vendredi 1 janvier 2016

Best-of 2015

Le moment est venu du traditionnel best-of annuel : l'occasion de nous rappeler quelques bons souvenirs de 2015 (en dépit d'un début et d'une fin trop mouvementés) et pour les retardataires de peut-être rattraper quelques bonnes idées culturelles.
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Du côté des romans, l'année ne fut guère ici abondante.
Mais la quantité n'est guère nécessaire à la qualité et on a donc quand même eu droit à quelques rares mais excellents moments de lecture.

Commençons par un voyage au Sud-Tyrol, en compagnie de l'italienne Francesca Melandri et de son Eva dort.
Une région du nord de l'Italie qui appartenait à l'Autriche jadis, au pied du col du Brenner, qui serait un peu l'Alsace italienne. Ses habitants étaient germanophones et bizarrement accoutrés lors des dimanches de fête.
Mais après la première Guerre, le Haut-Adige bascula du côté italien : le fascisme romain des années 20-30 entrepris alors une italianisation forcée de ces montagnes.
C'est dans l'une de ces vallées que naquirent Vera et sa mère Gerda.
Et c'est l'histoire de ces deux femmes, l'Histoire de ces vallées et de ces années, que nous raconte Melandri, alternant avec équilibre et précision les chapitres, le présent de la moderne Vera et le passé de la savoureuse Gerda.
D'une belle écriture ronde et puissante, et avec une force évocatrice peu commune.
Parti avec l'envie de découvrir la géographie et l'histoire d'une région, on s'est laissé surprendre et attraper par une belle plume et un très beau roman.

Poursuivons les voyages. Jocelyne Saucier est québécoise, plus exactement elle vient de l’Abitibi-Témiscamingue, tout là-haut, une région de forêts marbrées de lacs, entre la baie d’Hudson et les Grands Lacs de l’Ontario.
Avec Il pleuvait des oiseaux, la dame part à la recherche des survivants des Grands Feux qui ravagèrent ces régions il y a cent ans et qui firent pleuvoir des oiseaux (qui mourraient asphyxiés en plein vol).
Aucune mièvrerie, aucun angélisme dans l’histoire de ces vieux épris de liberté et de fausse solitude qui vieillissent et apprivoisent la mort prochaine. Mais de l’humour, un réalisme parfois cru et beaucoup, beaucoup d’humanité.
Ce bouquin donne à lire une autre face de ce nature-writing devenu tellement à la mode dans nos vies citadines, une face plus intime, plus chaleureuse.
Et puis surtout, Jocelyne Saucier fait preuve d’une grande tendresse pour ses personnages ce qu’on apprécie beaucoup, tout autant que ses talents de conteuse.
Frais, tendre et lumineux. Jouissif.

On se méfie toujours (trop sans doute) des bouquins aux succès retentissants et des enthousiasmes qui saturent la blogoboule.
Le théorème du homard de l'australien Graeme Simsion avait donc tout pour qu'on cherche à l'éviter.
Soyons beau joueur : même s'il est clairement formaté pour le succès qu'il a connu, ce roman (cette romance) est un vrai plaisir de lecture, quelques heures de rire et d'émotion, de réflexion légère aussi. On en ressort donc le cœur léger et il faut bien reconnaitre que ce cœur a battu plus vite pendant quelques heures.
La recette est connue : prenez un homme et une femme que tout, mais alors tout, vraiment tout oppose, mettez-les sur un même grill, assaisonnez copieusement d'humour et d'amour, surveillez la cuisson, retournez de temps en temps.
La vraie originalité du plat cuisiné par Simsion, ce n'est pas le homard mais son personnage masculin : un professeur de génétique, maniaco-obsessionnel, souffrant de quelque chose qui ressemble bien au syndrome d'Asperger. Le message des bisounours down under est très simple et très sucré : le bonheur c'est ici et maintenant, avec cette fille-ci, avec ce gars-là.

Abondance par contre au rayon Polars 2015 avec au-dessus du panier, quelques belles découvertes.

Indiscutablement, la palme Polar de l'année revient au brésilien Edyr Augusto et à son polar coup de point : Belém, qui nous fait découvrir cet état du nord du Brésil, près du Suriname et de la Guyane, là où l'Amazone forme son delta, le Pará. Une région où l'on rêve beaucoup, où l'on frime un max et où l'on déchante forcément encore plus.
Edyr Augusto excelle dans l'art du portrait et toutes sortes de personnages, plus ou moins importants, plus ou moins sympas, plus ou moins ragoûtants vont défiler devant nous comme on défile dans les écoles de samba. Quasi nus.
Peu à peu on s'habitue à cette écriture sèche et nerveuse, à cette violence qui semble imprégner et le Pará et le bouquin.
Amateurs de polars, précipitez-vous sur celui-ci, un bouquin qui ne s'oublie pas une fois refermé.
Après la vague nordique, ce vent qui souffle sur les plages amazoniennes, ça décoiffe !

