dimanche 22 mars 2009

Hiver arctique (Arnaldur Indridason)

Mal des banlieues islandaises.

Raisonnable, on avait longtemps attendu avant d'acheter le précédent Arnaldur Indridason : L'homme du lac s'était avéré excellentissime et on avait donc bien regretté notre hésitation.
Cette fois, aussitôt sorti, aussitôt dans la PAL : l'Hiver arctique n'aura guère attendu.
Malheureusement, Indridason semble un peu fatigué de ce long hiver et sa dernière livraison n'est pas à la hauteur (certes, très élevée) des précédents romans et donc de notre attente.
Dans ce nouvel épisode, Arnaldur fils d'Indrid s'attaque au racisme qui semble ronger la vie sociale islandaise (tiens donc ...).

[...] - Ce n'était qu'une question de temps, commença Kjartan, d'un ton qui laissait transparaître de l'agacement. On ne devrait pas laisser ces gens-là entrer dans notre pays, continua-t-il. Ils ne font qu'engendrer de la violence. Il fallait que ce genre de choses arrive tôt ou tard.. Qu'il s'agisse de ce garçon-là dans cette école-là, dans ce quartier-là, à ce moment-là, ou d'un autre garçon à un autre moment ... ne change rien à l'affaire. Cela serait arrivé et arrivera à nouveau. Soyez-en sûr.

Et encore :

[...] - Il y en a trois comme lui dans sa classe, continua Kjartan. Et plus de trente dans l'ensemble de l'école. On ne le remarque même plus quand il y en a de nouveaux qui arrivent. Et c'est partout comme ça. Vous êtes allé au marché aux puces de Kolaport ? On se croirait à Hong-Kong ! Et personne ne s'en inquiète. Personne ne s'inquiète de ce qui est en train d'arriver à notre pays.

Heureusement qu'Elinborg, la collègue de l'inspecteur Erlendur, est là pour tempérer les propos de ce sinistre Kjartan !

[...] - Nous sommes d'accord pour que les étrangers viennent chez nous se coltiner le sale boulot sur les chantiers des barrages et dans les usines de poisson; ça ne nous gêne pas qu'ils fassent le ménage pendant qu'on a besoin d'eux pourvu qu'ensuite, ils repartent !

Bref, la lointaine Islande ne semble pas épargnée par les maux du siècle.
Apparemment nombre de Thaïlandais ont immigré là-bas : mais que diable vont faire les thaïs en Islande ?!!!
Mais bon, l'inspecteur Erlendur semble comme dépassé par les évènements : il se promène presque à côté de l'enquête, laissant le boulot à ses deux collègues (Elinborg et Sigurdur).
Il ne nous reste qu'à attendre la traduction du prochain épisode (écrit en 2007), en espérant que la crise dans laquelle se débat aujourd'hui l'Islande n'aura pas eu raison du sombre inspecteur ... 


Pour celles et ceux qui aiment les îles lointaines, même froides et pluvieuses.
Métailié édite ces 335 pages traduites de l'islandais par Éric Boury et qui datent de 2005 en VO.
Cottet, Essel et Clarabel en parlent.

jeudi 19 mars 2009

Seul demeure son parfum (Feng Hua)

Le parfum de la fleur de prunier.

Voilà un polar bien curieux : Seul demeure son parfum, du chinois Feng Hua.
Un vrai chinois de Chine, un chinois contemporain de la Chine d'aujourd'hui.
Le résultat est étrange : on est bien loin du style américain de Qiu Xialong par exemple.
Une écriture un peu décalée à nos yeux d'occidentaux.
Avec une sorte de naïveté explicative :

[...] - Demain je vais faire un tour à la mairie, mais je vais y aller doucement parce que l'affaire est classée, et la brigade criminelle veut terminer rapidement le travail d'archivage commencé sur Internet. Je ne crois pas qu'ils seraient d'accord pour que je reprenne cette affaire. Je vais être obligé de le faire discrètement.

Ou encore :

[...] Bien entendu, Pu Ke avait compris. Un policier ne peut pas suspecter les gens sans preuve, sur une simple intuition, c'est inacceptable, tant du point de vue de la loi que de celui de la déontologie.

