samedi 18 avril 2015

L’heure trouble (Johan Theorin)

Le plus suédois des polars suédois.

Allez encore et encore, un autre auteur de polar suédois.
Recommandé et primé, nous dit-on.
À L'heure trouble Julia est une mère éplorée : elle ne s'est jamais remise de la disparition de son jeune enfant, Jens, quinze plus tôt. À six ans, il est sorti un moment de la maison de vacances et on ne l'a plus revu.
Quinze ans plus tard, Julia est en arrêt maladie, entre deux cachets elle carbure au vin rouge. Son couple est évidemment parti en quenouille il y a longtemps.

[...] « Cet enfant…, dit Sven-Olof dans le noir. C’est cette histoire terrible. .. ? Ce petit garçon qui a disparu à Stenvik ?
– C’était mon fils Jens, dit à voix basse Julia, qui avait une irrésistible envie de vin rouge. Il est toujours porté disparu. » Sven-Olof ne dit rien de plus.

Gerlorf, le père de Julia, s'ennuie dans sa maison de retraite, joue au détective amateur et, depuis qu'il a retrouvé ce qui pourrait être une sandale du gamin, s'entête à croire qu'il a deviné qui est l'assassin, sorti d'une vieille histoire de la dernière guerre, celle de 40.

[...] – On va trouver l’homme qui a enlevé Jens ?
– Je n’ai jamais dit ça, dit Gerlof. J’ai seulement promis de te montrer celui qui m’a envoyé l’enveloppe avec la sandale. Seulement ça.
– Ce n’est pas la même personne ?
– Je ne crois pas, dit Gerlof.
– Tu peux m’expliquer pourquoi ?
– Je le ferai une fois à Borgholm.
[...] « Il faut toujours que tu fasses des mystères, Gerlof, dit-elle. C’est pour faire l’intéressant ?
– Mais non, se hâta de dire Gerlof.
– À mon avis, si », dit Julia en tournant sur la grand-route en direction de Borgholm. Elle a peut-être raison, se dit Gerlof. Il n’y avait jamais vraiment réfléchi.
« Je ne fais pas l’intéressant, dit-il. Je pense seulement qu’il vaut mieux raconter les histoires à son propre rythme. Autrefois on prenait son temps, maintenant il faut que tout aille si vite. »

On a eu un petit peu de mal à entrer dans ce bouquin au rythme étrange : les deux personnages, la mère et le grand-père du gamin ne sont pas tout à fait sympathiques, englués dans leurs chagrins, leurs remords, leurs contradictions, leurs conflits aussi. Les histoires s'entrecroisent, se superposent, sans qu'on sache trop laquelle suivre.
Mais peu à peu, Johan Theorin nous attire, décrivant l'air de rien, tout un pan de la vie suédoise sur ces îles de la Baltique où villégiaturent les stockholmois (un peu l'équivalent de nos îles de Ré ou d'Oléron pour les parisiens).
On est aussi curieux des épisodes racontés de la guerre (des heures troubles  aussi pour la Suède ...).
Et puis on s'attache peu à peu à ce petit village de l'île d'Öland, face à la Lituanie et la Lettonie. Un petit village désormais déserté par ses habitants (ils ne sont plus que trois ou quatre), anciens marins, et qui ne revit que l'été lorsque les estivants débarquent.
Tout cela donne peu à peu un polar suédois réellement suédois, pas un thriller universel qui pourrait tout aussi bien prendre place à L.A. ou à Moscou.
Curieusement voici un bouquin qui ne nous captive ni par les personnages, ni par l’intrigue mais plutôt par les lieux décrits et la vie qui les habite. La Suède côtière telle qu’on rêve de la découvrir un jour.
Et puis il y a ce mystérieux Nils Kant, un mauvais garçon qui commit plusieurs crimes dans les années 40 et disparut ensuite. Mort et enterré, la rumeur dit qu'il était revenu pour kidnapper (ou pire) le petit Jens ...

[...] On prétend que le cercueil de Kant aurait été vide. Tu as certainement déjà entendu ça ?
– Tu peux arrêter de te poser la question, parce qu’il n’était pas vide, dit Axelsson. Nous étions quatre à le porter, avant et après la cérémonie, et il fallait bien ça. Il était diablement lourd. » Gerlof avait l’impression de mettre en doute la conscience professionnelle du vieux fossoyeur, mais il fallait qu’il pose la question : « On raconte qu’il n’y avait que des pierres dans le cercueil, ou des sacs de sable, dit-il à voix basse.
– J’ai entendu cette rumeur, dit Axelsson.
[...] Certains disent avoir vu Nils Kant dans le brouillard d’automne, au bord de la grand-route, qui regardait passer les voitures, barbu, les cheveux gris… D’autres l’ont vu errer sur la lande, comme il faisait dans sa jeunesse, ou encore dans la foule, à Borgholm.

Certainement un des plus suédois de tous les polars suédois qu’on a dévorés.
Qui ne vaut peut-être pas autant de prix et de bruit mais qui se lit avec intérêt et plaisir : Johan Theorin est une plume sûre et élégante.


Pour celles et ceux qui aiment les bords de mer.
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