samedi 26 octobre 2019

Des hommes en noir (Santiagao Gamboa)

Trop de morts, comme toujours.

Ah, on se réjouissait fort d’avoir acheté trois cent grammes de bonne colombienne, promesse de quelques belle soirées.
 Je veux dire, de la bonne littérature colombienne.
Las, comme trop souvent dans ces mauvais deals, la marchandise était frelatée : la déception fut donc grande. Des hommes en noir, ça commençait pourtant bien ce polar du colombien Santiago Gamboa qui nous offrait la visite de son pays militarisé qui peine à sortir de la longue guerre civile avec les FARC tout juste désarmées.
[...] Ce pays est unique au monde : il enfante à la fois des personnes de grande valeur et les assassins qui les tueront.
[...] En fin de compte, ce n’était rien d’autre qu’un épisode de plus parmi les milliers qui ensanglantaient ce pays irascible et cruel.
 [...] Il n’y a pas de pire malheur que d’être pauvre, mais être pauvre en Colombie c’est encore pire. 
Quelques premiers chapitres sympas pour planter le décor et les personnages.
Mais bien vite le récit s’enlise dans une intrigue au sein des églises pentecôtistes où les prédicateurs font main basse sur les jeunes femmes et les gros billets.
 La prose de Gamboa frise souvent l’indigence et ce ne sont certainement pas les scènes racoleuses qui vont sauver le tout : on a bien du mal à finir tout cela, d’autant qu’on en apprend finalement très peu sur cette Colombie d’après guérilla.
[...] Elle avait enlevé son pantalon, découvrant de jolies jambes et une minuscule culotte. Julieta ne put s’empêcher de lui dire : – Mince alors, dans la guérilla on vous laissait porter ces petites culottes ? Ça ne doit pas être très commode pour tirer au fusil. 
Dommage, après nos coups de cœur pour l’Argentine, le Chili ou le Brésil, on aurait bien aimé pouvoir vous recommander ce vol pour Bogota.

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dimanche 13 octobre 2019

L'espion et le traître (Ben MacIntyre)

[...] C’était le KGB qui vous choisissait.

Mieux qu’une fiction de John Le Carré, L’espion et le traître de Ben MacIntyre raconte l’histoire vraie de Oleg Gordievsky, un agent du KGB qui alimenta l’Ouest d’infos cruciales pendant des années, le versant Est de Kim Philby en quelque sorte.
Cette quasi biographie est un gros pavé de 500 pages.
Les deux premières parties, longues et minutieuses, très documentées, décrivent par le menu la carrière de Oleg, ses premières années de kagébiste, ses doutes lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 68, ses contacts avec le MI6 britannique, son ascension au sein du KGB, ...
[...] Le bureau 635 ne conservait que les dossiers en activité. Ils étaient stockés dans des cartons, trois par étagère, deux dossiers par carton ficelé et scellé à la pâte à modeler. 
❤️ Comme pour nous récompenser de notre patience studieuse, la dernière partie flirte avec le thriller lorsque le nom de la taupe arrive aux grandes oreilles du KGB.
Oleg est rappelé à Moscou, les interrogatoires se succèdent, la pression monte, ...
Oleg dépérit, perd plusieurs kilos, mais résiste aux aveux dans l’attente d’une exfiltration.
Gordievsky n’a pas trahi le système soviétique pour de l’argent : il l’a fait par conviction politique pour apaiser les tensions est-ouest et pour amener son pays vers la démocratie. Il est vrai que la quantité phénoménale d’informations classifiées qu’il a transmis au MI6 a très certainement infléchi le cours de l’Histoire. C’est la trame du bouquin de MacIntyre.
[...] Ce pilier du KGB n’était pas seulement un fidèle serviteur du Renseignement soviétique. C’était aussi un espion britannique. Recruté une douzaine d’années auparavant par le MI6, le contre-espionnage anglais, l’agent au nom de code NOCTON se révéla être un des agents secrets les plus précieux de l’histoire. L’immense somme d’informations qu’il procura à ses officiers traitants changea le cours de la Guerre froide. 
On en retiendra deux épisodes peu connus :
1- En novembre 1983, quelque semaines seulement après que les russes aient abattu le vol coréen KAL 007, l’OTAN opère des grandes manœuvres particulièrement réalistes avec des simulations de frappes nucléaires. L’URSS est en pleine panique (le paranoïaque Andropov est aux commandes) et croit dur comme fer que ces manœuvres cachent le fait que les américains (le va-t-en guerre Reagan au pouvoir) vont réellement appuyer sur le bouton.
À titre préventif, ils sont à deux doigts, c’est le cas de le dire, de prendre les devants. La meilleure défense, c’est l’attaque. Oleg Gordievsky transpire et s’efforce de faire comprendre aux alliés de l’OTAN l’état d’esprit des soviétiques.
Selon certains, cette crise méconnue nous aurait amenés encore plus près de l’apocalypse que l’affaire des missiles de Cuba.
2- L’année suivante, un ‘jeune’ cadre soviétique se rend à Londres pour rencontrer Margaret Tatcher. Il s’appelle Mikhaïl Gorbatchov. Grâce aux infos fournies aux deux camps par Oleg Gordievsky, les entretiens entre les deux dirigeants furent de qualité et cette rencontre diplomatique fut un grand succès, propulsant Gorbatchov sur le devant de la scène internationale. Quelques temps après, il pourra prendre la tête du pays.
[...] On compte sur les doigts de la main les espions qui ont changé le monde : Oleg Gordievsky est du nombre. Il dévoila les rouages du KGB à un moment charnière de l’histoire, révéla non seulement ce que le Renseignement soviétique faisait ou ne faisait pas, mais ce que le Kremlin pensait et planifiait. Résultat ? Il transforma la façon dont l’Occident appréhendait l’URSS. 
De l’espionnage et de l’Histoire, le cocktail (un long drink !) est bien dosé .