C'est amusant. On hésite entre la naïveté de l'auteur, la difficulté de la traduction ou le souci culturel de s'adresser à plusieurs millions de lecteurs ! Un style pédagogique que l'on retrouve parfois dans les articles de journaux.
Ou dans d'aimables dialogues, comme ici entre deux amants :

[...] - Pu Ke, j'ai une idée, mais je ne sais pas si je dois te la dire ou pas.
- Bien sûr que oui, a tout de suite répondu Pu Ke, je sais que tu es intelligente.
- Toi, quand tu veux, tu sais faire mousser les gens !

Ou encore entre deux collègues :

[...] - Ce n'est pas le problème, on fait chacun un travail différent, tu te sers de ta tête et moi de mes jambes, toi tu pourrais faire mon travail, moi je ne pourrais pas faire le tien.

D'autres surprises au fil des pages, comme ici lorsque l'inspecteur Pu Ke découvre le journal intime d'une victime :

[...] Jeudi 28 septembre.
Mon Dieu, je n'aurais jamais pu croire que c'était aussi beau de faire l'amour. (Venait ensuite un passage en anglais qui racontait en détail comment elle avait fait l'amour avec "lui".) Je suis ensorcelée, c'est sûr.

Autocensure ?
Un livre pour les curieux, d'autant que l'intrigue policière est plutôt convenue et que l'on connait l'assassin dès le début ou presque. Non, ce qui intéresse visiblement plus Feng Hua, ce sont les relations complexes et difficiles entre les hommes et les femmes de la Chine d'aujourd'hui.
Hésitant entre l'émancipation de la modernité et la rigueur des traditions.
Une liberté difficile à gagner et à assumer, au risque de lâcheté et de déceptions amoureuses.
Avec en prime une description instructive des relations dans une grande ville chinoise d'aujourd'hui et quelques bribes de poésie orientale.

[...] Au début du printemps, quand la neige et la glace n'ont pas encore fondu, les fleurs de prunier sont magnifiques sous la neige.


Pour celles et ceux qui aiment la Chine.
Picquier Poche édite ces 352 pages qui datent de 2007 en VO et qui sont traduites du chinois par Li Hong et Gilles Moraton.

mercredi 18 mars 2009

Les tambours de la pluie (Ismail Kadare)

En attendant la pluie.

