vendredi 31 décembre 2021

Inavouable (Zygmunt Miłoszewski)

[...] Y' a un truc qui cloche, dit-elle.

Le polonais au nom imprononçable, Zygmunt Miłoszewski, est de retour avec une nouvelle série, un peu plus thriller et un peu moins polar que celle que l'on avait découverte avec le procureur Teodore Szacki il y a déjà quelques années [clic].
Nous faisons donc connaissance avec le docteur Zofia Lorentz, docteur en histoire de l'art, spécialisée dans la récupération d'œuvres "égarées" qu'elle se charge de réintègrer au patrimoine national.
[...] Le docteur Lorentz était une personne querelleuse, intransigeante, dotée d’une intelligence pernicieuse et incapable de compromis.
Avec Inavouable, elle part en quête du célèbre portrait de jeune homme peint vers 1515 par Raphaël, tableau réputé pour être l'équivalent masculin de la Joconde.
Une (vraie) peinture conservée au musée de Cracovie jusqu'en 1939 avant l'arrivée des nazis, perdue depuis, mais sans doute pas pour tout le monde : toutes les hypothèses sont permises et l'auteur entend bien avancer la sienne !
Depuis ses débuts, Miloszewski n'a rien perdu de sa liberté de ton : ses propos iconoclastes et ses saillies mordantes font toujours mouche, n'épargnant personne et surtout pas ses propres compatriotes, même lorsqu'il s'attaque à des sujets sensibles comme ceux de la dernière guerre.
[...] C’était dommage qu’ils soient nés dans ce pays qui n’avait jamais eu de bol. Vraiment, on avait de la peine à croire qu’ils avaient vécu ici toutes ces années en compagnie des Juifs. Les deux peuples les plus malchanceux du monde côte à côte, comme dans une putain de réserve naturelle de perdants.
[...] Pour les marchands d’art d’Amsterdam et de Paris, ce fut la meilleure période de l’histoire. Quand les Américains ont chassé les Allemands, tout le monde les pleurait à grosses larmes.
— Vous plaisantez ?
— Pas le moins du monde.
Une fine équipe accompagne le docteur Lorentz dans sa quête : un espion qui cache ses talents de Tom Cruise derrière un look d'inspecteur des finances, une voleuse suédoise au sang chaud - sorte de Fantomas des galeries d'art, et l'ex du docteur Lorentz - un dandy marchand d'art ...
Leur mission s'apparente à celle des célèbres Monuments Men de Eisenhower et le récit de Miloszewski est monté comme un film hollywoodien : avec ce scénario Spielberg pourrait sans problème tourner Les aventuriers de la Peinture Perdue.
Bien entendu, la mission de "sécurisation" du tableau ne se déroulera absolument pas comme prévu car attention, une peinture peut en cacher une autre ...
[...] Tout le monde n’a pas à approuver notre mission, ni la manière dont nous allons l’exécuter.
[...] — Y' a un truc qui cloche, dit-elle.
Humour, suspense, histoire, aventures, le cocktail est plutôt réussi, le style de Miloszewski est toujours aussi décapant voire dérangeant, et l'on apprend plein de choses sur le marché de l'art et ses trafics (et pas seulement ceux des nazis).
Le bouquin est un peu long (quelques voyages en Europe rallonge inutilement la sauce) mais le final est aussi intéressant que surprenant.

Pour celles et ceux qui aiment les peintures.
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samedi 25 décembre 2021

BD : Sangoma

[...] Et surtout, on ne remue pas le passé.

Après Zulu Caryl Férey nous invite à nouveau en Afrique du Sud post-apartheid.
La nation construite dans la douleur peine encore à trouver ses couleurs "arc-en-ciel" pour sortir de l'antagonisme noir & blanc et pas sûr qu'un remède de Sangoma (un guérisseur, un sorcier) suffise à lui redonner des couleurs.
Férey et son dessinateur, Corentin Rouge, nous plongent au cœur des discussions sur la redistribution des terres accaparées.
Pendant les débats houleux au parlement, un meurtre est commis dans une exploitation vinicole.
C'est un flic blanc qui va mener l'enquête : Shane Shepperd traîne son look de Bob Morane entre les townships et une trop jolie maîtresse black.
Tout cela nous vaut de belles pages sur les vignobles du Cap ou ses townships.
[...] Personne ne veut faire un pas vers l'autre, comme si les positions s'étaient figées du temps de l'apartheid.
[...] C'est plus l'apartheid, mais on s'échine pareil pour gagner de moins en moins. La ferme est une exploitation, oui, et c'est nous qu'on exploite. La réforme agraire va changer les choses, je vous le promets !
[...] Le meurtre de cet ouvrier agricole est repris en boucle sur les réseaux sociaux pour raviver de vieux conflits.
Comme on pouvait s'en douter avec Férey, le texte est très explicatif mais l'album réussit à condenser dans ses quelques 150 pages, une intrigue complexe où tous les personnages sont reliés les uns aux autres : Bob Morane (!) aura bien du mal à démêler les mensonges, ceux d'aujourd'hui comme ceux du passé.

