jeudi 30 avril 2015

La décimation (Rick Bass)

Aye, soldados desgraciados.

On (nous les premiers) on critique souvent les étatsuniens pour leur géocentrisme et leur méconnaissance du reste du monde et même de notre Europe. Mais de notre côté, peut-on se vanter de connaître autrement que très superficiellement l'histoire (pourtant très courte !) de cette fédération nord-américaine ?
Ce bouquin de Rick Bass, La décimation, est une petite leçon sur l'histoire du Texas : le deuxième plus grand état de la fédération (après l'Alaska) et le deuxième plus peuplé (après la Californie). Un état dont la superficie dépasse celle de la France.
Autant dire un des piliers de ces Etats-Unis.
Autant dire que son histoire particulière éclaire celle plus générale de l'ensemble de la fédération.
Après être resté longtemps une colonie espagnole, il fut intégré au Mexique nouvellement indépendant. Pendant quelques années (vers 1840), Samuel Houston proclama le Texas comme nation indépendante avant d'accepter le rattachement aux Etats-Unis (lone star) dont la protection permettait de garder les mexicains au-delà du Rio Grande. Cette région connut donc près d'un demi-siècle de guerres, contre les Comanches, puis les Mexicains, puis même contre les Etats abolitionnistes du nord.

[...] Nous nous trouvions de notre côté de la frontière, entre Texans, car l’on ne pouvait pas encore vraiment parler d’Américains : nous étions toujours une nation séparée. 

Rick Bass prend prétexte d'un épisode réel de 1842 : une milice texane, à demi encouragée par le gouvernement de Sam Houston (quand tout va bien), à demi désavouée (quand ça tourne mal), une milice de volontaires et de patriotes, une bande d'irréguliers franchit la frontière contestée et commet une série d'exactions et de pillages avant d'être vaincue par l'armée mexicaine.

[...] Le président du Texas, Sam Houston, [...] disait qu’il n’y avait malheureusement pas de budget pour armer les milices ou les groupes de patriotes comme le nôtre. « Le gouvernement ne promettra rien d’autre que la légitimité de l’expédition et il fournira les munitions nécessaires à la campagne. Les volontaires devront donc se tourner vers la vallée du Rio Grande pour une quelconque rémunération », ainsi s’était-il exprimé devant les journalistes, et il est probable qu’il pensait à l’autre rive – le côté mexicain.
[...] Il annonça à la presse : « Notre gouvernement promet de ne rien réclamer sur les prises de guerre, elles seront partagées entre les vainqueurs. » Il conclut par une notification : « Le drapeau du Texas accompagnera toutes les expéditions de ce genre. »

Des quelques centaines de prisonniers, très peu survivront.
Ce roman nous conte cette épopée sanglante et malheureuse par les yeux d'un tout jeune volontaire, James Alexander.
Il partit vaillant, aventureux et téméraire, avide de rattraper le temps perdu (il avait manqué les batailles glorieuses de Fort Alamo et San Jacinto).
Il eut la chance de revenir vieilli, affamé, blessé, pouilleux, épuisé, malade. Pour témoigner, sous la plume de Rick Bass, de cette longue descente aux enfers.
L'équipée du jeune Alexander et de ses compagnons est là pour nous rappeler la bêtise insondable de la guerre et la noirceur de la vanité humaine. Il s'agit bien d'un rappel et d'une leçon : Rick Bass écrivait son bouquin en 2003 pendant que l'armée américaine (qui devait toujours compter pas mal de texans dans ces rangs ?) envahissait l'Irak.
Le personnage de James Alexander est trop velléitaire pour que l'on prenne fait et cause pour lui et l'on s'intéresse plus à ses compagnons qu'à lui-même (mais c'est certainement voulu ainsi).
Quant à l'écriture un peu à l'ancienne (façon roman d'aventures américains du siècle dernier), elle manque un peu de précision et de personnalité pour que l'on puisse parler d'un excellent roman.
Mais, on l'a dit, le contexte est passionnant et on a plaisir à découvrir cette leçon d'Histoire sous la plume habituellement écolo de Rick Bass.


Pour celles et ceux qui aiment les deux rives du Rio Grande.
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lundi 27 avril 2015

BD : L’arabe du futur

Soirée diapos chez l’arabe du coin.

Il nous a d’abord fallu passer outre ce que pouvait laisser penser le titre peu engageant de cet album, récemment primé à Angoulême : L’arabe du futur, qui semblait surfer sur les thèmes trop à la mode.
Mais finalement la BD autobiographique de Riad Sattouf (qui fit un passage chez Charlie) s’avère une bonne surprise.
Il ne s’agit pas vraiment d’un arabe du futur qui naîtrait des printemps récents ou des étés à venir : bien au contraire, il s’agit plutôt de l’arabe du passé, celui des années 70-80, un arabe qui compte déjà pas mal de printemps.
Riad Sattouf nous raconte son enfance en Lybie puis en Syrie.
Et comme il a l’âge de nos enfants … ses parents ont le nôtre ! et c’est donc cette soirée diapos des années Pompidou puis Giscard, vues depuis d’autres rives de la Méditerranée, que l’on a trouvée savoureuse.
Le papa syrien de Riad rencontra sa maman bretonne au cours de ses études en France. Muni de ses tout nouveaux diplômes et du petit Riad tout blond, le couple partit pour la Lybie renaissante, contribuer à l’essor de la révolution socialiste emmenée par un Kadhafi à qui il restait encore quelques derniers plombs (qui n’allaient pas tarder à sauter eux aussi).
Tendresse amusée pour ses personnages et ironie mordante pour le contexte de ces années-là : c’est la recette de cet album.
Après la Lybie de Kadhafi et ses illusions perdues presque attendrissantes (à l’époque où tout n’avait pas encore tout à fait basculé dans l’horreur), la Syrie de Hafez-el-Assad semble beaucoup plus sinistre (il y manquait peut-être l’argent du pétrole) et l’on se demande tout au long de ces pages ce que pouvait bien ressentir la jeune bretonne partie suivre son diplômé de mari …
L'autobiographie de Riad devrait bientôt se poursuivre jusqu'aux années actuelles et la fuite de la Syrie en guerre.