Cela fait plus de vingt ans qu'on avait découvert Ismail Kadare, porte-drapeau de la littérature albanaise.
Et cela doit bien faire la quatrième fois qu'on lit et relit Les tambours de la pluie, sans doute son meilleur roman, en tout cas celui qu'on préfère.
C'est peut-être aussi la porte la plus facile d'accès sur l'Albanie de Kadare.
En l'an 1443, alors que l'Empire Ottoman est aux portes de Vienne, les albanais de Georges Kastriote faussent compagnie au Sultan ...
C'est le début d'une longue guerre entre l'immense empire turque et la petite et fière Albanie.
Les invasions s'enchaînent, les sièges s'éternisent mais les sultans se succèdent sans succès et la petite et fière Albanie résiste, du moins pendant plus de trente ans.
Il y a un peu d'Astérix ou du village gaulois (l'humour en moins) dans cette histoire. Ou de Jeanne d'Arc (les voix en moins).
Georges Kastriote, dit Skanderberg, devient le héros national.
Les tambours de la pluie racontent l'un de ces sièges, au début du conflit.
[...] - Tu as la chance de participer à une telle campagne. Ici - et il étendit le bras vers les remparts - va se livrer une des plus terribles batailles de notre temps, et tu pourras écrire à ce sujet une chronique immortelle.
- Je ferai de mon mieux.
- Une véritable histoire de guerre, qui sente la poix et le sang, et non pas des histoires imaginaires, de celles que composent au coin du feu des gens qui n'ont jamais vu de combats.
On assiste en effet à un véritable siège du temps jadis, du temps où l'on coulait encore les canons sur place.
[...] La fumée monte jour et nuit de la fonderie. Dès les premiers jours de leur arrivée, le bruit se répandit qu'ils coulaient une arme nouvelle. On dit que son grondement  secoue le sol comme un tremblement de terre, qu'elle crache une flamme aveuglante, et que le déplacement d'air qu'elle provoque rase une maison en un clin d'œil.
Les albanais de la citadelle de Kruja sont assiégés par les innombrables armées turques.
[...] Ils ont tout tenté contre nous, depuis les canons gigantesques jusqu'aux rats infectés. Nous avons tenu et nous tenons. Nous savons que cette résistance nous coûte cher et qu'il nous faudra la payer plus cher encore. Mais sur le chemin de la horde démente, il faut bien que quelqu'un se dresse et c'est nous que l'Histoire a choisis.
Un siège qui s'éternise au fil des saisons et lorsque les turcs trouvent enfin l'aqueduc enterré et secret, on croit bien que la soif aura raison de la résistance albanaise ... jusqu'à ce qu'on entende les roulements des tambours de la pluie.
[...] Qu'était-ce ? Le roulement persistait. Ce n'était pas le prolongement de son rêve. Loin, quelque part dans les profondeurs du camp, les tambours battaient réellement. Il perçut un doux bruissement contre les parois obliques de la tente, et subitement tout s'éclaircit, irrémédiablement. Il pleuvait.
Les tambours de la pluie qui, dans la tradition militaire turque, annoncent l'arrivée des nuages : la saison des pluies sauvera donc les assiégés. Du moins pour cette fois.
Le bouquin de Kadare nous conte tout cela de manière habile : nous sommes en effet dans le camp des turcs, aux côtés du pacha et de son chroniqueur. Dans le camp des "autres" donc, et comme "eux" désemparés devant la citadelle imprenable.
Entre chaque chapitre, quelques lignes nous éclairent sur la situation des assiégés, le camp de Kadare, le camp du "nous".
Car derrière cette histoire médiévale se cache (à peine) le propos de Kadare, chantre de la fierté nationale albanaise.
Cet ancien combat a en effet, pour les albanais, un écho beaucoup plus récent : lorsqu'en 1960, l'Albanie communiste de Enver Hoxha rompt ses relations avec le grand frère soviétique devenu à ses yeux un peu trop encombrant.
Les armées turques (euh, pardon : les armées soviétiques) envahiront Budapest et Prague mais la petite et fière Albanie ne sera jamais inquiétée !
Bien sûr il faut prendre avec un peu de recul le discours de Kadare : les couleurs du nationalisme sont souvent troubles et Enver Hoxha ressemblait sans doute plus à un dictateur communiste qu'au héros Skanderberg de 1443.
Mais les écrits de Kadare ont gardé leur fraîcheur des années 70, bien avant que n'éclatent les balkans. On peut savourer sans arrière-pensée une très belle plume au service de son pays et de sa culture.

Pour celles et ceux qui aiment les récits guerriers.
Folio édite ces 322 pages qui datent de 1970 en VO.

jeudi 12 mars 2009

Le cadavre dans la voiture rouge (Olafur Haukur Simonarson)

Sauve qui peut.

Depuis Arnaldur Indridason et ses polars, on sait que l'Islande est une destination plutôt sombre.
Son compatriote, Olafur Haukur Simonarson, confirme avec un autre polar, Le cadavre dans la voiture rouge, que c'est bien un endroit sinistre.
Jugez plutôt (page 21, on arrive à destination avec le héros en voiture) :

[...] - Le brouillard est-il souvent aussi épais sur le plateau ? demandais-je.
- Le brouillard ! s'exclama-t-il. Dans le coin, nous n'appelons pas ça du brouillard. C'est une belle journée d'été, mon garçon. Ce n'est que quand il faut faire marcher deux hommes devant la voiture qu'on peut parler de brouillard. 

Et un peu plus loin, page 33 :

[...] "Bienvenue à Litla-Sand !" Un grand panneau et, à la différence de ce genre d'écriteau, il ne penchait d'aucun côté. Et, au-dessous, avait été inscrit en lettres maladroites : Sauve qui peut !