Pour celles et ceux qui aiment le monde en noir et blanc.
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mercredi 22 décembre 2021

Les huit montagnes (Paolo Cognetti)

[...] Il n'y a rien de mieux que la montagne pour se souvenir.

On a voulu faire la connaissance de l'italien Paolo Cognetti et on a commencé avec Les huit montagnes.
L'auteur y retrace une amitié, depuis l'adolescence  jusqu'à l'âge adulte.
L'essentiel se passe en montagne, dans les Dolomites, au pied du Mont Rose.
Paolo Cognetti nous y parle de sa famille où chacun avait son altitude préférée : la mère aimait la forêt, lui préférait les alpages un peu plus haut et le père enfin était attiré par la pierraille et la glace des sommets.
Cela nous vaut de belles pages sur la montagne mais reste très autobiographique : ce n'est pas vraiment notre tasse de thé et on a eu du mal à se passionner pour les souvenirs du sieur Cognetti.
Dommage, car sa prose est celle d'une belle plume.
[...] J'avais appris à poser les questions des adultes, en demandant une chose pour en savoir une autre.
[...] Il n'y a rien de mieux que la montagne pour se souvenir.
[...] C'était ma mère qui nous donnait des nouvelles l'un de l'autre, habituée qu'elle était à vivre parmi des hommes qui ne se parlaient pas.
PS : La félicité du loup, sera plus réussie.

Pour celles et ceux qui aiment la montagne.
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vendredi 17 décembre 2021

Fenua (Patrick Deville)

[...] On voudrait toujours être ailleurs que là où on est.

Patrick Deville n'est jamais aussi bon que lorsque sa prose érudite et lumineuse parvient à se faire oublier derrière la puissance d'une histoire qui n'est pas la sienne comme dans le remarquable Peste et choléra.
Ici l'écriture de l'écrivain-voyageur s'avère un peu moins légère quand il raconte ses propres périples comme ici à Tahiti, au Fenua (le Fenua, la terre ou le pays en VO tahitienne, comme lorsque l'on dit bienvenue au pays).
Reste tout de même une belle langue, érudite et subtile, et un de ces bouquins qui rendent le lecteur un peu plus intelligent pendant quelques pages.
En Polynésie, nous allons évidemment croiser les routes des géants de la mer, de la littérature et même de la peinture : Bougainville, Cook, Melville, la dynastie des Pomaré, Stevenson, Segalen, Loti et la famille Gauguin et bien d'autres encore.
Celles d'illustres inconnus également comme le chirurgien de marine Gustave Viaud, premier photographe de Tahiti. Le bon docteur nous présentera son frère Julien qui se fera un nom plus tard : celui de Pierre Loti !
Deville est toujours très habile à nous surprendre avec des anecdotes amusantes, des détails étonnants et les liens mystérieux ou les faces oubliées de figures illustres que l'on ne connait finalement que sous les traits stéréotypés d'images d'Epinal.
Comme dans tous ses bouquins, Deville nous donne une pétillante leçon buissonnière d'histoire-géo-culture : il nous mène par la main sur des chemins de traverse à débroussailler, des sentiers à défricher et déchiffrer.
Il passe du coq au fil et de l'âne à l'aiguille, de la littérature à la peinture, de l'histoire coloniale à l'exploration navale, d'un siècle à l'autre.
Ces sautillements culturels pourront dérouter certains lecteurs et les pages seront inégales selon que l'on s'intéressera plutôt à tel ou tel autre personnage voyageur mais tous ces morceaux de biographies forment un parcours pétillant d'intelligence.
On y croise même Elsa Triolet ou Simenon ! À croire que toute l'intelligentsia française s'était donné rendez-vous au milieu du Pacifique !
Il sera bien sûr beaucoup question de peinture et de Gauguin. Le bouquin lui-même est comme un petit musée où l'on déambulerait devant une galerie de tableaux : d'un illustre peintre à un autre écrivain, on navigue d'île en île de cet immense archipel, des îles de la Société aux Marquises jusqu'à celle de Pâques, d'une époque à l'autre.
[...] On voudrait toujours être ailleurs que là où on est, arpenter les recoins de ce monde qui est notre geôle.