Pour celles et ceux qui aiment les révolutions culturelles.
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vendredi 24 avril 2015

Face à face (Gunnar Staalesen)

Il y avait un mort dans ma salle d'attente.

On avait déjà croisé Gunnar Staalesen et son privé norvégien Varg Veum (prononcer Varg Véhoum) il y a bien longtemps : sans plus d’affinités pour ce détective un peu rocker, franchement soixante-huitard. Les hasards des lectures nous avaient alors séparés.
Ce Face à face porte donc bien son titre et il s’agit pour nous de retrouvailles.
Depuis, tout le monde a mûri, nous bien sûr, mais aussi l’auteur, son écriture et Varg Veum.
Et c’est avec plaisir qu’on a retrouvé ce héros qui change un peu du standard des abondants polars nordiques : ce n’est pas un flic mais un privé et il vit à Bergen, la grande ville côtière et provinciale, que l’on a lue souvent moquée par ceux de la capitale [1] [2].
Pour autant Staalesen ne déroge pas à son habitude d’explorer la société norvégienne, de décortiquer le miracle économique actuel, d’analyser les années passées (années soixante et soixante-dix surtout).
Tout norvégien qu’il soit, le privé Varg Veum aurait pu se montrer comblé lorsqu’un client débarque enfin dans sa salle d’attente. Sauf que le client en question n’est qu’un cadavre. Bien mort.
Mort suspecte s’il en est.
Le privé va bientôt remonter le passé de ce cadavre encombrant.
Jusque dans les années 70, nous y (re-)voici.
Dans une communauté de jeunes gauchistes, un beau jour débarque la belle et fascinante Hildegunn Høgset, en pleine libération sexuelle, souvenez-vous. Quelques années plus tard, la belle intrigante disparait.

[…] Hildegunn ? Mais elle est morte, elle aussi ! Il y a des années et des années !
– Quatorze ou quinze ans, à ce que j’en sais.
– Et depuis, plus personne ne l’a vue !
– Vue ?
– C’était un suicide. Elle s’est donné la mort.
– Mais vous venez de dire… depuis, plus personne ne l’a vue ?
– Oui ?

Suicide vraiment ? Ou bien jalousie à droite ? Ou encore règlement de compte à gauche ?

[…] Non, mais voyons, mon bon monsieur ! C’est de plus en plus fantaisiste ! Personne d’autre n’a été porté disparu au même moment. Il n’y avait pas le moindre lien avec quoi que ce soit. Cette Mlle Høgset s’est jetée à la mer de son plein gré, et à mon avis, il n’y a rien d’autre à dire sur cette histoire. Dramatique, ça, oui ! Mais… Des raisons d’approfondir l’enquête ? Sûrement pas. Des arguments qui permettent de penser à un acte criminel ? Pas un seul ! […]
Pour ma part, je n’étais pas aussi convaincu, et de loin. Un élément de cette affaire n’avait pas encore trouvé sa place, et chaque jour qui s’écoulait renforçait ma volonté d’en connaître le fin mot.

Archéologue de la société norvégienne de ces dernières années, Gunnar Staalesen explore toutes les fausses pistes.

Qui était donc cette femme qui semblait avoir pas mal d’ascendant sur son entourage ?
Mais est-ce bien elle qui détenait la clé de toute cette histoire ?

[...] D’une certaine façon, je ne parviens pas à me faire une image précise d’elle. Sur le plan sexuel, elle part tous azimuts, elle a des relations avec les hommes et les femmes. Elle impressionne tout le monde, mais malgré tout, elle apparaît comme… vague, floue. Je n’arrive tout bonnement pas à la saisir. Vous pouvez m’aider sur ce point ? Vous qui la connaissiez ? » Elle haussa les épaules. « Que dire ? »

Malheureusement tout cela traîne un peu trop en longueur et en profondeur.
L’auteur s’attarde trop longuement sur certaines pistes et dilue son enquête dans une quête interminable.
Finalement, ces retrouvailles avec Varg Veum n’auront pas été désagréables mais ne nous auront pas franchement convaincu.


Pour celles et ceux qui aiment avoir vingt ans en soixante-huit.
D’autres avis sur Babelio et un billet documenté sur Varg Veum et Gunnar Staalesen.


mardi 21 avril 2015

Le commissaire Bordelli (Mario Vichi)

Florence, 1963, mort suspecte à la villa.
Et dîner entre amis mercredi soir.

Poursuivons notre exploration régionale (et temporelle) des polars italiens.
Après la région  des Pouilles visitée avec Gianrico Carofiglio, remontons vers le nord.
Entre Naples et Venise, entre les années 30 et celles d’aujourd’hui, entre le commissaire Ricciardi et le commissaire Brunetti, entre Maurizio de Giovanni et Donna Leon, il y a Florence, les années 60, le commissaire Bordelli et Marco Vichi.

[…] – Au cours de l’opération de vendredi, vous avez laissé échapper un certain nombre de criminels.
– On ne peut pas toujours être parfait.
– Non, non, Bordelli, vous n’avez pas compris, ou plutôt vous avez très bien compris. Vous ne les avez pas laissés filer, vous les avez relâchés après les avoir arrêtés.
– Ce doit être l’âge…
[…] – Je le comprends. Mais vous ne pouvez pas prendre la décision de laisser s’échapper des voleurs !
– Je n’ai pas laissé s’échapper des voleurs, j’ai juste relâché des pauvres types.

