mardi 5 septembre 2023

Convoi pour Samarcande (Gouzel Iakhina)

[...] Des enfants ne devraient pas avoir un tel regard.

    L'auteure, le livre (480 pages, 2023) :

Ce Convoi pour Samarcande n'est pas un joli conte des mille et une nuits ni le récit d'une somptueuse caravane que l'on aurait suivie sur les routes de la soie.
Mais c'est une histoire puissante qui va nous être contée par Gouzel Iakhina, née à Kazan en 1977 et qui vit désormais à Moscou.
Attention, dernier appel pour les passagers, il est encore temps pour vous de quitter le train, c'est un roman basé sur des événements hélas très réels.

 Le contexte :

Au début des années 1920, le jeune état soviétique épuisé et désorganisé par la Révolution, la guerre civile et la Première guerre mondiale n'arrive plus à nourrir son peuple. Une terrible famine [clic] ravage l'Ukraine, la Crimée, la Russie et le bassin de la Volga, terre natale de l'auteure.
On n'a pas vu cela depuis le Moyen Âge, des millions de personnes sont condamnées, les cadavres s'entassent dans les rues, c'est le retour de l'anthropophagie.
Alors que l'aide internationale se met difficilement en place, les russes organisent des convois ferroviaires pour acheminer quelques centaines d'enfants vers les contrées plus clémentes du Turkestan qui, à l'époque, englobait notamment l'actuel Ouzbékistan et Samarcande.
[...] En deux semaines, ils arriveraient au Turkestan. Là-bas, ce serait l’éternel été. Un soleil brûlant, des pluies caressantes. Du pain et du riz. Ces merveilleux grains de raisin.
Bien sûr, on sait qu'une dizaine d'années plus tard l'Ukraine connaîtra une autre terrible famine sous la politique de Staline cette fois [clic].

    On aime beaucoup :

❤️ On aime évidemment la formidable Histoire dont s'est emparée Gouzel Iakhina, un sujet très fort qu'elle arrive à nous raconter sans trop tirer sur la corde sensible quand elle évoque le sort de ces enfants mais avec suffisamment d'empathie envers ses personnages de roman pour emporter le lecteur avec elle à bord de ce train de folie.

      L'intrigue :

Le bouquin démarre très très fort et le lecteur va devoir bien s'accrocher le temps de l'impossible sélection des cinq cent enfants (il faut abandonner les grabataires ou les plus petits qui n'arriveront pas vivants au terme du voyage) et de la difficile préparation du convoi (il faut réquisitionner le peu que l'on peut encore trouver dans une Kazan dévastée et abandonnée de tous). C'est plutôt rude.
[...] –  Des enfants, lui avait dit Tchaïanov, le commandant du département des transports, en guise de salutations. Cinq cents. Il faut les convoyer de Kazan à Samarcande. Tu prendras ton mandat et les instructions chez le secrétaire. 
Depuis des années qu’il était dans le transport, Deïev avait convoyé tout ce qui pouvait passer par des rails, du blé et du bétail réquisitionnés jusqu’à la graisse de baleine, que la Norvège, pays ami, envoyait par citernes aux habitants de la   Volga en proie à la famine. Mais jamais des enfants.
[...] Quatre mille kilomètres, c’était exactement la distance qu’allait devoir franchir le train sanitaire de Kazan au Turkestan. Le train lui-même n’existait pas encore  : l’ordre de sa formation avait été signé la veille, le 9 octobre 1923. 
[...] – Je veux convoyer autant d’enfants que possible au Turkestan, mais qu’ils arrivent vivants ! Les grabataires n’arriveront jamais jusque-là, et ne feront qu’encombrer inutilement le wagon.
– Donc, ils n’ont qu’à mourir ici ?
[...] Ce combat incessant pour les poêles, le charbon, le pétrole, l’approvisionnement, les bassines et les louches, les pelles et les seaux, les bandages et les cordes, les sacs, les marmites, la meilleure locomotive du dépôt et le conducteur le moins soûl, tout cela avait été fait et restait derrière lui. La nuit était tombée, la dernière avant le départ.
Dans cette ambiance stressante, on a vraiment hâte de quitter Kazan, que la locomotive siffle, que le convoi s'ébranle enfin sous la conduite du camarade commandant Deïev, que les enfants partent vers le sud accompagnés de la revêche camarade commissaire Blanche, d'un cuistot pas très futé, du vieil infirmier retraité Doug et de quelques paysannes faisant office de nurses. Tous marqués par un trop lourd passé.
[...] –  Tu es médecin  ? 
–  Ichtyologue. 
–  Quoi  ? ahana-t-il, complètement désorienté. 
–  Spécialiste des poissons.
[...] Un vieillard de soixante-dix ans, une volée de vieilles pies et un cuisinier muet et idiot  : c’était là toute la troupe de Deïev.
Enfin. C'est parti pour une épopée de plusieurs milliers de kilomètres de voie ferrée que l'on espère parcourir en deux semaines ... 
Avec à peine trois jours de vivres à bord ... pour un périple qui durera près de deux mois !
[...] Il devait conduire ce chargement vers l’ouest, par les forêts de la Volga, jusqu’à Arzamas. Puis vers le sud et l’est, jusqu’à la mer d’Aral. Puis à nouveau vers le sud  : traversant les déserts de Kyzyl-Koum et de la steppe de la Faim, jusqu’à Tachkent. Puis en repartir vers l’ouest, passer les chaînes du Tchimgan et de Zeravchan, jusqu’à Samarcande.
Dès lors, les épisodes les plus épiques vont s'enchaîner et certains marqueront durablement le lecteur : la Tchéka de Sviajsk, les "excédents" du ravitaillement, la liturgie des cosaques, ... Gouzel Iakhina déroule son scénario entre film d'horreur et cinéma d'aventures.
Un récit ponctué d'anecdotes pleines d'humanité : les "mariages" des enfants, la berceuse du soir chantée par Fatima, les vagabonds de Dongouz, la baignade dans la mer d'Aral, ...
[...] –  Ça te plaît ici, Fatima  ?
Et elle répondait à nouveau comme dans un livre de poésie  : 
–  Je voudrais voyager sans fin dans ce train.
[...] –  Ce n’est pas un train, mais une arche de Noé.
Le bouquin a tous les ingrédients d'un "grand" roman mais souffre de la prose un peu naïve de Gouzel Iakhina (le héros Deïev est un peu cliché), d'une écriture peut-être trop russe pour les lecteurs occidentaux (même si l'on devine une belle traduction), et d'un manque de maîtrise qui laisse filer des passages oniriques un peu lourds et les délires de Deïev trop envahissants.
Mais que cela ne vous empêche surtout pas de découvrir cette très forte histoire venue de la lointaine Tatarie.


Pour celles et ceux qui aiment les trains et les enfants.
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Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Noir sur blanc.

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