Pour celles et ceux qui aiment le Pacifique.
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dimanche 12 décembre 2021

BD : Zaï zaï zaï zaï

[...] Vous avez la carte du magasin ?

La tournée du spectacle monté par Paul Moulin (on vient de le voir et c'est une adaptation difficile mais sympa et très vivante) est l'occasion de ressortir de nos étagères la BD de Fabcaro (aka Fabrice Caro) : Zaï zaï zaï zaï.
Il y a même un film qui va sortir en février 2022 avec Jean-Paul Rouvre !
L'album date lui de 2015 mais n'a pas pris une ride, bien au contraire ! 
Cette histoire farfelue (mais en apparence seulement) résonne d'autant plus fort dans notre monde d'après, comme l'on dit désormais.
Le scénario absurde part d'un fait divers : un jeune homme se retrouve à la caisse d'un supermarché en ayant oublié sa carte de fidélité ...
Les vigiles interviennent, le jeune homme s'enfuit et c'est la cavale, la Une des journaux télévisés, la psychose dans les rues, ...
Fabcaro épingle pas mal de travers de notre société bien pensante et de consommation : le trait est féroce, décalé, percutant, très actuel, dérangeant et politiquement incorrect.
Et chacun en prend pour son grade : les flics et les journalistes, les profs et les complotistes (oui, déjà en 2015), les ados rebelles et les vieux cons, les bobos et même Monsieur et Madame Toutlemonde (c'est à dire vous et moi).
Bref, ça fait du bien.
[...] - Voilà, hier je suis allé faire les courses, j'ai utilisé ma carte et ...
nous ne sommes plus qu'à 37 points de l'appareil à raclette !
- Ooooh Stéphane ! Parfois j'ai peur que tout cela ne soit qu'un rêve.
- Mon amour je t'aime tant.


Pour celles et ceux qui aiment les cartes de fidélité.
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vendredi 10 décembre 2021

Grand calme (Giles Blunt)

[...] C'est une très mauvaise idée.

Décidément, l'année 2021 aura été riche en explorations polaires !
Le canadien Giles Blunt nous invite dans ses terres, ou plus précisément dans ses terres arctiques au nord du Groenland et des îles Ellesmere.
Soyons plus précis encore, puisque ce ne sont pas tout à fait des terres mais des morceaux de banquise à la dérive le long du gyre de Beaufort, sur lesquels sont implantées les "stations dérivantes" où des baraques hébergent pendant de longs mois de quasi solitude, quelques chercheurs et leur labo.
Des régions où règne habituellement un Grand calme.
Dès les premières pages, ça sent pas bien bon malgré le vent glacé, le jour où débarque sur la banquise l'épouse de l'un des chercheurs, une scientifique elle aussi.
[...] Un passager est sorti de l'avion alors que nous approchions.
C'est qui ça ? ai-je demandé.
Rebecca Fenn - la femme de Kurt.
Sa femme ? Je croyais qu'ils étaient séparés.
Oui, mais elle est là pour un projet perso. C'est strictement professionnel, du moins à entendre Kurt.
C'est une très mauvaise idée.
Plus au sud (si l'on peut dire !), dans un coin reculé et gelé de l'Ontario, un duo de flics tombe sur le cadavre d'un homme assassiné dans un motel isolé. Il était avec sa maîtresse qui a disparu et que l'on retrouvera bientôt morte de froid.
Et il y aura d'autres cadavres dans la neige.
Qu'est-ce qui peut bien relier ces deux intrigues (à part le froid) ?
Voilà un départ qui semblait prometteur mais malheureusement la glace ne prend pas et l'ennui guette le lecteur. 
Un lecteur qui a bien du mal à s'intéresser aux scientifiques perdus sur leur morceau de banquise et ça traîne en longueur.
Un lecteur qui trouve inutile la répétition vraiment lourdingue de passages trop racoleurs où la jolie fliquette affronte le tenancier d'un club échangiste plus ou moins SM : c'est répétitif et graveleux, d'autant que le lecteur se doute bien que l'affreux jojo ferait un suspect bien trop évident.
Un lecteur qui devine d'ailleurs assez vite (un indice déposé bien en évidence) comment les deux histoires vont se rejoindre, du moins dans les grandes lignes.
Le dernier quart du bouquin voit les intrigues se dénouer enfin mais cela ne suffit pas à racheter le tout un peu indigeste.
[...] - On a la moindre idée d'où il a pu aller ensuite ? demanda Jerry.
- Un endroit froid.
- Ça pourrait être n'importe où.
- En effet.

Pour celles et ceux qui aiment frissonner (de froid).
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