lundi 28 novembre 2022

Paysages trompeurs (Marc Dugain)

[...] Il n’y a qu’un seul monde. 

Petite déception que ce roman d'espionnage de Marc Dugain : Paysages trompeurs
Si l'on était méchant, on dirait que le bouquin porte bien son titre !
Ça commence pourtant plutôt bien, façon cinéma américain, avec une opération commando foireuse en Afrique. 
La prose est plutôt soignée, élégante et classique, façon John Le Carré.
Le héros, une sorte d'espion malgré lui, est assez bien dessiné (mais ce sera le seul personnage à bénéficier de ce traitement) avec un passé que l'on découvre peu à peu avec sa part d'ombre.
 Mais hélas, après quelques tentatives de racolage à la mode (Monsanto, Cambridge Analytica, ...), l'intrigue vire bientôt au roman photo avec une belle espionne israélienne au cœur grand comme celui de Marianne pour son Robin des Bois.
[...] — Tu travailles pour les Israéliens, n’est-ce pas ? Elle a souri mais son regard s’est durci. Avant que j’analyse ce paradoxe, elle a dit : 
— Si tu le sais, c’est que je ne travaille plus pour eux. Sinon, tu ne l’aurais jamais su. 
— Tu es sérieuse ou tu me manipules une nouvelle fois ? 
— Quand tu auras pris un peu de recul sur les événements récents, tu te rendras compte que je ne t’ai jamais manipulé.
[...] Il n’y a qu’un seul monde. Comme il n’y a qu’une seule lune, mais on la voit rarement pleine.
Dommage.

Pour celles et ceux qui aiment les belles espionnes.
D’autres avis sur Bibliosurf.

mercredi 16 novembre 2022

Une femme en contre-jour (Gaëlle Josse)

[...] Ce sens du détail qui dit tout d’une histoire, d’une vie.

Après l'expo Vivian Maier au musée du Luxembourg (fin 2021) on ne pouvait évidemment pas laisser passer le bouquin de Gaëlle Josse, qui n'est d'ailleurs pas une inconnue [clic] et que l'on sait passionnée d'images depuis Les heures silencieuses.
Elle entreprend avec Une femme en contre-jour une presque biographie de la désormais célèbre "nounou photographe".
Tout a déjà été dit sur le destin posthume de ces photos : une nounou d'apparence ordinaire qui ne faisait pas développer ses photos, ou si peu, mais qu'elle entassait dans des cartons qu'un autre inconnu découvrira par hasard après sa mort. Des photos non revendiquées par l'artiste donc et que les musées refuseront à ce titre, bien mal leur en a pris, la voici désormais presque aussi célèbre que Cartier Bresson ou Doisneau.
Un curieux destin qui a de quoi fasciner Gaëlle Josse autant que ses lecteurs et qui donne ici quelques belles pages.
[...] Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos.
[...] Elle n’aura pas connu la célébrité, ni l’engouement planétaire qui accompagne aujourd’hui son travail d’artiste.
[...] Quel frémissement, quelle excitation à faire surgir toutes ces photos exceptionnelles, jamais vues, pas même par leur propre auteur !
[...] Un travail dont personne ne verra les fruits, dont on ne soupçonnera pas même l’existence, et dont elle-même ne verra que bien peu de choses.
[...] Elle possède ce sens du détail qui dit tout d’une histoire, d’un monde, d’une vie.
[...] Elle n’est pas une nourrice qui prend des photos pour se distraire, mais une artiste qui se contente d’un travail alimentaire. Question de focale.
[...] Que sa production reste secrète, non dévoilée pour la majeure partie, pas même à ses propres yeux, et qu’elle n’ait jamais tenté de la montrer, de la vendre, de l’exposer, est une autre question. Une énigme dont on s’approche par cercles concentriques.
[...] Tout au long de sa vie, Vivian Maier n’est qu’une vérité qui se dérobe. L’histoire d’un bouleversant effacement devant l’œuvre. La beauté du geste. La perfection du geste. Rien d’autre. Les yeux prêts pour la photo suivante.
[...] Son travail se focalise sur les visages, le portrait, et sur les exclus, les pauvres, les abandonnés du rêve américain, les travailleurs harassés, les infirmes, les femmes épuisées, les enfants mal débarbouillés, les sans domicile fixe.
La mère de Vivian Maier venait de notre Champsaur, de nos Alpes du Sud : la photographe américaine y reviendra plusieurs fois au long d'une vie pour le moins chaotique. Elle est née à New-York en pleine Dépression, d'un père aux emportements violents et d'une mère aux comportements erratiques. Son frère finira d'ailleurs en psychiatrie.
Gaëlle Josse explore tout cela, essaie de découvrir les liens entre sa vie et ses photos, de viser l'œil derrière l'objectif, de percer quelques uns des mystères de cette femme silencieuse, d'éclairer quelques zones d'ombre aussi, au-delà de la légende arrangée que le monde vient de forger autour d'une fascinante "nounou photographe", ...
❤️ Une curiosité pleine d'intelligence.
On regrette toutefois que le bouquin ne soit pas agrémenté des photos qui y sont évoquées ...

