vendredi 28 février 2014

Comme dans un rêve (Leif Gustav Willy Persson)

The biggest cold case.

On avait déjà rencontré le suédois Leif Gustav Willy Persson avec un drôle de roman mi-polar, mi-espionnage. C’était il y a deux ans presque jour pour jour avec La nuit du 28 février, bien nommé en cette saison. Ce précédent bouquin dressait le portrait d’une sorte de J. Edgard Hoover suédois à la tête de la police secrète (la DST suédoise) et déjà évoquait le célèbre politicien, Olof Palme.
Du même auteur, voici un autre pavé : Comme dans un rêve et nous sommes toujours en février, ce même 28 février 1986, jour du traumatisme suédois, cette soirée où Olof Palme est assassiné en pleine rue.
Pour être exact nous sommes en 2006 : vingt ans après. L’assassinat n’a jamais été élucidé et c’est devenu l’une des affaires criminelles les plus célèbres et un peu la honte de la police suédoise.
Leif GW Persson imagine donc qu’en 2006, le directeur de cette police ré-ouvre le dossier (l’hénaurme dossier, le plus gros dossier criminel de toute la planète) et reprend l’enquête à zéro … avec ce qui reste des témoins car beaucoup sont décédés depuis.

[…] - Je ne sais pas si tu es passé chez nous jeter un coup d’ œil, mais il y a une quantité industrielle de documents. C’est tout simplement gigantesque. Le dossier occupe l’équivalent de six bureaux dans notre couloir. […] La salle est pleine à craquer de classeurs et de cartons, du sol au plafond.
[…] D’après ce que nous en savons, mes collègues du groupe et moi-même, c’est le plus gros dossier de l’histoire mondiale de la police. Apparemment, il est plus volumineux que le dossier d’instruction sur le meurtre de Kennedy, et que l’enquête sur l’attentat du Jumbo Jet de Lockerbie, en Écosse.

Olof Palme c’est un peu le Mitterrand suédois et son assassinat mystérieux est un peu à l’Europe, ce que celui de JFK est aux US.
Que ceux qui espéraient un polar à l’américaine, urbain et trépidant, passent leur chemin. La marque de fabrique de Leif GW Persson, c’est la procédure documentée, le dossier minutieux. Autant dire qu’avec les montagnes de cartons refroidis et d’archives poussiéreuses que représente le dossier Palme, il peut s’en donner à cœur joie !
La petite équipe mobilisée par le chef de la police nous est vite sympathique et l’on se passionne pour ce travail de fourmis qui consiste à éplucher, classer, archiver, indexer, tous ces dossiers, interrogatoires, procédures, … qui dorment depuis vingt ans dans les sous-sols.
Les conditions de l'assassinat du premier ministre sont scrupuleusement et fidèlement retracées.
Bien vite le manque de rigueur et les incohérences de l’enquête initiale refont surface et c’est de nouveau l’heure des hypothèses et des remises en cause.
Le reste de l'enquête n'est évidemment que pure fiction spéculative dont le principal intérêt est de nous emmener explorer les arcanes et les coulisses des milieux politico-policiers de la Suède : la Säpo (la DGSE ou la DST de la Couronne), le marchand de canons Bofors (le Dassault suédois) ...
Mais les amateurs de scoop fracassant ou de révélation croustillante en seront pour leurs frais.
Il faut même un peu de courage pour rester accroché au copieux dossier durant ses 600 pages, d'autant qu'à plusieurs reprises (à de trop nombreuses reprises) intervient un personnage imbuvable, un flic grossier et machiste, un beauf complet (oui, même là-haut y'en a) qui nous vaut quelques pages de grossièreté complaisante, assez désagréables à parcourir : on veut bien croire que Leif Persson a des comptes à régler avec peut-être quelques anciens collègues mais quel intérêt ici ? Autant dire qu'une fois qu'on a compris que l'affreux jojo n'apportait pas grand chose à l'enquête, on traverse ces marais nauséabonds en diagonale.
Reste l'équipe d'enquête on l’a dit : quelques filles et garçons sympas (ouf !), ravis de travailler pour le grand patron qui dirige les investigations en douce et en marge de l'enquête officielle, sous prétexte de ré-indexation des archives du dossier Palme. Cela nous vaut quelques pages savoureuses.


Pour celles et ceux qui aiment l’Histoire de leurs voisins.
D’autres avis sur Babelio. Namoureux et Jean-Marc en parlent.

vendredi 21 février 2014

Juste une ombre (Karine Giebel)

Carnage au-dessus d’un nid de coucous.

