vendredi 19 juillet 2019

Toute une vie et un soir (Anne Griffin)

[...] Cinq toasts, cinq personnes, cinq souvenirs.

Voilà une bonne et douce lecture qui coule toute seule comme une pinte de bonne bière accompagnée d’un verre de whisky.
Maurice Hannigan est venu accouder ses 84 ans au bar du Rainsford House Hotel.
Il commandera cinq verres et portera tout seul cinq toasts aux cinq compagnons de sa longue vie : son frère, sa femme, sa belle sœur, ses deux enfants.
[...] Je suis prêt pour le premier de mes cinq toasts : cinq toasts, cinq personnes, cinq souvenirs. Je pousse vers elle ma bouteille vide.
Cinq occasions de nous raconter toute une vie en un soir, la vie irlandaise de ce fils de maquignon qui commença les pieds dans la boue des étables et finit riche propriétaire.
Sans effets ni esbroufe, la lecture coule agréablement et, comme un client attablé derrière ce vieux bonhomme qui parlerait tout seul au bar, on écoute Monsieur Hannigan nous raconter sa vie.
[...] Monsieur Hannigan, ce n’est pas en buvant que vous surmonterez votre deuil. »
Qu’est-ce qu’il en connaît du deuil, tu peux me le dire ? Il sort à peine des couches-culottes, ce petit con ! 
Au fil des chapitres en guise de MacGuffin, reviendra régulièrement l’histoire étrange d’une pièce d’or mystérieuse, un souverain d’or frappé pour Edouard VIII dans les années 30.
Et pour faire glisser les pintes de bière, l’auteure irlandaise Anne Griffin, nous maintient en haleine avec un faux suspense car il est bien clair que Maurice Hannigan manigance quelque chose pour cette soirée pas comme les autres ...
Une bonne et agréable lecture sans prise de tête.

Pour celles et ceux qui aiment la bière et le whisky.
D'autres avis sur Bibliosurf.

jeudi 18 juillet 2019

Une confession (John Wainwright)

[...] L’enquête la plus absurde qu’on puisse imaginer.

Curieux livre que cette Confession (Cul-de-sac en VO) de l’anglais John Wainwright, bouquin écrit dans les années 80, salué à l’époque par George Simenon, mais traduit en français seulement aujourd’hui.
L’auteur est également celui d’un autre polar : À table qui a donné le fameux Garde à vue au cinoche.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’auteur (décédé en 1995) a beau avoir une tête d’Hercule Poirot et le bouquin dater du siècle dernier, l’écriture est suffisamment ‘moderne’ pour passer facilement aujoud’hui.
Curieux livre également que ce polar peut-être sans crime et en tout cas sans arme : le couple sans âme de John et Maude, la cinquantaine vieillissante, n’en finit plus de s’éteindre.
[...] D’après ce que je sais, les mariages des autres ressemblent au mien. Les deux parties gardent soigneusement pour elles (comme nous) leurs querelles. Des disputes dissimulées. Des humiliations cachées. En apparence, les autres sont heureux. Moyennement heureux. Tout du moins, ils ne s’affichent pas ouvertement comme malheureux. 
Au cours d’une de leurs rares balades, Maude dégringole en bas de la falaise.
L’affaire de cette mauvaise chute est rapidement classée.
 Sauf qu’un témoin se réveille un peu plus tard, un peu trop tard, pour annoncer qu’il aurait vu ce jour-là John pousser sa femme ...
Evidemment le mari est toujours le premier suspect, air connu, c’est évident. Tellement évident justement que le lecteur se demande bien où Wainwright veut l’emmener ...
Convaincu d’avoir à faire à un crime quasi-parfait avec une vraie victime et un véritable assassin, un flic opiniâtre et tenace (un conseil : éviter sa région si vous passez en Angleterre) va s’attacher à remonter le fil (le journal intime de John, les interviews de ses (rares) proches, ...) pour apporter la preuve de la culpabilité de John. Pas si simple.
[...] Les meurtres « tranquilles »… qui pourraient tout aussi bien ne pas en être. Formuler une hypothèse. Choisir qui croire. Puis, à tort ou à raison, dérouler l’hypothèse jusqu’à sa conclusion irréfutable. Identifier le meurtrier, puis poser des questions à son sujet. Le connaître avant de le rencontrer. Son caractère, ses forces, ses faiblesses. De la patience. La patience du vrai bon boulot de la police judiciaire. Ne pas se lasser. Ne jamais s’estimer satisfait. 
On peut reprocher à ce polar ‘psychologique’ quelques longueurs dans les pages du journal intime de John, quelques répétitions dans les atermoiements du témoin ou les mauvaises humeurs du flic, un usage immodéré des italiques pour souligner certains mots, mais l’intrigue est suffisamment inhabituelle et l’écriture plaisante pour que l’on recommande vivement cette bonne lecture.
Et puis la grande scène finale, ah ! Quel art du dialogue entre les cinq personnages réunis autour de la table ! Quand tous les fils tissés tout au long des pages viennent se nouer en quelques pages à haute densité, c’est magique.
[...] Les tactiques d’interrogatoire n’avaient aucun secret pour Tallboy. Il les avait pratiquées des centaines de fois. Mais jamais de la sorte.
[...] Tallboy se rendait compte qu’il assistait à quelque chose qui se rapprochait de la magie. Cette histoire. Ça allait dans le mille chaque fois. Mais comment ? 
À savourer comme un bon whisky.
[...] Je connais la fin. Quelqu’un doit la raconter. Soit vous, soit moi. Je suis beau joueur, je vous laisse le choix. 
Allez, on est beau joueur également : on vous laisse la découvrir !