Malgré toutes ces références à la Botte italienne, le commissaire Bordelli pourrait bien loger pas très loin du XIII° arrondissement d’Adamsberg : même si son côté fantasque ne vient pas tant du personnage lui-même que de ses fréquentations.
Une ex-prostituée comme bonne amie (un peu à la Pepe Carvalho), un chef cuistot qui a appris la cuisine internationale dans les geôles de différents pays, un inventeur fou amoureux des rats, un cousin qui préfère s’enfermer chez lui plutôt que de succomber au bonheur et se précipiter chez son amoureuse …
À 53 ans (en 1963) le commissaire Bordelli roule en coccinelle et pas en Fiat 1100 comme tous les italiens emballés, enthousiasmés et aveuglés par le miracle économique des années glorieuses de l’après-guerre, oubliant un peu vite les années noires du fascisme.

[...]– Tu es fou !
– Bien sûr. Je suis fou parce que je refuse de condamner les pauvres gens et parce que je déteste ce pays ivre de rêves qui croit en la Fiat 1100.
– Quoi ? Tu es communiste ? » Bordelli secoua la tête. « Pour le moment, j’ai plus de facilité à déterminer ce que je ne suis pas. »

L’intrigue policière possède le charme délicieusement rétro des histoires d’Agatha Christie mais on s’y intéresse assez peu : l’enquête avance lentement au rythme nonchalant du commissaire qui se laisse porter par les événements et les rencontres.
Et tout comme l’auteur sans doute, on préfère s’intéresser aux amis du commissaire et au dîner qu’il leur fait préparer avec l’aide de son ami ex-taulard.

[…] « Toujours les mêmes questions : pourquoi Dieu permet-il e mal ? L’histoire est-elle l’œuvre de l’homme ou possède-t-elle une force autonome ? Et le temps ? Qu’est-ce que le temps ?

– Avant que j’oublie, voulez-vous venir dîner chez moi mercredi ? »

Pas mal d’humour, une écriture fluide et agréable finiront de nous convaincre que l’on tient là un excellent bouquin,  à lire dès que les températures vont remonter.

[…] La chaleur s’était accrue et un air humide stagnait partout en ville. Désormais une odeur de spirales antimoustiques et de DDT imprégnait toutes les habitations.

Comme il est souvent d’usage ici, on attendra la suite avant de décerner notre coup de cœur, mais nul doute que l’on reviendra visiter la Florence des années 60 en la charmante compagnie du commissaire Bordelli (cet épisode est le premier traduit en français d’une déjà longue série).


Pour celles et ceux qui aiment l’Italie.
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samedi 18 avril 2015

L’heure trouble (Johan Theorin)

Le plus suédois des polars suédois.

Allez encore et encore, un autre auteur de polar suédois.
Recommandé et primé, nous dit-on.
À L'heure trouble Julia est une mère éplorée : elle ne s'est jamais remise de la disparition de son jeune enfant, Jens, quinze plus tôt. À six ans, il est sorti un moment de la maison de vacances et on ne l'a plus revu.
Quinze ans plus tard, Julia est en arrêt maladie, entre deux cachets elle carbure au vin rouge. Son couple est évidemment parti en quenouille il y a longtemps.

[...] « Cet enfant…, dit Sven-Olof dans le noir. C’est cette histoire terrible. .. ? Ce petit garçon qui a disparu à Stenvik ?
– C’était mon fils Jens, dit à voix basse Julia, qui avait une irrésistible envie de vin rouge. Il est toujours porté disparu. » Sven-Olof ne dit rien de plus.

Gerlorf, le père de Julia, s'ennuie dans sa maison de retraite, joue au détective amateur et, depuis qu'il a retrouvé ce qui pourrait être une sandale du gamin, s'entête à croire qu'il a deviné qui est l'assassin, sorti d'une vieille histoire de la dernière guerre, celle de 40.

[...] – On va trouver l’homme qui a enlevé Jens ?
– Je n’ai jamais dit ça, dit Gerlof. J’ai seulement promis de te montrer celui qui m’a envoyé l’enveloppe avec la sandale. Seulement ça.
– Ce n’est pas la même personne ?
– Je ne crois pas, dit Gerlof.
– Tu peux m’expliquer pourquoi ?
– Je le ferai une fois à Borgholm.
[...] « Il faut toujours que tu fasses des mystères, Gerlof, dit-elle. C’est pour faire l’intéressant ?
– Mais non, se hâta de dire Gerlof.
– À mon avis, si », dit Julia en tournant sur la grand-route en direction de Borgholm. Elle a peut-être raison, se dit Gerlof. Il n’y avait jamais vraiment réfléchi.
« Je ne fais pas l’intéressant, dit-il. Je pense seulement qu’il vaut mieux raconter les histoires à son propre rythme. Autrefois on prenait son temps, maintenant il faut que tout aille si vite. »

