jeudi 27 avril 2023

Lemon (Kwon Yeo-sun)

[...] L’affaire du meurtre de la belle lycéenne.

    L'auteure, le livre (160 pages, 2023) :

C'est un article de Slate qui nous avait alerté sur ce roman de la sud-coréenne Kwon Yeo-sun, connue jusqu'ici plutôt pour ses nouvelles.
Un très court roman, à peine plus qu'une nouvelle, qui se donne des allures de polar pour décrire une société coréenne pas tendre avec les femmes.

    On aime un peu :

❤️ Comme chez la japonaise Yoko Ogawa, une situation banale et quotidienne qui prend très vite des allures inquiétantes, sans que l'on sache trop où cela va nous mener.
❤️ Un dépaysement 100% coréen (et 100% féminin) qui prend souvent le lecteur occidental au dépourvu et laisse un goût aussi acide que le citron du titre.

      L'intrigue :

Une jeune (et très belle) étudiante est retrouvée morte, le crâne fracassé. Un ou deux suspects dans son entourage mais pas de coupable. Une quinzaine d'années après, la sœur de la victime se remémore le long chemin du deuil et des questionnements.
[...] Elle est partie. Ses longs cheveux et sa robe jaune, son sac et ses chaussures blanches. Je les ai regardés disparaître puis, restée seule, j’ai fini mon café froid.
[...] Pendant plus de seize ans, j’ai réfléchi, interrogé et travaillé sur chaque détail de ce qu’on a appelé « l’affaire du meurtre de la belle lycéenne ».
[...] Elle avait changé elle-même le nom de ma sœur, par ses propres moyens. Maman avait sorti tous les manuels scolaires, les livres, les cahiers et carnets ayant appartenu à ma sœur et avait corrigé le nom sur chacune des couvertures.
[...] Maintenant, je sais –  non pas qui est le meurtrier de ma sœur, mais qui ne l’est pas. Non, c’est faux. Je sais qui est l’assassin.

     On aime moins :

Un livre dans lequel il est bien difficile d'entrer : Kwon Yeo-sun ne nous laisse que peu d'indices pour pénétrer dans son univers et j'ai dû le relire une seconde fois. 
Une construction du bouquin qui ne nous aide guère non plus où chaque chapitre expose le point de vue d'un personnage ... alors qu'il nous faut plusieurs pages pour deviner l'identité de qui parle (la sœur, une amie, une autre camarade, ...), d'autant plus que les patronymes coréens sont opaques pour nous qui ne savons même pas trop s'il s'agit d'une femme ou d'un homme et que l'auteure joue avec les mots et ces noms : il faut bien avouer que toutes ces acrobaties nous échappent un peu malgré les notes du traducteur.

Pour celles et ceux qui aiment le pays du matin calme.
D’autres avis sur Babelio, livre lu grâce à Netgalley.

dimanche 16 avril 2023

Les irascibles (Cédric Bru)

[...] Une nouvelle peinture, appelée « expressionnisme abstrait ».

    L'auteur, le livre (384 pages, 2023) :

C'est une lecture pas facile mais enrichissante que nous propose Cédric Bru journaliste, écrivain, et chroniqueur de diverses revues (dont Rock&Folk), avec Les irascibles : un livre bourré de culture qui mêle fiction et quasi-biographies pour nous dépeindre la naissance d'un mouvement artistique à New-York dans les années 50, quand prenait forme l'expressionisme abstrait sous les pinceaux des Pollock, Rothko, de Kooning et consorts à qui l'on pouvait acheter une toile pour quelques centaines de dollars (aujourd'hui certaines toiles de Pollock valent plusieurs centaines de millions de dollars).

