samedi 25 mai 2019

Le bûcher de Moorea (Patrice Guirao)

[...] Grandir avec la pluie comme seule saison.

On ne pouvait évidemment pas laisser passer le polar de Patrice Guirao (un popa’a installé de longue date à Tahiti) : Le bûcher de Moorea.
Moorea c’est la belle île qui se trouve juste en face de Tahiti, la banlieue de Papeete en quelques sorte, à une heure de ferry.
Ça commence plutôt bien avec ce qu’il faut d’humour et bien sûr le plein d’anecdotes sur la vie quotidienne de l’île.
Et en prime, un massacre gore sur un marae (les lieux sacrés des anciens) dont on ignore les tenants et les aboutissants.
— Dépêche-toi. C'est le dernier voyage. Tout devrait déjà être dans le feu. On ramène ça et on se casse !
— Et la fille ?
 — Mais arrête, putain ! Elle représente rien. Et puis l'autre est déjà là-bas.
 — On va la laisser, sans finir le travail ? 
L’enquête sera menée par un gentil trio local (un flic et deux vahinés journalistes), dépaysement garanti digne d’une brochure touristique, mais que va venir troubler un mystérieux assassin semi-professionnel venu de métropole, accompagné d’un rat qui parle.
Il se rappela d'un coup où il l'avait vu. Un frisson lui parcourut l'échine. Il connaissait cet homme et son histoire. Cet homme était mort. 
Mais l’intrigue et la prose de Guirao sont aussi luxuriantes et envahissantes que la végétation tropicale du coin. Ça foisonne et ça part dans tous les sens.
D’autant que l’auteur est à la recherche de la petite phrase qui tue (sans jeu de mots) et cette prétention insistante finit vraiment par lasser :
Deviner ce que le ciel pouvait chuchoter à l'horizon.
Ce sont des vivants dont il faut se méfier, pas des morts.
Ne pas regarder le soleil se coucher, c'est entrer dans la nuit par effraction.
L'art de la mort était entré en collision avec celui de l'amour. Il en était né un espoir : en finir avec l'art. 
Dommage que le voyage soit ainsi plombé.
À réserver aux inconditionnels de la Polynésie.

Pour celles et ceux qui aiment les vahinés.
L'avis de Julie Malaure - Le Point.

mardi 21 mai 2019

Une année de cendres (Philippe Huet)

[...] Cette ville moins vivante que le musée Grévin.

Sympathique polar que cette Année de cendres du journaliste normand Philippe Huet.
Le pitch n’était pourtant guère racoleur : une rivalité entre anciens truands corses et nouvelle mafia libanaise dans le décor du Havre (oui, le port). Bof.
Sauf qu’on tient là un très bon bouquin, fort bien écrit, qui a la bonne idée de nous faire visiter toute l’histoire (méconnue) de ce grand port français, nécessairement lieu des pires trafics.
Une petite introduction (qu’on aurait aimée plus étoffée d’ailleurs) nous emmène dans les années de l’immédiate après-guerre quand des millions de GI de l’oncle Sam campent ici en attendant l’un des bateaux de la noria qui les rapatrie au pays (il faudra 2 ans !).
Evidemment les GI sont approvisionnés en tout ce qu’il faut, en tout ce qu’il faut pour le marché noir d'une mafia corse qui se refait une santé après avoir plutôt mal vécu la Libération ... ils n’avaient pas choisi le bon camp.
Et puis on se retrouve aujourd’hui entre les vieux de la vieille et les nouveaux venus, la querelle des anciens et des modernes.
[...] Bechir Hamri de la bande des Libanais, qui traficotait sûrement avec Charoub, du côté de Beyrouth. Et Bechir Hamri qui rencontre Baptiste Lanzi, caïd corse de la ville. Pour quelle raison ? Ils tiennent tous des bars ou des boîtes de nuit. Les anciens d’un côté, les modernes de l’autre. Les anciens qui font la gueule, les modernes qui veulent tout bouffer. Rivaux ? Ou alors, ils sont en train de s’arranger… 
L’auteur n’échappe évidemment pas à son ancien métier de journaliste et l’un des héros de l’affaire est un journaleux à la Rouletabille qui nous vaut quelques belles pages sur ce métier que l’on sait ô combien nécessaire.
[...] Un malade, un intoxiqué de l’imprimé, un drogué de l’information. Tout le passionnait dans ce métier, absolument tout. Il passait ses nuits à l’atelier ou à la photogravure, écoutait tourner les rotatives comme s’il s’agissait du chant des sirènes. 
Et puis la découverte (on peut le dire) de cette étrange ville du Havre, entièrement détruite, entièrement reconstruite, que Philippe Huet sait nous raconter avec dérision ...
[...] Il était là depuis six jours, et n’en pouvait plus de cette ville moins vivante que le musée Grévin.
Mais ce qui fait tout le sel (marin) de ce bouquin, ce qui fait que l’on s’accroche à cette intrigue convenue dans une ville fantôme dès les premières pages, c’est l’art de l’auteur de camper tous ses personnages, en veux-tu en voilà, des premiers rôles, des seconds couteaux, des figurants, tous ont droit à de belles pages. C’est savoureux.
On a vraiment bien aimé, on reviendra lire Philippe Huet, on garde le coup de cœur pour un prochain roman du normand.

Pour celles et ceux qui aiment les ports.
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