On a eu un petit peu de mal à entrer dans ce bouquin au rythme étrange : les deux personnages, la mère et le grand-père du gamin ne sont pas tout à fait sympathiques, englués dans leurs chagrins, leurs remords, leurs contradictions, leurs conflits aussi. Les histoires s'entrecroisent, se superposent, sans qu'on sache trop laquelle suivre.
Mais peu à peu, Johan Theorin nous attire, décrivant l'air de rien, tout un pan de la vie suédoise sur ces îles de la Baltique où villégiaturent les stockholmois (un peu l'équivalent de nos îles de Ré ou d'Oléron pour les parisiens).
On est aussi curieux des épisodes racontés de la guerre (des heures troubles  aussi pour la Suède ...).
Et puis on s'attache peu à peu à ce petit village de l'île d'Öland, face à la Lituanie et la Lettonie. Un petit village désormais déserté par ses habitants (ils ne sont plus que trois ou quatre), anciens marins, et qui ne revit que l'été lorsque les estivants débarquent.
Tout cela donne peu à peu un polar suédois réellement suédois, pas un thriller universel qui pourrait tout aussi bien prendre place à L.A. ou à Moscou.
Curieusement voici un bouquin qui ne nous captive ni par les personnages, ni par l’intrigue mais plutôt par les lieux décrits et la vie qui les habite. La Suède côtière telle qu’on rêve de la découvrir un jour.
Et puis il y a ce mystérieux Nils Kant, un mauvais garçon qui commit plusieurs crimes dans les années 40 et disparut ensuite. Mort et enterré, la rumeur dit qu'il était revenu pour kidnapper (ou pire) le petit Jens ...

[...] On prétend que le cercueil de Kant aurait été vide. Tu as certainement déjà entendu ça ?
– Tu peux arrêter de te poser la question, parce qu’il n’était pas vide, dit Axelsson. Nous étions quatre à le porter, avant et après la cérémonie, et il fallait bien ça. Il était diablement lourd. » Gerlof avait l’impression de mettre en doute la conscience professionnelle du vieux fossoyeur, mais il fallait qu’il pose la question : « On raconte qu’il n’y avait que des pierres dans le cercueil, ou des sacs de sable, dit-il à voix basse.
– J’ai entendu cette rumeur, dit Axelsson.
[...] Certains disent avoir vu Nils Kant dans le brouillard d’automne, au bord de la grand-route, qui regardait passer les voitures, barbu, les cheveux gris… D’autres l’ont vu errer sur la lande, comme il faisait dans sa jeunesse, ou encore dans la foule, à Borgholm.

Certainement un des plus suédois de tous les polars suédois qu’on a dévorés.
Qui ne vaut peut-être pas autant de prix et de bruit mais qui se lit avec intérêt et plaisir : Johan Theorin est une plume sûre et élégante.


Pour celles et ceux qui aiment les bords de mer.
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jeudi 16 avril 2015

Le roi n’a pas sommeil (Cécile Coulon)

Direct Clermont-Midwest.

Ouh là ! Mais d'où qu'elle sort la jeune Cécile Coulon (24 ans et déjà plus de cinq bouquins à son actif) ?
De Clermont-Ferrand. Etudiante en lettres, passionnée de littérature, américaine notamment : Steinbeck est cité en exergue.
Une fois plongé dans son Roi qui n'a pas sommeil, le lecteur revisite régulièrement la couverture : Cécile Coulon, nom et prénom français de chez franchouille, mais comment peut-elle donc écrire comme ça ?
De la première à la dernière page, on est en plein cœur des Amériques et de ses campagnes perdues, pure littérature US, et sans fausse note.
Pour le lecteur c'est le même étonnement renouvelé qu'à la lecture de l'anglais R. J. Ellory par exemple.
Mais à la différence du bavard R. J. Ellory, notre jeune petite française (22 ans à l'époque du bouquin !) fait plutôt dans l'économie, la fulgurance. 150 petites pages qui vont droit aux faits et au cœur.
L'histoire d'un destin en marche, la chronique d'un drame annoncé.
[...] Jusqu’à la mort de Mary, Puppa resta avachi sur son siège, un mégot entre les dents, sans décocher un mot. Ce fut seulement après l’enterrement de la mère, un jeudi après-midi, que les vieux commencèrent à faire sauter les serrures. Puppa fut le premier à parler de Thomas.
[...] Les rumeurs circulaient : il bossait dur, même sous une pluie battante, sa mère se tapait le médecin – la belle affaire – il était coriace en affaires, violent avec les femmes.
[...] C’est vrai qu’il était grand et fort, mais son visage ne rassurait personne. Le patron lui trouvait des airs de faux jeton, de ceux qui planquent des secrets au plus profond d’eux-mêmes, si bien qu’ils finissent par remonter tout seuls à la surface.
[...] Les vieilles du quartier disaient que l’âme de son père flottait au-dessus de lui.
[...] Cette nuit, Thomas était devenu un monstre, une carcasse burinée, taillée à la hache, un homme qui aurait eu un gésier à la place du cœur.
Retour arrière sur l'histoire de Thomas dans cette petite ville de Heaven qui de paradis, n'a que le nom. Le père William, comme tous les hommes du coin, travaillait à la scierie. Il y laissera la vie, beaucoup trop tôt pour son jeune fils Thomas et sa douce et belle femme Mary.
Dès les premières pages on nous annonce que tout cela finira mal ... mais sans nous dire exactement comment cela va mal finir. On dévore donc cette grosse centaine de pages comme un thriller, curieux et angoissé de connaître le fin mot du drame, étrangement fasciné par l'enchaînement ordinaire mais inéluctable qui conduit Thomas vers son destin.
Au passage, on déguste à grandes lampées la prose très maîtrisée de l'auteure (22 ans à l'époque du bouquin !), on se laisse emporter par de belles évocations puissantes, on apprécie les saveurs non frelatées de l'Americana, on découvre de superbes portraits : Thomas et Mary bien sûr, mais aussi le docteur O'Brien, sa jeune assistante Donna et d'autres encore. Pour mieux nous emporter vers Heaven, Cécile Coulon (22 ans à l'époque du bouquin !) ne néglige ni les personnages secondaires, ni la vie du village, ni les décors.
La prose de Cécile Coulon attrape et ne lâche plus. On reste bouche bée, non pas devant le destin de Thomas, mais devant le talent de Cécile. Je ne sais plus qui (bon, en fait si, hein !) qui a dit que la valeur n'attend pas le nombre des années, ni le nombre de pages : en voici une nouvelle preuve éclatante et fulgurante.
On pense un peu à Ron Rash et pas seulement pour des histoires de paradis perdu.
Ce roman a été couronné du prix Mauvais Genre en 2012 (année de sa sortie, elle n'avait que 22 ans !).
Un petit bouquin, pas cher et disponible en ebook mais qui a tout d'un grand roman : ne vous en privez surtout pas.
Nul doute : on va bientôt se précipiter sur Méfiez-vous des enfants sages, son premier succès paru en 2010 (20 ans à l'époque !).
On va donc réserver notre coup de cœur pour une prochaine lecture : on est à peu près sûr d'y gagner et puis reconnaissons que, en dépit de tout le bien qu'on a écrit plus haut, l'histoire de la famille Hogan est un peu trop convenue pour mériter une palme d'or. Il manque juste un petit supplément d'âme, un soupçon d'étrangeté, une petite note plus personnelle.
Mais c'est quand on est repu et rassasié, qu'on se permet de faire la fine bouche.