Pour celles et ceux qui aiment la photo.
D’autres avis sur Bibliosurf.

mardi 15 novembre 2022

La planète des singes (Pierre Boulle)

[...] Un animal, un peu plus intelligent que les autres.

Habituellement on alimente plutôt qu'on ne vide les fameuses "boîtes à lire" qui poussent désormais un peu partout. Mais cette fois le hasard fit bien les choses en poussant dans nos mains un bien vieux bouquin (paru initialement en 1963) et une célèbre histoire : La planète des singes de Pierre Boulle (auteur d'un autre roman qui fera lui aussi une longue carrière au cinéma : Le pont de la rivière Kwaï).
Cette redécouverte s'avère une très bonne surprise : le récit de Pierre Boulle est finalement assez loin de ce qu'en ont tiré les cinéastes qui se sont succédés à la caméra.
La prose est un peu démodée (on écrivait encore au passé simple !) et elle accentue le dépaysement puisque derrière l'étiquette "SF" très convenue se cache plutôt un conte philosophique, façon Gulliver débarquant à Lilliput : Pierre Boulle est plus proche d'un Swift ou d'un Voltaire que d'un Asimov ou d'un Barjavel.
L'histoire est évidemment connue : quelques terriens débarquent sur une lointaine planète où les singes (cultivés, vêtus, ingénieux, dotés d'outils et de langage ...) dominent et chassent les "hommes" qui eux, vivent nus et sans intelligence et qui grognent plutôt qu'ils ne parlent. Le monde à l'envers bien sûr.
Et c'est là tout le propos de Pierre Boulle qui retourne habilement la situation : pour notre terrien débarqué sur cette planète simiesque, comment prouver son "intelligence", son "âme" ?
Le héros connait son Pavlov par cœur et maîtrise parfaitement l'éthologie mais comment faire la démonstration de son "humanité" sans passer pour un singe savant, pardon : un homme savant ?
[...] Elle sortit un morceau de sucre de sa poche et me le tendit. J'étais désespéré. Elle aussi me considérait donc comme un animal, un peu plus intelligent que les autres, peut-être. Je secouai la tête d'un air rageur.
❤️ Une habile façon de venir questionner ce qui fait le propre de l'homme (et le rire ne suffit pas, sachez-le). 
Avec les fameuses boucles temporelles qui clôturent le roman, Pierre Boulle qui revenait d'Indochine à l'époque, pousse même le bouchon encore plus loin : cette humanité si difficilement acquise, si chèrement défendue, est-il possible de la "perdre" un jour ?
[...] Vous voyez bien que l'esprit peut se perdre, comme il peut s'acquérir », murmure quelqu'un derrière moi.

Pour celles et ceux qui aiment la philo.
D’autres avis sur Babelio.

lundi 14 novembre 2022

Fils de personne (Jean-François Pasques)

[...] C’est inhumain d’être le fils de personne !