    On aime ... ou pas :

C'est un peu comme si Cédric Bru nous invitait à un vernissage dans une galerie d'art de la 57e rue  mais oubliait un peu de faire les présentations et nous laissait en plan, un verre à la main. Tout autour de nous [quelques habitués bien éméchés, un couple ou deux], chaque invité ressemble à un [intellectuel reconnu, juif farouchement new-yorkais]. Il y a bien quelques figures que l'on connait : Peggy Guggenheim qui passe là-bas près du buffet, Mark Rothko et Willem de Kooning qui discourent sur la terrasse, et n'est-ce pas Jackson Pollock là-bas qui s'agite, un peu ivre ? 
Mais qui sont donc tous les autres invités que l'on ne connait pas : ce Robert Motherwell dont tout le monde parle, ce Barnett Newman autour de qui tournent ces dames, et ce Clyfford Still, et ces galeristes, et ces critiques d'art, et Arshile Gorky et Adolph Gottlieb, ... ?
Ouf, on n'en peut plus, vexé de notre ignorance crasse de ce petit milieu de l'art moderne new-yorkais, et on finit donc par sortir notre smartphone et pêcher sur le web quelques images des œuvres de l'un et de l'autre, comme pour participer au jeu de qui a peint quoi ?
Après quelques verres et quelques chapitres bien déroutants, on finira par s'habituer au style elliptique de l'auteur, à sa chronologie chahutée, à ses portraits esquissés peu à peu, quelques touches ici sur de Kooning, quelques couleurs là-bas sur Pollock, la silhouette de Motherwell, et revenons à de Kooning, et puis Pollock encore, et puis ... 
Finalement, c'est un véritable traité de l'histoire de la peinture moderne que l'on tient entre les mains et notre persévérance sera bientôt récompensée : découvrir ce mouvement en train de naître sous nos yeux, cette [nouvelle peinture, communément appelée « expressionnisme abstrait »][une peinture moderne américaine dégagée du cubisme analytique ou du surréalisme].

      Le contexte :

L'effervescence d'une bande d'artistes [supposément communistes, ou tout au moins proches de ces idées progressistes], même si [depuis un certain temps, il n’était plus vraiment question d’engagement politique parmi les peintres] : [ville monde, ville monstre, New York, désormais, donnait le la de l’art moderne, reléguant Paris au niveau d’une belle ville secondaire.] 
Par [le foisonnement hypercréatif de leurs peintures gestuelles], les américains [étaient en train de surmonter le complexe d’infériorité qu’ils nourrissaient de longue date à l’égard des artistes européens]. [Il n’y avait qu’à Paris qu’on finissait les toiles. Ici, on remettait son sort entre les griffes de l’œuvre, qui décidait ou non si elle avait tout dit].
Mais ce sont les années 50, celles de la guerre froide qui paralyse le monde, celles du maccarthysme qui empoisonne les États-Unis et à NY, deux musées s'opposent : à ma gauche, Rockefeller et son MoMA [qui à l’inverse du Met accueillait depuis longtemps déjà des œuvres de Pollock, Gorky ou De Kooning]. À ma droite, le MET, le Metropolitan Museum of Art, et ses dirigeants [bien décidés à mener, et contre l’air du temps, ce qui apparaissait désormais comme un combat d’arrière-garde]

      L'intrigue :

Les boires (beaucoup de boire !) et les déboires de ces artistes (typiques du milieu intellectuel juif new-yorkais) qui dans les années 40-50 peinaient à atteindre la reconnaissance et la célébrité jusqu'à ce que l'instable génie Jackson Pollock brise enfin la glace et consacre une nouvelle peinture abstraite qui voulait s'affranchir du cubisme et du surréalisme, son héritage européen.
La fronde contestataire des fameux "Irascibles", leur lettre ouverte au MET et la photo de couverture n'occupent finalement qu'une petite part du bouquin plutôt consacré à la carrière de Pollock et de ses collègues.

      On aime moins :

Une construction plutôt déroutante avec de nombreux allers-retours entre les personnages ou les années qui provoquent longueurs et répétitions. C'est une lecture difficile, exigeante où il faut vraiment avoir soif de connaissance et être passionné de peinture pour persévérer et profiter ainsi de la grande culture de Cédric Bru qui nous fera mieux comprendre et apprécier le travail de ces peintres.

