique de plus, à lire rapidement puis oublier tout aussi vite.

Pour celles et ceux qui aiment les congélateurs.
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lundi 20 septembre 2021

Inconditionnelles (Marlène Charine)

[...] Aucune famille ne s’en sortait indemne.

Il ne faut malheureusement que quelques pages au lecteur pour comprendre qu'il n'aurait jamais dû ouvrir Inconditionnelles, le bouquin de Marlène Charine.
 Première surprise, voici un polar qui commence par la fin, lorsque les flics découvrent trois fillettes disparues, enfermées dans la cave d'un affreux jojo qui a le bon sens de se jeter sur les flingues de la brigade venue délivrer les petites filles.
[...] Une fois tout le monde installé, Valles entama son rapport en commençant par la fin : la découverte de leurs trois filles, retenues prisonnières au sous-sol d’une maison délabrée en bordure du hameau.
Ce qui aurait pu n'être qu'un angle original pour une enquête qui sortirait un peu de l'ordinaire du rayon polar, s'avère bientôt une mécanique infernale et diabolique.
Car lorsque les parents éplorés retrouvent leurs petites chéries disparues depuis quelques jours, c'est là, quand tout est fini, que le véritable enfer commence enfin et pour de vrai, juste après avoir refermé la dernière page d'un polar ordinaire.
Les parents sont dévastés par ce qu'ils ont traversé, les mères épouvantées par ce qui leur reste à surmonter, les couples prennent l'eau en plein naufrage, et les fillettes ... 
Les fillettes, qui sont-elles, que sont-elles vraiment devenues après avoir vécu l'indicible ?
[...] Même s’ils étaient retrouvés sains et saufs, aucun gamin, aucune famille, ne s’en sortait indemne.
[...] — On va y arriver, toutes les deux, murmura-t-elle à un moment. Bon sang, qu’est-ce qu’elle détestait prononcer cette phrase.
C'est donc à cette phase d'après, à cette face cachée des polars, que Marlène Charine nous a invité pour suivre sa fliquette Sylke Valles, spécialiste lyonnaise de ce genre d'affaires, c'est dire si elle en a déjà pris plein la tête au fil de sa carrière.
L'écriture est très soignée, précise, un cran au-dessus de ce que l'on trouve habituellement en rayon polar, et chose rare, Marlène Charine réussit l'exercice difficile consistant à éviter tout voyeurisme complaisant et inutile là où d'autres nous auraient écœurés de descriptions sordides et terrifiantes. Souvent le non-dit est bien pire et l'auteure s'intéresse plutôt à ce que les mères (et la fliquette) doivent surmonter désormais car tout cela est écrit au féminin, les pères restent en retrait, certains ont même fait leur valise pour fuir cet enfer ...
[...] Un tintement la fit se retourner. Bruno se tenait dans l’entrée, son trousseau de clés dans la main gauche. Un sac de voyage dans la droite. 
— Je pars quelques jours, annonça-t-il sans la regarder dans les yeux.
Le lecteur éprouvé croit bientôt avoir saisi le mouvement mais c'est sans compter sur quelques surprises inattendues : certes, c'est bien avant tout un roman psychologique très sombre mais c'est également un très bon polar qui ne cherche pas à échapper aux lois du genre et le lecteur chahuté devra bientôt faire la connaissance du Marquis de Givre ...
[...] Ma foi, c’est pas pour rien qu’on appelle ça l’amour inconditionnel.

Pour celles et ceux qui aiment les polars originaux.
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mercredi 8 septembre 2021

Une loge en mer (Magali Desclozeaux)

[...] La concierge est en mer.

Après Muriel Barbery, nous revoici avec Une loge en mer, de nouveau avec une concierge candidate au top ten des libraires, mise en scène cette fois par Magali Desclozeaux.
Pas d'élégant hérisson cette fois-ci, mais une histoire loufoque racontée avec quelque originalité puisque nous lirons une série de lettres échangées.
Ninon Moinot, la concierge donc, se voit expulsée de sa loge parisienne (l'immeuble va être transformé) et se retrouve retraitée d'office, logée dans un container parti pour faire plusieurs fois le tour de monde ...
[...] En échange de ma retraite, il me garantit le gîte sous forme d’un conteneur embarqué sur un porte-conteneurs, avec douche et toilettes au château, et le couvert sous forme d’une collation et de deux repas par jour servis à la table du petit personnel navigant.
[...] Je serais très heureuse de lui faire les honneurs du Ship Flowers dont la route comporte plusieurs curiosités : le détroit de Malacca et ses villes de gratte-ciel comme en Amérique, les dix heures de traversée du désert à la queue leu leu sur le canal de Suez avec un pétrolier devant et un derrière, la mer Rouge jamais rouge et les ports chinois dont le signe distinctif est la couleur de leurs grues qui, mises ensemble, formeraient un bel arc-en-ciel.
L'idée de départ est bien séduisante, Magali Desclozeaux manie l'humour avec bienveillance et l'extravagance avec modération, bref, tous les ingrédients semblent au rendez-vous. Malgré tout on s'ennuie un peu sur ce cargo, la faute en partie à une pseudo-réflexion écolo-responsable sur les travers bien connus de la grande finance qui auraient embarqué notre concierge sur son bateau ...
Il manque un peu de la magie des voyages au long cours, contemplatifs, lents et ennuyeux. Sans cette magie poétique, l'exercice de style s'avère finalement un peu vain.