Pour celles et ceux qui aiment l'Amérique vu depuis Clermont-Ferrand.
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lundi 13 avril 2015

L’expérience (Christophe Bataille)

Le roi soleil au fond de la tranchée.

[...] Je résume : c’est l’histoire d’un homme qui a vu quelque chose ; qui l’a connu sans le voir. Et qui, ne l’ayant ni vu, ni compris, n’a pas cessé de vivre. Ce quelque chose, ce n’est pas Austerlitz ; ce ne sont pas les heures glorieuses ou vaines ; ce n’est pas la vie et ce n’est pas la mort. Plutôt une approche. Une répétition qui ne peut avoir lieu. C’est donc à peine un cahier : disons un essai. Une expérience.
[...] Ce jour d’avril 1961, on s’est assis au fond de la tranchée : c’était dans le désert, au nord de Tamanrasset.
[...] En 2002, le ministre des Armées de l’époque, vieux et légendaire dans son costume à galons, expliquait dans un autre journal : « Nous voulions surtout évaluer le niveau de radiations subi par les hommes afin de définir les distances de sécurité. » Puis : « Les Etats-Unis avaient réalisé plusieurs expériences comme celles-là, mais ils refusaient de nous en communiquer les résultats. »
En 1961, l'honorable Pierre Messmer alors ministre des armées de notre Si Grand Général, voulait, de manière assez simple, expérimenter le niveau des radiations sur ses hommes. Ce ne sera dit et reconnu que bien plus tard en 2002. Secret défense, sans doute.
Sans polémique inutile (et c’est d’autant plus efficace), Christophe Bataille nous raconte L'Expérience, de l'intérieur, par ceux qui l'ont vécu ou plus exactement par ceux qui y ont survécu : les quelques trouffions envoyés dans une tranchée, avec une légère combinaison de protection, à quelques centaines de mètres de la bombe, à côté de cages renfermant lapins et chèvres.
Rassurez-vous, les engagés n'étaient pas encagés : l'honneur de la Grande Muette est sauf.
[...] Ce que j’apprends au fil des années me stupéfie. Les caméras ultrasensibles filmaient l’explosion au ralenti, à un kilomètre, protégées par dix centimètres de verre blindé. Dix centimètres. Et les équipes militaires nous ont surveillés depuis le blockhaus, gigantesque et enfoui à plusieurs dizaines de mètres sous le sable et le ciment.
Nous mêmes en 2015, sommes tout aussi stupéfaits : on se doutait bien que les essais nucléaires du Sahara n'étaient pas exempts de dommages collatéraux, notamment sur les populations locales.
Mais on n'avait jamais vraiment réalisé, ni même imaginé, qu'on était allé jusque là.
[...] Il n’y a pas d’essai nucléaire. Il n’y a pas d’essai d’extermination. Il y a l’extermination.
Alors oui, en 1961, près de la base de  Reggane, l'armée teste quelques bombinettes et envoie quelques trouffions dans une tranchée, au plus près de l'impact de Gerboise Verte (joli nom, les trucs les plus horribles ont toujours de jolis noms), histoire d'en mesurer les effets en vrai (pour évaluer la distance de sécurité, y'a rien de tel, Messmer dixit).
Des trouffions plus ou moins volontaires, si toutefois ce mot à un sens à l'armée, certains ayant fait des petites bêtises et ne pouvant guère refuser un ordre qu’on se garda bien de leur expliquer et qu'ils ne comprenaient qu'à moitié.
Le flash qu'ils subirent les poursuivra et les rongera jusqu'à la fin : c'est le principe même de ces bombinettes.
Evidemment aujourd'hui ni Messmer, ni les autres, ni les trouffions irradiés ne sont plus là mais Christophe Bataille garde l'énorme mérite de nous ressortir cette histoire de derrière les armoires empoussiérées de notre force de dissuasion. Devoir de mémoire.
On regrette son style ampoulé, un peu trop farci d'introspections philosophiques : il n'est jamais aussi bon que quand il se contente de décrire froidement les faits bruts, qui évidemment parlent d'eux-mêmes, crient d'eux-mêmes, sans qu'il soit besoin d'en rajouter.
On regrette également qu'il ne soit fait qu'une rapide et insignifiante mention des populations locales.
Mais cela n'enlève rien au caractère obligatoire de cette (courte) lecture.
[...] Ma devise n’est pas celle de Louis XIV : seul soleil sur la terre – même si je crois avoir vu plus grand soleil qu’aucun humain.


Pour celles et ceux qui aiment un peu savoir.
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samedi 11 avril 2015

L’hypnotiseur (Lars Kepler)

Le flic avait raison, il a toujours raison.