Jean-François Pasques fait partie de ses flics passés du côté de la plume.
Le voici auréolé du Prix du Quai des Orfèvres 2023 pour son bouquin Fils de personne.
Comme souvent avec ces auteurs, le récit détaille minutieusement le travail d'enquête et d'investigation mené par les flics avec leurs fameuses "procédures".
Pasques prend tout son temps pour installer ses personnages de la brigade du commandant Delestran.
Dans le Paris de l'auteur, on est bien loin des courses survoltées à la poursuite d'un serial killer, beaucoup plus proche d'un Simenon (auquel il est rendu hommage d'ailleurs) ou d'un Vargas : le commandant Delestran partage ses doutes entre deux enquêtes, un quasi vagabond retrouvé noyé dans un bassin des Tuileries et une autre affaire où trois femmes ont mystérieusement disparu.
Deux enquêtes qui n'ont rien à voir entre elles et le lecteur ne sait trop où veut en venir l'auteur jusqu'à ce qu'à mi-parcours, on découvre avec les enquêteurs de la PJ un monde un peu mystérieux, ou en tout cas bien méconnu, celui des naissances « sous X ».
[...] - Vous savez ce que c’est que de vivre en étant un bâtard ? Non, vous ne pouvez pas savoir ! Et vous parlez de mérite… Est-ce que je méritais de ne pas ressembler à mes parents adoptifs ? Et toute cette suspicion autour de moi, qui me donnait un sentiment d’imposture ? J’ai été un étranger toute ma vie, ne ressemblant à personne. Vous croyez que je méritais ça ? Mais moi, je n’ai rien demandé. 
[...] - Vous savez, quand on est né comme moi, « sous X », on fantasme beaucoup sur ses origines, pour ne plus être un colis abandonné. Mais finalement, ça ne sert à rien, bien au contraire, on ne peut pas avoir confiance en la vie. Il manque un sens. C’est inhumain d’être le fils de personne ! 
[...] Beaucoup d’autres enfants étaient nés « sous X » et avaient grandi sans faire parler d’eux.
L'air de rien J.F. Pasques réussit à installer une curieuse atmosphère, très humaine, très "psychologique" (il y a d'ailleurs une psy dans l'équipe du commandant), une ambiance qui n'appartient qu'à lui et qui nous change des polars habituels, un style qui mérite le détour par le 36 Quai des Orfèvres.
Un auteur à découvrir puisque d'autres romans ont précédé celui qui vient d'être couronné.

Pour celles et ceux qui aiment les enquêtes
D’autres avis sur Bibliosurf.

vendredi 11 novembre 2022

Cupidité (Deon Meyer)

[...] Mais la cupidité nous unit.

Avec ses thrillers, Deon Meyer est une valeur sûre du roman sudaf et plus largement du rayon polar.
Le revoici avec un nouveau roman, Cupidité, qui nous emmène dans la ville chic de Stellenbosch non loin du Cap, pour épingler la corruption et la "captation de l'état" [clic] qui rongent le pays arc-en-ciel, un thème habituel de cet auteur.
Les super flics Benny Griessel et Vaughn Cupido, pris dans la guerre des polices, ont été rétrogradés et sont mis au placard à Stellenbosch. Un placard doré, bien trop doré d'ailleurs : ça sent la manipulation ...
En parallèle, une jeune agent immobilière monte une transaction pour un magnat devenu encombrant, une aubaine financière pour cette jeune femme : ça sent la manipulation ...
Et dans le même temps, Griessel et Cupido se retrouvent en charge d'une enquête sur un étudiant disparu. Un hacker surdoué du clavier qui vivait au-dessus de ses petits moyens : ça sent ...
Bref, tout cela ne sent pas vraiment la rose mais plutôt les âcres relents des affaires de corruption qui gangrènent le pays.
[...] Son optimisme indécrottable la rend souvent aveugle à la pagaille qui règne dans le pays.
[...] On a perdu confiance dans le gouvernement sud-africain. La corruption, le pillage des institutions publiques, la lente décomposition des réseaux de chemin de fer, d'eau et d'électricité.
[...] Personne n'a le courage d'affirmer que le gouvernement est un nid de kleptomanes corrompus qui pille le pays jusqu'à la moelle.
[...] Y a tant de choses qui nous divisent dans ce pays. Mais la cupidité nous unit.
❤️  Les différentes intrigues finiront bien sûr par se croiser et le roman est un véritable page-turner très réussi, peut-être un peu moins sudaf que les précédents mais plus polar. Suspense addictif garanti.
[...] Il s'agit dans cette affaire de disputes conjugales au mieux, et au pire d'un escroc en fuite. Ou d'un savant mélange des deux. Pendant ce temps, il aurait aimé chercher un jeune étudiant, un gamin qui n'est probablement plus en vie.