Pour celles et ceux qui aiment les containers.
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Mon mari (Maud Ventura)

[...] Il est mon mari, il m’appartient.

Du haut de ses vingt-huit ans Maud Ventura frappe fort avec Mon mari, ce premier roman sur les questions amoureuses (un sujet qu'elle connait bien à la radio).
Sa prose soignée accroche tout de suite le lecteur.
D'autant plus que le ton est donné rapidement : l'auteure entreprend de disséquer l'amour obsessionnel d'une femme pour son mari, une folie douce un peu inquiétante.
[...] Mon amour pour lui n’a pas suivi le cours naturel des choses.
Sur sa table d'opération, tout est soigneusement déballé et mis à vif, même la maternité, c'est une véritable vivisection.
[...] J’aime nos enfants, c’est une évidence. Je les aime, mais il est également très clair que j’aurais préféré ne pas les avoir. Je les aime, mais j’aurais préféré vivre seule avec mon mari.
Et bien sûr cette névrose conjugale, cet amour pour le moins envahissant pour un homme dont on ne connaitra jamais le prénom.
[...] Mon mari n’a plus de prénom, il est mon mari, il m’appartient.
Avec son écriture distante et décalée, Maud Ventura manie le scalpel avec froideur, rigueur, cruauté, humour aussi (grinçant l'humour).
[...] Je déjeune avec une collègue que j’apprécie. On parle de nos élèves (c’est intéressant), de nos maris (c’est le moment que je préfère), de nos enfants (la conversation perd immédiatement en intérêt).
[...] J’ai appris l’élégance (qui ne repose finalement que sur un trio simple : un manteau, un sac et des chaussures hors de prix. Une fois cette sainte trinité bien maîtrisée, le reste est facile).
[...] Je sais que c’est idiot, mais plus mon mari fait des courses importantes, plus j’ai l’impression qu’il m’aime. C’est comme s’il investissait dans notre couple. Comme le primeur qui pèse les petits sachets en papier, je peux quantifier son amour chaque dimanche à son retour du marché grâce au montant du ticket de caisse abandonné au fond du cabas.
On retrouve là un peu de Claire Castillon mais sur un ton plus léger même si parfois on se demande comment cette fable va bien pouvoir finir autrement que dans le drame et la catastrophe.
Mais non, ouf, on aura juste droit à un petit twist renversant, histoire de prendre un peu de recul et de distance.

Pour celles et ceux qui aiment les vivisections.
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jeudi 2 septembre 2021

Dégâts des eaux (Donald Westlake)

[...] - Mais ... Pourquoi tu veux utiliser de la dynamite ?

Voici encore un bouquin énorme de l'inénarrable Donald Westlake.
Énorme parce qu'il fait près de 500 pages.
Énorme parce que cette longueur permet à l'auteur de déployer tout son art et qu'au fil des pages viennent s'empiler les situations les plus impensables, les personnages les plus improbables et que tout cela finit par pétiller comme du champagne.
[...] C’est de l’humour ? demanda-t-il. Harriet n’arrête pas de me parler de ce truc, l’humour. C’en est, ça ?
Inutile de tenter de résumer l'intrigue policière : l'incontournable Dortmunder se laisse embarquer dans un coup qu'il ne veut pas monter, pour une fois (aller plonger dans un lac réservoir ?! non mais ça va pas).
[...] Par une matinée du mois de juin, le gang du réservoir se réunit au 46 Oak Street dans la paisible communauté rurale de Dudson Center au nord de l’État.
On va donc suivre les tentatives infructueuses de la fine équipe pour récupérer le magot englouti.
[...] - J’aimerais que tu retires ce machin, John, dit May. Tu ressembles à un personnage de science-fiction.
Dortmunder ôta le détendeur de sa bouche, non pas pour accéder à la requête de May, mais pour pouvoir lui répondre.
- Je suis censé m’habituer à respirer à travers ce truc, dit-il, avant de le remettre dans la bouche.
Mais il oublia aussitôt et se remit à respirer par le nez, comme d’habitude. Sous l’eau, il se serait noyé déjà une demi-douzaine de fois.
Les amateurs de non-sens et de l'humour froid et caustique de Westlake vont se régaler avec ce bouquin idéal pour les vacances : ça dure longtemps, on peut le poser, s'arrêter, reprendre la lecture plus tard et retrouver la fine équipe à peu près au même point, c'est tout simplement comme un gros gâteau crémeux : on a un peu honte de se goinfrer mais c'est savoureux, légèrement indigeste.
[...] May poussa un soupir et dit : – J’espère qu’on sait ce qu’on fait.
– Non, dit la maman de Murch en hochant la tête dans la direction où était parti le camion. Espérons qu’ils savent ce qu’ils font.
Westlake et Dortmunder ont réuni là une sacrée galerie d'hurluberlus déjantés et au fil des pages et des péripéties sans fin, l'on s'habitue à faire partie de cette équipe loufoque, de cette famille, que l'on quittera finalement bien à regret après une fin bien sympa.

Pour celles et ceux qui aiment l'humour et le non-sens.
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