Encore un polar suédois de la collection Actes Noirs ?  Ça suffit ! Assez !
Bon, ou alors juste un dernier hein.
Et puis celui-là il a quelque chose de mystérieux : derrière le pseudonyme de Lars Kepler se cache un couple, Alexandra Coelho Ahndoril et Alexander Ahndorilra.
L'hypnotiseur est leur premier roman écrit à quatre mains, leur premier polar mettant en scène l'inspecteur Joona Linna, un finlandais en poste à Stockholm. Un flic qui dit avoir toujours raison.

[...] — Je finirai bien par savoir ce qui s’est passé, dit Joona.
— Parfait, dit Jens, l’air satisfait. Parce que la seule chose qu’on m’ait dite quand j’ai repris le poste d’Anita Niedel, c’est que si Joona Linna dit qu’il va découvrir la vérité, eh bien c’est exactement ce qu’il fera.
[...] — Accordez-moi une seconde, l’interrompt Joona.
— Mais j’ai décidé de…
— Jens
— Oui.
— Nous avons des preuves matérielles, dit Joona d’une voix grave. Nous sommes en mesure de relier [x] à la première scène de crime et au sang du père.
Le procureur général respire profondément dans le téléphone puis dit calmement :
— Joona, vous téléphonez au dernier moment.
— Juste à temps.
— Oui.
Avant de raccrocher, Joona lance :
— Je ne vous ai pas dit que j’avais raison ?
— Pardon ?
— Est-ce que je n’avais pas raison ? Silence à l’autre bout du combiné.
Puis Jens articule lentement, en détachant chaque syllabe :
— Si, Joona, vous aviez raison.
Ils mettent fin à la conversation et le sourire disparaît du visage de l’inspecteur.

Ça démarre en plain hiver, tambour battant avec l'assassinat sauvage et frénétique d'une famille entière, père, mère et enfants poignardés à coups redoublés.
Seul miraculé, le fils ado qui a survécu.
Et une sœur aînée qui n'était pas là au moment du drame.
Le jeune garçon, gravement blessé, profondément traumatisé, est quasiment dans le coma.
C'est le seul témoin, la seule clé pour se lancer à la poursuite de l'assassin qui est sans aucun doute aux trousses de la jeune fille en fuite. On va donc faire appel à un psychiatre pour hypnotiser le garçon et tenter de revivre avec lui les circonstances exactes du drame et d'obtenir le signalement du meurtrier.
Mais les bribes de vérité que la séance d'hypnose laissera deviner seront pour le moins inattendues ...
Et bientôt, incroyable, ce sera le fils de l'hypnotiseur lui-même qui sera mystérieusement enlevé !
Après une mise en place un peu heurtée et qui manque de fluidité (il faut disposer les pièces du puzzle), le livre se recentre de manière plutôt originale pour un polar, sur la famille déchirée de l'hypnotiseur : un couple qui battait déjà de l'aile, le fils kidnappé, le psy qui se shoote aux médocs du matin au soir et du soir au matin, ... 

[...] Il se sent mal, comme si ses souvenirs lui brouillaient encore les idées. Il se frotte énergiquement le front, veut prendre un cachet, il a besoin d’un cachet, n’importe quoi, mais il sait qu’il doit garder toute sa lucidité. Il faut qu’il arrête, ce n’est plus possible, il ne peut plus se réfugier dans les cachets.

Ce couple écartelé va mener une double enquête : la mère est épaulée par son retraité de père (un ancien flic évidemment), le toubib bénéficie de l'aide bienveillante de l'inspecteur finlandais. Le bouquin trouve alors son rythme et à peine arrivé à mi-parcours, on a déjà droit à une scène paroxysmique qui pourrait être le final.
Mais ce n'est encore que le début ! On va avoir droit à une accumulation, un festival, une débauche de twists, rebondissements, fausses pistes et revirements. Toutes ces péripéties sont franchement rocambolesques et trop souvent capilotractées.
Le polar ne semble plus écrit à quatre mains mais à six, huit ou douze !
L'accumulation finit par lasser et même si l'on apprendra quelques bribes sur ces disciplines psy qui ne sont pas une science exacte (pour ceux qui en doutaient), on a bien du mal à s'attacher à ces personnages et à leur histoire, d'autant que l'écriture est bien fade et sans âme (la difficulté d'écrire à quatre mains peut-être ?).
On regrette aussi de ne pas avoir fait plus ample connaissance avec Joona Linna, le flic finlandais égaré en Suède, l'inspecteur qui a toujours raison.

[...] — L’homme ment, poursuit Joona. Il connaît Lydia. Il m’a dit qu’il n’avait jamais entendu parler d’elle, mais il mentait.
— Comment sais-tu qu’il mentait ?
— Ses yeux, ses yeux quand je lui ai posé la question. Je sais que j’ai raison.
— Je te crois, tu as toujours raison. Pas vrai ?
— Oui.

Finalement, la désormais trop célèbre collection Actes Noirs au liseré rouge confirme une fois de plus que quantité et qualité font rarement bon ménage et que, dans l'avalanche de polars tgv et bouquins de plage qu'elle nous dépile, il faut fouiller très patiemment pour dénicher quelques rares opus dignes d'intérêt [1] [2].

Et pas toujours scandinaves d'ailleurs !
On connait bien la qualité du polar nordique, elle est incontestable et on est des fans de la première heure, mais elle est publiée ailleurs [clic] que chez Actes Noirs.
Ce polar-ci n'est qu'un divertissement de plus, facile et sans profondeur, avec peut-être même moins d'intérêt que la série de Camilla Läckberg.
Un bouquin dont finalement, il ne nous restera que le souvenir de la belle photo de ce joli couple stockholmois. Encore de l'emballage marketing ?