Pour celles et ceux qui aiment l'histoire de la peinture moderne.
D’autres avis sur Babelio. Livre lu grâce à Netgalley.
Chronique reprise par 20 Minutes.

samedi 8 avril 2023

Tunnel 29 (Helena Merriman)

[...] Les murs sont à la mode.

    L'auteure, le livre (416 pages, 2023, 2022 en VO) :

Helena Merriman est une journaliste de la BBC qui, avec Tunnel 29, nous a dégotté une excellente histoire (véridique), racontée comme on les aime, avec minutie : celle d'un tunnel creusé en 1962 sous le Mur qui coupait Berlin en deux et par lequel se sont enfuis 29 personnes.

    On aime bien :

❤️ Se laisser emporter par cette histoire incroyable, [une histoire impressionnante. Presque trop, et Joachim ne sait pas s'il faut y croire]. Comme disait Mark Twain, la réalité dépasse la fiction, du moins lorsqu'un bon auteur sait la raconter.
❤️ Réviser notre histoire avec notre guide, Helena Merriman, qui nous ramène jusqu'en 1945 lorsque les troupes russes arrivent à Berlin avant tout le monde, et cela pour mieux comprendre la création de la RDA, l'apparition de la Stasi, la fermeture des frontières avec Berlin ouest et enfin la construction du fameux Mur. Un passé aux échos malheureusement très actuels puisque dans notre monde d'après, [les murs sont à la mode; dans plus de soixante-dix pays (un tiers du monde), il existe une forme de barrière ou de clôture. [...] Beaucoup s’inspirent du mur par excellence  : celui construit à Berlin pendant l’été 1961]. Et la leçon d'Histoire se poursuivra jusqu'à la chute du Mur en 1989 et même un peu après avec un épilogue en forme de "que sont-ils devenus".
❤️ Partager les boires et déboires de l'équipe qui creuse sous le Mur, redouter le pire, les dénonciations à la Stasi, l'effondrement du tunnel, les infiltrations d'eau, ...
❤️ Savourer les extraits des archives de la Stasi : une matière première inestimable pour un écrivain !

      Le contexte :

En pleine guerre froide, les communistes de Berlin Est se retranchent derrière le fameux Mur : la fermeture de la frontière laisse certaines familles et couples éclatés de part et d'autre. 
Les américains tardent un peu à réagir. 
De nombreuses tentatives d'évasions auront lieu, certaines avec une issue heureuse, d'autres plus dramatiques.
Pour traquer les dissidents, les espions de la Stasi ont infiltré toute la société est-allemande et même Berlin Ouest.
[...] Si le Mur symbolise l'échec du communisme, le tunnel symbolise le perpétuel besoin de liberté du genre humain.

      L'intrigue :

Quelques jeunes gens entreprennent de creuser un tunnel d'ouest en est (sur 120 mètres) pour faire évader quelques personnes : qui un conjoint, qui un parent ou un ami, laissés seuls du mauvais côté du Mur.
Nous sommes au tout début de la télévision et une équipe de NBC entreprend de filmer (et de financer !) toute l'affaire en grand secret, depuis les premiers coups de pelle jusqu'à l'évasion finale de 29 personnes : de la téléréalité bien avant l'heure. Cette "intervention" américaine fera grand bruit quand NBC voudra sortir son film en pleine crise des missiles à Cuba.

      On aime moins :

C'est un gros pavé avec quelques longueurs tant est grand le souci de véracité, ce qui nous vaut une abondance de détails minutieux.
La première partie du bouquin dénote un anticommunisme un peu primaire : certes l'auteure est britannique, certes la russophobie est de bon ton aujourd'hui mais cela n'excuse pas tout et cela nuit un peu à la puissance de l'histoire et de plus c'est tout à fait inutile - qui a encore besoin aujourd'hui qu'on lui sur-explique les motivations des "Ossis" déterminés à passer du côté libre ?

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire et Berlin.
D’autres avis sur Babelio - livre lu grâce à Netgalley.