L'année polars 2015 sera donc sud-américaine !
Après le Brésil, voici donc le Chili avec deux voyages cette année en compagnie de Boris Quercia et de son flic ténébreux Santiago (évidemment) Quiñones : Les rues de Santiago et Tant de chiens.
Les bouquins sont petits, il faut donc les lire tous les deux et dans cet ordre (un troisième arrive).
Des petites phrases courtes, sèches, shootées à l'humanité, filmées à hauteur d'homme. Des chapitres courts, comme autant de petites nouvelles, avec un sens consommé de la chute, le petit truc anodin, sans rapport avec l'essentiel du récit, le petit truc qui vous grave au burin la scène en mémoire.
Tous les ingrédients sont là, tous ceux de la recette classique du polar noir, hardboiled comme dit désormais chez nous.
Embrouilles tordues, balles perdues mais pas pour tout le monde, collègues flics pas très cleans, femme(s) fatale(s) ...
Boris Quercia met en scène un flic comme on les aime : ténébreux et solitaire, dur et maladroit en amours comme en affaires, un flic qui boit pas mal (sans surprise) et qui même ne dédaigne pas une ligne de coke de temps à autre. En suivant les traces de Quiñones dans les rues de Santiago, on s’intéresse plus au personnage et à ceux qu’il va croiser au gré de ses déambulations, qu'au fil de l'intrigue.

Coup de cœur de rattrapage : l'inspecteur John Rebus est une vieille connaissance qui n'avait pas encore reçu les honneurs de ce blog.
Justice est donc rendue ici, sinon aux victimes écossaises, du moins à cet auteur calédonien qu'est Ian Rankin.
Un auteur ici au mieux de sa forme pour un polar très dense.
Pas de préliminaire, pas d'exposition ni de présentation des acteurs, mieux vaut déjà connaître John Rebus et le contexte.
Dès les premières pages, nous voici plongés au cœur de plusieurs intrigues policières et même de plusieurs enquêtes qui vont s'entrecroiser pour notre plus grand plaisir. Rankin ne prend pas son lecteur pour un demeuré et le laisse faire son chemin au milieu de tout cela.
John Rebus est le cousin transatlantique de Harry Bosch et comme les précédents, cet épisode baigne dans les thèmes chers à Ian Rankin : polar urbain entre deux âges et entre deux eaux, la Leith et la Clyde, compromissions policières, mafieuses, politiciennes ou affairistes, quelque part entre chien et loup ...

L'année 2015 fut d'une rare sécheresse cinématographique et notre manque d'assiduité dans les salles obscures n'a fait qu'aggraver les choses.
Du coup, le palmarès n'en est que plus facile à rappeler ...

Après le déjà bien remarquable Tel père, tel fils, (rappelez-vous l'an passé, juste après The lunchbox), Kore-Heda Hirokazu nous offre tout simplement un des plus beaux films de cette année : Notre petite sœur.
La pellicule de Hirokazu a été trempée dans un filtre de douceur de vivre, de gentillesse charmante et de féminité attendrissante. C'est un film de femmes où les hommes brillent par leur absence et leurs faiblesses. Un film de femmes ... avec maison.
Au bout d'un quart d'heure, on n'a plus qu'une seule envie : se faire jardinier, blanchisseuse, cuisinier ou femme de ménage et aller donner un coup de main pour tenir la maison des quatre sœurs, là tout de suite, histoire de partager leur quotidien au moins quelques heures par semaine.
Un quotidien nippon où modernité et traditions constituent un mélange particulièrement réussi.

Stéphane Brizé, tout auréolé de palmes, nous a servi en milieu d'année un film beaucoup moins sympathique, judicieusement intitulé La loi du marché.
Ce qui nous est donné à voir, c’est la machine à broyer qu’est devenue notre société dans sa course sans fin vers toujours plus de profit.
Pour autant, Stéphane Brizé ne donne pas un seul instant dans le pamphlet politique, la colère sociale, la démonstration indignée : non, il nous plonge dans tout cela sans aucune distance. Il n’y a là aucun cinéma : pas de scénario, pas de personnage, …
Ce n’est même pas un documentaire où le regard du reporter apporterait sa propre distance.
À la limite du supportable, vraiment.
Car ce n’est que stress et angoisse qui sourdent mécaniquement de ces images d’apparence banale et a priori sans intérêt filmique.
Vincent Lindon est notre œil et notre regard, il est allé remplir son office de vigile au cœur même du temple de la consommation qu’est le centre commercial.
Aucune échappatoire à tout cela. Très beau. Très dur.


Et puisque l'on évoquait The lunchbox, voici en quelque sorte la suite avec Masaan de Neeraj Ghaywan, une très forte histoire d'amour qui dépeint ... une incroyable violence sociale : corruption, bastonnade, exploitation des uns et des autres, difficultés économiques, poids des traditions, mirages de la modernité, ...
L'histoire se termine d'ailleurs sur des propos ambigus où il semble bien que tout le monde retrouve la place qui était la sienne et qu'il n'aurait pas dû quitter ...
En dépit de ce pessimisme, le film réussit malgré tout à nous donner une furieuse envie d'aller voir de plus près les ghats de Bénarès !
Une prouesse sans doute due à la poésie qui baigne toute cette histoire comme les eaux troubles du Gange et à la spiritualité qui berce ce film.

Allez, la page 2015 est maintenant refermée qui vit ce blog endeuillé par deux fois le 7 janvier et le 13 novembre : ouvrons donc celle de 2016 !
MAM & BMR vous souhaitent à toutes et à tous une excellente nouvelle année, pleine de bons films, de belles musiques et de bons bouquins. Bref, tout plein de coups de cœur et tout plein d’autres bonnes choses aussi !
Et histoire de commencer l'année tout en douceur, on vous propose la très très belle chanson de Claire Denamur qui servait de BOF au film L'Hermine.

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