Pour celles et ceux qui aiment les psys et les pokémons.
D'autres avis sur Babelio.

mardi 7 avril 2015

Retour à Watersbridge (James Scott)

Western glacé.

Ça démarre pratiquement comme une scène de guerre : plusieurs assaillants armés de fusils viennent de décimer une famille entière (ou presque). 
Retour à Watersbridge nous propulse en 1897, en plein hiver glacé, non loin du lac Erié, dans une ferme isolée de tout et de tous.
[...] Personne n’habitait suffisamment près pour les connaître – un isolement qu’ils avaient voulu, qui était pour eux une nécessité. Mais Elspeth avait des ennemis, et ses péchés la liaient irrémédiablement à ceux qu’elle avait lésés.
Pourquoi cette violence ? Crime gratuit, meurtre crapuleux, vengeance ?
Les deux seuls survivants de cette mystérieuse famille semblent cacher bien des secrets.
Le fils, Caleb, vivait à l'écart dans la grange.
Quant à la mère, Elspeth, elle a fuit ses parents, a épousé un indien et semble avoir élevé des enfants qui n'étaient pas vraiment les siens.
Le père n'a pas survécu au massacre mais l'indien n'est pas moins mystérieux qui défendait un peu trop farouchement  sa ferme et sa famille isolées.

[...] À neuf ans, quand il avait décidé d’explorer seul leur territoire pour la première fois, il avait découvert un endroit magique, silencieux, de l’autre côté de la colline : quatre petits tertres dans une clairière bordée d’érables jaspés au tronc rayé et noueux, qui poussaient sur les rochers comme pour les clouer au sol. Les arbres paraissaient taillés, l’herbe bien entretenue, et Caleb s’était senti à l’abri dans cet endroit, parfaitement en sécurité. Deux jours après avoir vu l’homme mourir dans le champ, il avait voulu se réfugier dans ce havre de tranquillité pour essayer de calmer le martèlement dans sa poitrine, et de chasser les cauchemars qui le hantaient depuis qu’il avait recouvré le sommeil. Mais la paix du lieu avait été bouleversée par l’ajout d’un cinquième tertre, sur lequel des brins d’herbe se mêlaient à la terre fraîchement retournée.
Pendant les quelques jours qui suivent le massacre, les deux survivants pansent leurs plaies, vident leur chagrin et brûlent leurs proches sur un bûcher funéraire. Quelques bribes du passé épaississent encore les mystères.
Ce jeune homme et cette femme (mais est-elle seulement sa mère ?) partent sur les chemins enneigés à la recherche des assassins. 

[...] On doit chercher les tueurs. [...] Il remplit ensuite ses poches de cartouches.
– C’est lui qui les a envoyés. Elspeth crut qu’il faisait allusion à Dieu.
– Attends, dit-elle en l’attrapant par le poignet. Qui ? Qui les a envoyés ?

Ils forment une drôle de famille, un étrange tandem, taiseux et avares de mots, ils se consument dans les tourments, les péchés et les démons qui couvent sourdement en eux.
[...] Ils se dévisagèrent longuement, dans l’expectative l’un et l’autre. Aucun d’eux ne prit la parole, mais chacun avait conscience de tout ce qui avait changé pour l’enfant qui avait vécu dans la grange, et pour la femme qui gravissait la colline plusieurs fois par an, passait des mois à ronger son frein au sein de sa famille, puis repartait.
Même si l'étiquette 'polar' semble inappropriée (marketing ?), ce roman de James Scott a évidemment droit à une place de choix sur l'étagère du nature-writing.
Mais ici le mot 'nature' fait froid dans le dos car c'est elle qui dicte les pages : une nature âpre, primaire, brutale, violente, qui façonne les hommes et les âmes. La force d'évocation peu commune de l'écriture de James Scott va imprimer en nous des images très fortes.

Le jeune homme et cette femme qui n'est peut-être pas sa mère vont donc revenir sur les traces des tueurs et de leur passé.
[...] Pourquoi revenir à Watersbridge après toutes ces années ?
Une petite ville des Etats-Unis, à la charnière des siècles, un monde sauvage et brutal où la loi semble égarée quelque part entre celle du plus fort et celle de Dieu.
Je ne sais pas si l'on peut prendre sans trop de recul toute cette littérature qui réinterprète sans doute le passé, mais à l'éclairage de nos lectures, il apparait clairement que ce pays s'est construit avec une bible dans une main et un colt dans l'autre. Comment s'étonner qu'aujourd'hui encore, plus de cent ans après (ou seulement cent après ?), l'intégrisme religieux et la passion des armes en façonnent toujours la douloureuse actualité ?

[...] – Tu dois cependant me donner une assurance : tu ne nous veux aucun mal, hein ? – Je veux de mal à personne, répondit Caleb. Au moment où il levait les mains, comme pour en apporter la preuve, il se rendit compte que ce n’était pas la vérité. – Pas à vous, en tout cas.
Que vont devenir nos deux mystérieux oiseaux égarés en 1897 à Watersbridge, l'un aveuglé de vengeance, l'autre assoiffée de rédemption ?
[...] Il sentait un nouveau creux dans sa poitrine, probablement à l’endroit où son cœur se trouvait jadis.
Après une première partie fort réussie (toute en sécheresse oppressante et glacée), on regrette quelques longueurs, notamment lors de l'arrivée en ville, un travestissement de la mère en homme un peu incongru (mais qui prendra quelque sens plus tard), quelques digressions un peu longuettes, quelques personnages et péripéties superflus. Mais peu à peu les fils se renouent, le passé rattrape nos deux oiseaux et chacun rencontrera son destin.