Voilà, le décor est planté !
Jonas, divorcé et au chômage, accepte bon gré mal gré un poste d'instit dans ce petit village accueillant de Litla-Sand.
Il y découvrira la face obscure de l'Islande des cartes postales : magouilles locales, affaires douteuses, intimidations, menaces à peine voilées, hypocrisie, et finalement meurtre.
L'astuce du bouquin c'est que dès le début, on sait qu'il y a eu meurtre (l'instit que Jonas est venu remplacer).
Et tout au long de l'histoire, sur les traces de Jonas, on découvre tout l'enchainement qui a conduit à ce crime. 
Même si le cadavre ne sera découvert qu'à la fin du bouquin. Presqu'un polar à l'envers.
La vie quotidienne dans un port de pêche islandais ...


Pour celles et ceux qui aiment les îles lointaines, même froides et pluvieuses.
Points édite ces 285 pages traduites de l'islandais par Frédéric Durand.

vendredi 6 mars 2009

Tout ce que j’aimais (Siri Hustvedt)

Le mal du siècle

Après l'Élégie pour un américain, nous nous sommes de nouveau invités chez Siri Hustvedt, l'épouse de Paul Auster, celle qu'on surnommait dans notre précédent billet, la voisine de Woody Allen (l'humour en moins).
Dans cet autre ouvrage (antérieur), Tout ce que j'aimais, il était d'ailleurs déjà question d'élégie :

[...] Il avait besoin de ces enfants pour sa propre santé mentale et, grâce à eux, il allait composer une élégie à ce qu'ont perdu tous ceux d'entre nous qui vivent assez longtemps - leur enfance.

Une histoire de couples, new-yorkais, en partie juifs, intellectuels ou artistes : nous habitons toujours sur le même palier que Woody Allen et il ne faut pas être allergique !
Ce qui sauve les romans de Siri Hustvedt, c'est sa plume : remarquable d'élégance et de justesse.
Même réticent dans les premiers chapitres, on finit par se laisser doucement bercer par ces lamentations d'intellos.
Au fil de ce bouquin foisonnant, on glanera d'ailleurs quelques belles pages (et passionnantes) sur l'anorexie et l'hystérie, maladies féminines des expériences du professeur Charcot à la Salpêtrière : les expériences de ces médecins du XIX° auraient-elles fini par créer de toutes pièces malades et maladies ?
D'autres pages également sur l'art et la peinture (perso, on a moins aimé).
Mais le véritable sujet de ce roman (presque un essai), c'est la perte de l'enfant et la perte de l'enfance.
La perte de l'innocence en somme.
Deux couples (environ : chez ces gens-là, rien n'est jamais aussi simple bien sûr !), en route pour les sommets de la réussite et de la liberté (artistes à New-York !), mais malmenés par la vie.
C'est la mort qui emportera le fils du premier couple : avec lui, ils perdront cette innocence de l'enfant et leur propre innocence de croire en un monde possible.
L'autre couple ne s'en tirera guère mieux : ce sera le mensonge, l'argent, le sexe, ... qui emporteront également l'innocence de leur enfant et leur croyance en un monde meilleur.
Car Siri Hustvedt revisite ici le mythe d'Icare :

[...] Dédale, le grand architecte et magicien, avait fabriqué ces ailes afin que son fils et lui puissent s'échapper de la tour où ils étaient prisonniers. Il avait averti Icare du danger de voler trop près du soleil, mais le garçon, faute de l'avoir écouté, avait plongé dans la mer. Dédale, n'est pas une figure innocente, néanmoins, dans cette légende. Il a risqué trop gros pour sa liberté et, à cause de cela, il a perdu son fils.

Ceux qui ont ou ont eu des ados y trouveront quelques échos.
La plupart des lecteurs-blogueurs ont préféré Tout ce que j'aimais à l'Élégie pour un américain, mais pour notre part, notre cœur balance ...


Pour celles et ceux qui aiment l'art, les tourments et les ados.
Babel édite en poche ces 453 pages qui datent de 2003 en VO et qui sont traduites de l'américain par Christine Le Boeuf.
MyLou, Anne, Florinette, Camille, en parlent. D'autres avis sur Critiques libres.