Le niveau intellectuel de ce blog baisse lentement mais régulièrement, c’est désormais évident : après Avant d’aller dormir lu il y a peu, voici maintenant Juste une ombre de Karine Giebel, qu’on pourrait sous-titrer : il ne faut surtout pas s’endormir.
Encore un polar tgv écrit et lu à vive allure, peut-être encore plus vite que le précédent. On se surprend même à lire en diagonale de nombreux passages : c’est dire que ces pages ne laissent pas un souvenir impérissable et qu’on se demande à quoi pensaient les jurés de Cognac en lui décernant le prix du meilleur polar français en 2012.
Mais comme tous ces ‘page-turner’, une fois de temps à autre (bon, là d’accord, ça fait deux fois), ça permet de se relaxer les neurones et de se vider la tête. De quoi apprécier d’autant plus le prochain bon bouquin !
Voici donc l’histoire de Cloé. Une drôle de bonne femme, genre cadre parisienne bcbg, une vraie tueuse au boulot comme en amour, pas vraiment sympa, une garce pourrait-on dire, qu’on est même presque content qu’il lui arrive des choses pas sympas.
Elle a vu juste une ombre. Une ombre qui rentre chez elle, la nuit quand elle dort. Qui la suit. Qui fouille dans ses affaires. Pire encore.
Personne ne la croit évidemment, ni ses amis (si elle en a), ni la police. Peu à peu l’ombre se rapproche.
Avis à ceux qui ne sont pas paranos, non pas du tout, mais qui ont quand même plein d’ennemis partout.
[…] Tu mènes une vie normale, banale, plutôt enviable. Tu sembles avoir réussi, au moins sur le plan professionnel, peut-être même sur le plan personnel. Question de point de vue. Tu as su t’imposer dans ce monde, y trouver ta place. Et puis un jour… Un jour, tu te retournes et tu vois une ombre derrière toi. Juste une ombre.
[…] Une ombre, vingt mètres derrière moi. Un homme, je crois. Pas le temps de voir s’il est grand, petit, gros ou maigre. Juste une ombre, surgie de nulle part. Qui me suit, dans une rue déserte, à 2 heures du matin. Juste une ombre …
[…] Elle ne sait pas ce qui l’effraie le plus : être victime d’hallucinations ou réellement poursuivie par un inconnu. 
À l’autre bout du bouquin voici Gomez, un flic border-line, et même un peu de l’autre côté de la border-line. Il est en train de perdre sa femme, phase terminale. Pas gai. Il pète un peu les plombs, foire une planque avec son coéquipier, le voici suspendu.
En congés forcés. Dont il ne sait pas quoi faire.
Alors évidemment (z’aviez compris hein ? futés !) le flic border-line va rencontrer la garce parano. L’auteure n’en est plus à une invraisemblance près et le bouquin se terminera dans un carnage apothéotique. On se demande même parfois si Miss Giebel ne flirte pas avec le second degré, on guette quelque indice, mais non, tant pis, c’est juste too much.
Ah, j’oubliais : une petite pirouette finale avec une dernière demi-page toujours aussi invraisemblable mais plutôt bien vue.
Voilà : fin de l’histoire qu’on aura dévoré à vive allure. On peut enfin aller au lit en prenant soin de bien fermer les portes à double-tour. Et passer le livre à son voisin. Qui ronflait déjà et a bien fait d’en profiter : demain soir c’est lui qui pourra pas fermer l’œil.

Pour celles et ceux qui aiment se faire peur.
D’autres avis chez Babelio.

jeudi 13 février 2014

Le papillon de Siam (Maxence Fermine)

À la chasse au papillon.

En souvenir d’un excellent bouquin lu de Maxence Fermine il y a quelques années (c’était Neige et c’était en 2007, presque jour pour jour), et en prévision d’un tout prochain voyage dans le delta du Mékong jusqu’à Angkor, nous voici embarqués sur les traces d’Henri Mouhot à la recherche du Papillon de Siam.
Vous ne connaissez pas ? Nous non plus, jusqu’à il y a quelques semaines, lorsque nous sommes allés à l’expo du musée Guimet sur la naissance du mythe d’Angkor.
L’explorateur (et dessinateur) de l’expo c’était Louis Delaporte qui marcha quelques années plus tard sur les traces d’Henri Mouhot, le premier découvreur occidental du site d’Angkor.
Maxence Fermine nous raconte donc l’histoire, la biographie à peine romancée, de cet Henri Mouhot, né en 1826 au fin fond de la France froide et profonde, à Montbéliard.
Tout jeune, encouragé dans ses lectures par un professeur que Fermine compare à celui de Rimbaud, pressé de quitter sa grise et froide Franche-Comté natale, le jeune Henri est fasciné par les voyages,  l’orient en général et le Siam en particulier (à cause de l’une de ses lectures).
[…] Déjà, il est fasciné par l’immensité de la surface de la terre et se dit, avec raison, qu’il n’aura jamais assez d’une seule vie pour en faire le tour.
Bientôt il réussit à faire financer une expédition par … les anglais.
En 1858, le voici missionné pour ramener un papillon rarissime.
À l’arrivée, point de papillon mais les dessins et le récit de la cité oubliée d’Angkor que, à peine six ans plus tard, Louis Delaporte rendra célèbre (et réciproquement).
[…] - Votre mission est donc une réussite.
Henri Mouhot lui adresse un regard las et désabusé.
- Au contraire, il s’agit d’un échec. J’ai trouvé ce que je n’attendais pas, tandis que m’a été refusé ce que j’espérais.
- En somme, […] vous venez de faire connaissance avec l’ironie de l’existence.
Voilà pour le décor historique et colonial, rendu fidèlement par Maxence Fermine dans son petit bouquin.
On repense évidemment à notre coup de cœur 2012 : c’était Peste et choléra, où Patrick Deville nous romançait la vie du suisse Alexandre Yersin, parti lui aussi en Asie du sud-est (mais ce sera plus tard, au début du XX° siècle).
Cet orient mystérieux et lointain a de tout temps fasciné les occidentaux (et nous ne sommes pas les derniers).
Ces explorateurs aventureux et capables de tout plaquer pour leur passion ont toujours suscité admiration et envie (et nous ne sommes pas les derniers).
Alors que dire de l’irrésistible attraction  qu’exercent ces explorateurs téméraires partis jusqu’en extrême-orient chercher gloriole et palud, à une époque où l’avion ne mettait pas encore les plages de Thaïlande à portée d’une semaine de congés payés !
[…] - Si d’aventure mon récit de voyage devait être publié, ce n’est pas moi qui deviendrait célèbre, mais la cité d’Angkor !
La prose de Maxence Fermine n’a ni le souffle épique ni la verve pétillante de celle de Patrick Deville.
Mais on retrouve avec grand plaisir une belle écriture pleine de poésie que l’on avait découverte dans Neige. Fluidité et légèreté de la langue française : une plume contemporaine et française à découvrir, vraiment.
On a encore d’autres petits bouquins de cet auteur dans la pile et on en reparle donc très bientôt.
Pour conclure avec un brin de mélancolie, on regrette déjà que notre futur voyage ne nous conduise pas jusqu’à Luang Prabang (c’est au Laos, découvert avec Colin Cotterill) où, depuis 1861, repose en paix ce fascinant Henri Mouhot …
De quoi nous motiver plus tard pour repartir à la chasse au papillon …