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
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samedi 5 octobre 2019

De nos frères blessés (Joseph Andras)

[...] Pour eux c’est impardonnable.


Derrière le pseudonyme de Joseph Andras se cache le jeune et mystérieux auteur (il refusa le Goncourt, soupçon d’arrogance ou goût de l’anonymat ?) auteur d’un des rares bouquins français sur la sale guerre d’Algérie : De nos frères blessés.
Un court mais fort bouquin qui relate la condamnation à mort en 1957 de Fernand Yveton, ouvrier français vivant à Alger, proche des communistes.
Il se dit que François Mitterrand voyait dans l’abolition de la peine de mort en 1981, l’occasion de se racheter de la grâce qui n’avait pas été accordée à Yveton (il était Garde des Sceaux pendant “les événements”).
Il faut dire que le jeune Yveton (30 ans) n’était ni vraiment héros, ni vraiment terroriste, à peine un demi-saboteur.
Il n’a tué personne et sa bombinette qui devait détruire un hangar de son usine n’a même pas explosé.
[...] J’ai décidé cela parce que je me considérais comme algérien et que je n’étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien. 
Malheureusement pour lui, son ‘exploit’ manqué arrivait au pire moment après les sanglants attentats du FLN (le Milk-bar, ...) : le pouvoir français se devait de faire un exemple, c’est tombé sur lui.
[...] Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c’est impardonnable. 
Le bouquin retrace une partie de la vie de Yveton, son amour pour l’Algérie et Hélène, sa chérie, mais aussi son arrestation, ses interrogatoires et les tortures, son procès vite expédié et sa décapitation.
Le silence embarrassé du Parti Communiste aussi qui, à l’époque, ne savait trop comment prendre la guérilla indépendantiste.
L’écriture est sèche et nerveuse, la courte lecture (130 pages) fort agréable même si parfois on sent l’auteur à la recherche de la bonne formule, pas toujours heureuse.
Et puis cela éclaire un peu plus ces sombres années de notre Histoire, les bouquins français sur cette période sont plutôt rares [clic].

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire, même quand elle est injuste.
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Torrentius (Pierre Colin-Thibert)

[...] Une discrète manufacture d’images licencieuses.

Pierre Colin-Thibert, auteur de polars et amateur de peinture, entreprend de nous raconter, de nous romancer plutôt, la vie du peintre flamand Johannes Symonsz van der Beeck, alias Torrentius.
L’homme fut suspecté d’être un Rose-Croix et comme on ne plaisantait pas avec les hérésies dans la Hollande rigoriste du XVII°, il fut ‘questionné’ et emprisonné, ses œuvres détruites.
[...] Avec quelques amis, nous nous intéressons aux travaux de Paracelse. À nos yeux, il est l’égal d’un Avicenne ou d’un Averroès. 
Un seul de ses tableaux nous est donc parvenu : une nature morte, mais Colin Thibert nous le décrit comme un libre penseur amateur de bonne chère et de bonne chair qui, pour financer ses excès, dessinait en douce des gravures érotiques fort réalistes et fort prisées.
Il signait ses natures mortes officielles du pseudonyme Torrentius alors que ses initiales (VDB) marquaient ses autres natures bien vivantes.
[...] Étrange personnage qui signe une œuvre inavouable de ses propres initiales et use d’un pseudonyme pour vendre sa peinture. 

Colin Thibert se montre érudit mais modeste et discret et son petit bouquin est fort bien écrit, moderne et enlevé, parsemé d’humour et d’anachronismes savoureux, égratignant les bientôt célèbres contemporains de Torrentius et surtout les prédicants calvinistes, des intégristes dont l’inquisition et l’hypocrisie n’avaient rien à envier à celles des catholiques hispaniques.
[...] Ce Rembrandt a la réputation d’être perpétuellement à court d’argent, une discrète manufacture d’images licencieuses lui assurerait un complément de revenus. Si ce Rembrandt survit aux excès de table, de boisson et de luxure qui sont le lot des Flamands, on peut gager qu’il laissera derrière lui une œuvre considérable.


Pour celles et ceux qui aiment la peinture.
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