Pour celles et ceux qui aiment les interrogatoires.
D’autres avis sur Bibliosurf.

samedi 6 juillet 2019

Manuel à l'usage des femmes de chambre (Lucia Brown Berlin)

[...] – Ta mère va encore se suicider.

Avec sa gueule d’ange à la Grace Kelly, l’américaine Lucia Brown Berlin est une auteure bien mystérieuse : pratiquement inconnue de son vivant (elle nous a quitté en 2004 à 70 ans), elle n’écrivait que de très très courtes nouvelles et il n’existe pratiquement qu’un seul (gros) recueil posthume au titre énigmatique : Manuel à l’usage des femmes de chambre.
Ajoutons à cela une vie bien remplie : trois fois mariée, quatre fois maman, née dans les mines d’Alaska, enfant solitaire au Texas, jeune femme riche au Chili, artiste bohème à New-York, infirmière aux urgences d’Oakland, alcoolique en désintoxe, entre autres vies ...
Le bouquin aurait pu s’intituler Les vies multiples de Lucia Brown Berlin, en clin d’œil à William Boyd.
Tout cela fait de son bouquin, un ouvrage culte propre à nourrir tous les mythes.
Toutes ces petites nouvelles se conjuguent d’un JE puissant dont l’usage s’est un peu perdu aujourd’hui et sous son apparente légèreté, la plume très autobiographique de Lucia Berlin est assurément d’une certaine gravité : la solitude, l’alcoolisme, la vieillesse, la maladie.
[...] Code Bleu. Bon, tout le monde aime bien. C’est quand le patient va mourir – son cœur lâche, il cesse de respirer – mais l’équipe de réanimation arrive parfois – souvent – à le ressusciter. Même si c’est un octogénaire fatigué on ne peut manquer d’être captivé par le suspense, ne fût-ce que provisoirement. 
Toutes ces courtes nouvelles se répondent et se font l’écho des mille et une vies de Lucia, et chacun y piochera selon son humeur du moment.
[...] Je suis heureuse. Quand je me réveille le matin, j’ai mal aux joues à force de sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes (et l'alcool un peu aussi).
D’autres avis sur Bibliosurf.