Pour celles et ceux qui aiment les voyages et l’orient.
D’autres avis sur Babelio.

jeudi 6 février 2014

La ferme du crime (Andrea Maria Schenkel)

Le rapport de Schenkel.

L’allemande Andrea Maria Schenkel s’est emparée d’un fait divers des années 20 qui avait vu une famille sauvagement assassinée dans sa ferme au fin fond de la Bavière.
Son petit bouquin La ferme du crime, replace cette sombre histoire à une sombre époque : juste après guerre, les survivants à peine libérés ou démobilisés.
On découvre le drame (et plus tard ses raisons) par touches successives, on tourne autour, en spirale, au fil des témoignages des uns et des autres.
Chaque court chapitre donne la parole à l’un des acteurs du drame. Peu à peu, on découvre la triste vie de cette famille à l’ombre écrasante du père Danner.

[…] Quand Loïs et mon mari sont revenus à la ferme, ils ont rien eu besoin de me raconter. De loin déjà, à la façon dont ils marchaient, j’ai compris qu’il avait dû se passer quelque chose de terrible. Quand ils se sont assis dans la salle à manger, tous pâles, j’en ai été convaincue. On pouvait lire l’horreur sur leurs visages. Dans les nuits qui ont suivi, mon mari s’est souvent réveillé en sursaut. La vision de ces morts ne lui laissait pas de répit.
On a du mal à imaginer qu’une chose pareille arrive chez nous. Mais que Danner soit pas mort dans son lit, ça m’étonne pas plus que ça.
Il faut pas dire du mal des morts, c’est pour ça que j’aime pas parler d’eux. Vous savez, on vit dans un petit village. les commérages vont bon train, je préfère pas trop en dire.

Et oui, un petit village où l’on n’en dit pas trop même si chacun sait bien ce qui se passe à Tannöd, derrière les murs de la ferme des Danner. Une sombre famille dans une sombre région à une sombre époque. Il y avait de quoi en vouloir à cette famille, certainement de quoi vouloir venger quelque chose ou quelqu’un ?
Dès les premières pages tous les ingrédients du massacre sont réunis, haine, envie, désir. Ce n’est qu’une question de temps, une question de pages.

[…] Quand j’ai vu les corps, je me suis senti mal.
Et c’est pas que je sois tellement impressionnable. À la guerre, j’en ai vu plus qu’assez, vous pouvez me croire. Tous ceux qui ont fait la guerre, ils ont bien vu assez de morts, ça devrait suffire pour toute une vie.

Une ambiance pesante, étouffante (on repense aux images du Ruban blanc, on songe aussi parfois au Rapport de Brodeck dont l’ombre imposante écrase un peu ce petit livre).
Pas un seul des personnages n’est vraiment sympathique. Finalement leur silence les rend tous plus ou moins complices ou pire, de ce qui se passait chez les Danner et donc de ce qui terminera cette histoire.
Heureusement le livre est court : quelques pages pour apprécier l’écriture d’Andrea Maria Schenkel mais pas trop pour ne pas nous happer complètement dans cette horreur moyenâgeuse.
Certainement pas une promotion pour le tourisme rural en Bavière.


Pour celles et ceux qui aiment les sombres histoires, même si elles sont vraies.
D’autres avis sur Babelio.