dimanche 1 mars 2015

Un fond de vérité (Zygmunt Miłoszewski)

Le long de la Vistule

Un petit tour en Pologne ?
C’est ce que nous propose un nouvel auteur de polar (enfin, nouveau pour nous) au nom pas facile à retenir : Zygmunt Miloszewski, voilà c’est dit.
Un fond de vérité est son deuxième polar, après Les impliqués.
On est un peu surpris au début par une prose parfois crue qui semble presque épicée d’une once de vulgarité et d’une pincée de violence verbale.

[…] Il pouvait fixer un rencard à cette poule de province et la prendre debout contre la table de la cuisine.
[…] Szacki n’en croyait pas ses oreilles. « C’est de la connerie en barre. Le mensonge le plus débile que j’ai entendu au cours de ma carrière. »

Mais après quelques pages, l’on s’y fait peu à peu, imaginant comme le suggère l’auteur lui-même que cela relève peut-être de la culture polonaise, du moins en partie.

[...] Leon Wilczur souffrait d’un mal typiquement polonais : même lorsqu’il décrivait une personne de manière positive ou neutre, cela sonnait comme une série d’invectives. [...]
Son mépris général du monde salissait tous ceux dont parlait le vieux flic.

Ce ton parfois étrange est aussi celui du costume du personnage principal : le procureur Teodore Szacki, légèrement misanthrope, franchement misogyne, carrément cynique et parfaitement désabusé, tant vis à vis de ses concitoyens que de lui-même. Cette autodérision finit même par nous rendre ce drôle de personnage plutôt sympathique.
Cela nous change des détectives imbibés que nous fréquentons habituellement.
Et cela nous vaut quelques pages à l’humour très second degré et très féroce.

[...] Un boucher issu d’une longue lignée de bouchers polonais qui avait le dépeçage de carcasses dans le sang. Pouvait-on trouver poste plus adéquat pour cet homme ? Dépassant son appréhension, Szacki fit un pas en avant et lui tendit la main. « Teodore Szacki, procureur de district. » Le géant sourit d’un air débonnaire et, timidement, enroula les doigts de Szacki dans la montagne de chair attachée à son avant-bras. « Paweł Boucher, ravi de faire votre connaissance. Basia m’a parlé de vous. » À tout hasard, ne sachant si c’était une plaisanterie, Szacki prit pour argent comptant ce nom d’origine française. Il datait peut-être des guerres napoléoniennes.

Voilà pour le côté plume.
Côté polar, le procureur Teodore Szacki vient donc d’être muté dans une petite bourgade de province, tout au sud de la Pologne, près de Cracovie : à Sandomierz.

[...] Il avait déjà compris que le manque qu’il ressentait en visitant les appartements de Sandomierz était un manque d’Ikea. À Varsovie, il était impensable qu’un logement standard de classe moyenne ne soit pas équipé au moins pour moitié de mobilier fabriqué par la firme suédoise. Par ici, dans les bonnes maisons, le style bourgeois de Cracovie était de rigueur, c’est-à-dire une multitude d’étoffes saturées de poussière, capables d’abattre un allergique en un clin d’œil, des buffets sculptés et des miroirs troublés par l’âge.

Il s’y ennuyait et dépérissait jusqu’à ce qu’un ‘vrai’ crime y soit enfin commis pour son plus grand bonheur et le nôtre.
Le polar de Zygmunt Milosweski se laisse lire sans déplaisir aucun. Le montage est plutôt classique mais cette fois nous sommes du côté des magistrats et de la justice, les flics n’apparaissent qu’au second rang.
Milosweski arrive même à renouveler les scènes pourtant vues et revues de l’autopsie.
La trop parfaite Ela Budnik est retrouvée égorgée à la mode casher ou halal.
Voilà qui sent la mise en scène antisémite.

[...] Dimanche, les époux Budnik étaient encore ensemble, pensa-t-il. Après quoi, Greg réapparaît mardi dans un resto et y commande deux dîners à emporter. Et Ela n’émerge que le mercredi, sous la forme d’un cadavre d’albâtre dans les buissons près de l’ancienne synagogue. Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ?
[…] Son regard glissait sans cesse vers la gorge découpée plusieurs fois et pratiquement jusqu’à la colonne vertébrale. Selon les Juifs, et probablement aussi selon les Arabes, c’était la manière la plus humaine de donner la mort. Est-ce que ça voulait dire qu’elle n’avait pas souffert ? Il en doutait sincèrement. D’ailleurs, la prétendue humanité des abattoirs casher était loin de le convaincre.
[...] Je te le répète, Sandomierz, c’est la capitale mondiale du meurtre rituel. C’est la ville où les enlèvements d’enfants et les pogroms qui en résultaient étaient aussi cycliques que les saisons d’une année. C’est la ville où l’Église encourageait cette bestialité, l’avait presque érigée en institution. Dans notre cathédrale, on voit encore aujourd’hui un tableau représentant le meurtre d’enfants catholiques par des Juifs. On a tout fait par ici pour balayer ce pan de l’histoire sous le tapis.
[...] Ainsi, il devait mener une enquête dans une ville épiscopale au passé antisémite à propos du meurtre d’une militante associative réputée ayant été égorgée rituellement comme une vache dans un abattoir juif.

Oui sous ses airs potaches, profitant d’une intrigue policière, Zygmunt Milosweski explore les penchants antisémites de ses concitoyens et un côté un peu obscur de la Pologne et de son Histoire.
On se rappelle ce même contexte découvert dans la forêt polonaise, noire et profonde, de Charles T. Powers.
Toute ressemblance avec des pays voisins serait bien sûr fortuite.
L'intrigue policière et l'enquête du procureur sont presque dignes d'Agatha Christie.
Miloszewski est un journaliste (chaque chapitre est d'ailleurs introduit par une sorte de petite éphéméride amusante reprenant des titres de ‘journaux’) un journaliste écrivain à l'écriture directe, émaillée de petites phrases que l'on devine comme autant de piques parfois ironiques, parfois féroces, adressées à ses concitoyens.
Dans son roman, quelques personnages clés, plutôt bien dessinés : les autres acteurs ne servent souvent que de faire-valoir.
Pas mal de discours également (mais qui passent assez bien) : Miloszewski veut faire entendre ce qu'il a à dire sur ‘sa’ Pologne (et donc sur l'antisémitisme de ses compatriotes, c'est le thème principal).
Il est notamment fait allusion au pogrom de Kielce (dans la région de Sandomierz) qui eut lieu en 1946, donc après la guerre, contre des juifs survivants de retour des camps ou d'URSS.
Mais en dépit des horreurs qui sont évoquées, Zygmunt Miloszewski brosse un fort alléchant tableau de cette petite bourgade de province au bord de la Vistule, qu'il semble bien connaître et apprécier (son frère y vit) ... à tel point que l'on est même allé voir quelques photos de Sandomierz chez gougoule en regrettant de ne pas avoir fait le détour lorsque nous étions passés par Cracovie ! 

Pour celles et ceux qui aiment les petites villes de province, même en Pologne.
D’autres avis sur Babelio.


1 commentaire:

Dominique a dit…

je note celui là
j'avais bien aimé "en mémoire de la forêt" et par ailleurs j'ai lu le livre de Gross " la peur" sur les pogroms en Pologne après guerre ( à lire !!) qui peut faire lire ce roman un peu autrement je suppose