Pour celles et ceux qui aiment l'Afrique du Sud.
D’autres avis sur Bibliosurf.

mercredi 2 novembre 2022

La baignoire de Staline (Renaud S. Lyautey)

[...] En Géorgie, le passé vous sautait à la figure à chaque pas.

Après Les saisons inversées c'est avec impatience que l'on retrouve le diplomate-écrivain Renaud S. Lyautey (de son vrai nom Salins, Lyautey est le nom de sa mère pris comme nom de plume) pour un second épisode des aventures de René Turpin, toujours agent du Quai d'Orsay, mais cette fois-ci en Géorgie, terre natale de Iossif Vissarionovitch Djougachvili, l'homme de fer, Staline.
Ce second épisode, La baignoire de Staline, sera malheureusement le dernier : Renaud S. Lyautey est décédé cette année.
Tout commence à Tbilissi où l'on découvre un jeune professeur de français assassiné, il était au service d'un milliardaire géorgien.
Puis c'est le tour d'un vieux barbouze de l'ex-KGB.
[...] La découverte d’un possible lien avec la mort d’un vieux responsable communiste, loin de clarifier les choses, rendait manifestement perplexe la police de Tbilissi. Quelle sombre affaire avait donc pu sceller, la même semaine, le sort d’un étudiant français de vingt-six ans et celui d’un tchékiste octogénaire ?
[...] N’oublions pas que nous sommes dans le Caucase. Où les affronts ne sont jamais oubliés…
[...] Nous voilà maintenant avec trois cadavres sur les bras. Il n’y a plus de doute possible. Nous sommes face à un meurtrier en série. Et nous ne savons toujours pas ce qui relie entre eux ces assassinats successifs.
L'enquête, sur laquelle planent encore les ombres de Staline et du fameux agent double Kim Philby, l'enquête nous emmènera jusqu'à Tskaltoubo, dans l'ouest du pays, lieu de villégiature des apparatchiks à la belle époque de l'URSS.
[...] Ah… Tskaltoubo. Oui, bien sûr. C’est une ville d’eaux. Tskali signifie « eau » en géorgien. 
– Mais encore ? 
– Un immense ensemble thermal, le plus grand au monde, si je ne m’abuse. Staline s’y était fait construire une datcha.
[...] Philby a réussi à berner très longtemps à la fois les Britanniques et les Américains. Sa longévité en tant qu’agent double est étonnante.
[...] Je me souviens très bien qu’en 1990, les Postes soviétiques ont émis un timbre en hommage à Kim Philby.
[...] À cette époque-là, il faut être capable de se figurer ce qu’a été la guerre froide. Le niveau de paranoïa que les deux camps avaient atteint. La défection de Kim Philby a représenté, à cet égard, un point culminant. Pour nous, à Londres, ce fut un désastre absolu. La crédibilité de nos services secrets mit des années à s’en remettre. Aux États-Unis, dans un sens, ce fut pire encore. Parce que Philby avait servi à Washington et embobiné tout le monde là-bas aussi.
[...] On parle des années 1960. La construction du Mur de Berlin en 1961. La crise des missiles à Cuba en 1962. La tension était à son comble entre les deux blocs quand Philby a gagné Moscou, en janvier 1963.
La curiosité diplomatico-géo-politique est toujours au rendez-vous et l'intrigue policière est de meilleure tenue que celle du précédent épisode (Les saisons inversées) et, très égoïstement, on ne peut que regretter la fin prématurée de l'auteur qui nous prive de la suite de ce qui s'annonçait comme une très bonne série.

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
D'autres avis sur Bibliosurf.