Pour celles et ceux qui aiment les westerns.
D'autres avis sur Babelio et le billet des Echos.

vendredi 3 avril 2015

Belém (Edyr Augusto)


Johnny be bad.

Bien sûr on est toujours curieux de découvrir un nouvel auteur. Un nouvel auteur de polars qui plus est. Et un nouvel auteur de polar qui vient d'un pays que l'on connait si peu : le Brésil !
Alors évidemment on s'est jeté sur Edyr Augusto et son Belém, dont EncoreDuNoir (et d'autres) disaient beaucoup de bien.
Aïe ! Douche froide dès les premières pages. Une écriture nerveuse, sèche, faite de courtes phrases. Une violence crue. Tout cela n'est guère confortable, on s'apprête à refermer l'extrait.
Et puis soudain, au détour d'un chapitre, le premier portrait. Un simple personnage secondaire. Edyr Augusto nous balance toute une vie à la figure, depuis l'enfance jusqu'à ce jour. Purée, ce gars-là sait écrire. En quelques pages tout un personnage surgit devant nous, toute sa vie.
[…] Vous êtes un vrai curé, vous. On vous raconte tout sans même s’en rendre compte.
Souvent pas bien gaies les vies dans cet état du nord du Brésil, près du Suriname et de la Guyane, là où l'Amazone forme son delta : c'est le Pará. Une région où l'on rêve beaucoup, où l'on frime un max et où l'on déchante forcément encore plus.
Alors on est accroché, hameçonné comme dans la pêche au large et on continue de lire.
Et on ne sera pas déçu : les portraits vont s'enchaîner tout au long de ce roman, Edyr Augusto excelle dans cet art et toutes sortes de personnages, plus ou moins importants, plus ou moins sympas, plus ou moins ragoûtants vont défiler devant nous comme on défile dans les écoles de samba. Quasi nu.
Peu à peu on s'habitue à cette écriture sèche et nerveuse, à cette violence qui semble imprégner et le Pará et le bouquin.
On finit même par se prendre de curiosité pour cette drôle de faune qui nous est montrée : la 'haute' société de Belém, façon jet set, fils à papa et filles à papys, coiffeur gay, starlette cocaïnée, caïd gonflé, ...
[…] Plusieurs choses le dérangeaient, dans cette affaire. L’une d’elle était la classe sociale des personnes impliquées.
[…] Toute une bande. Des gens chics, j’ai l’impression, bien portés sur la came. Rien que des proprios de boutique, des patrons, des bons vivants.
– Hmm…
– Le genre de gens qui n’ont rien d’autre à faire dans la vie que de dépenser leur fric et s’amuser.
On n'aura guère le temps de faire la connaissance de Johnny le coiffeur : c'est son cadavre qui fait l'ouverture. Overdose ? Sûrement docteur, mais de quoi exactement ?
[…] Le célèbre coiffeur Johnny retrouvé mort. Le corps sans vie de Johnny, coiffeur de la jet-set, a été retrouvé dans son appartement. Aucune trace de violence. L’institut médico-légal a diagnostiqué une cardiomyopathie hypertrophique, cause probable du décès. L’inspecteur Gilberto Castro, du commissariat de Cremação, a été dépêché sur place et mène l’enquête.
Au fil de l'enquête on découvrira qu'il y a gay et gay et que ces gays-là ne sont pas toujours aussi sympas qu'on le croit.
Car oui, il y a enquête. C'est Gilberto Castro, Gil pour les intimes, qui s'y colle.
On glose souvent sur la kyrielle de flics imbibés d'alcool qui peuplent nos étagères de polars.
Mais alors là, respect ! Gil mène le défilé et on a visiblement eu la chance de le choper entre deux cures de désintoxication.
On a donc là un bouquin très inconfortable : une région totalement méconnue et pas franchement attirante, une écriture qui tient plus du kick-boxing que du cocooning, une micro-société complètement surfaite, un flic totalement désespérant, du sexe en tous genres, de la corruption, des trafics en tous genres (j'ai encore dit en tous genres) et de la violence. Beaucoup de violence. Froide, dure.
Celle qui ne cherche pas à faire peur mais qui fait mal.
[…] – Écoute, ça fait des mois qu’on bosse là-dessus, à réunir autant de preuves que possible. Si tu nous grilles notre coup, on risque de très mal le prendre…
– Sans déconner. Et donc ce meurtre reste impuni ?
– Non. Mais d’abord, tu nous laisses nous occuper de lui. Après, et seulement après, tu pourras lui mettre cet homicide sur le dos.
– Et si je refuse ?
– Ça se passera mal pour toi, tu m’entends ?
[…] Il semblait y avoir une levée de boucliers générale pour protéger ce Cristovão : la police civile, la fédérale, tous unis pour le couvrir, putain. Mais il était hors de question de baisser les armes. S’arrêter là, et puis quoi ? Oublier l’assassinat de Babalu ?
Et finalement on remercie Edyr Augusto de nous secouer un peu le fauteuil et les neurones. On lui sait gré de revivifier le genre.
D'ailleurs, jusqu'à la toute fin, jusque dans les dernières pages, il ne faillira pas : on ne vous en dit pas plus évidemment, mais sachez que le dénouement est à la hauteur de tout le bouquin. Inhabituel.
Amateurs de polars, précipitez-vous sur celui-ci, un bouquin qui ne s'oublie pas une fois refermé. Après la vague nordique, ce vent qui souffle sur les plages amazoniennes, ça décoiffe !
Un coup de cœur oui, mais de ceux qui frisent la crise cardiaque : comme celle qui commence le bouquin et termine la carrière de Johnny, le coiffeur au nez poudré, le gay pas si gai.
Johnny be bad.

D'autres avis sur Babelio et celui de EncoreDuNoir.