lundi 29 novembre 2021

La nuit tombée sur nos âmes (Frédéric Paulin)


[...] Il ne reviendra pas de Gênes comme il y était venu.

    L'auteur, le livre (288 pages, 2021) :

Chroniques d'une catastrophe annoncée.
Frédéric Paulin quitte ses mémoires algériennes [1] pour se rapprocher un peu plus du jour d'aujourd'hui et nous rappeler les tragiques événements de 2001, lors du sommet du G8 à Gênes.
Mieux vaut réviser un peu son Histoire très contemporaine avant d'attaquer La nuit tombée sur nos âmes, pour pouvoir profiter pleinement du bouquin [2] [3] [4].

    On aime :

❤️ Un thriller passionnant comme on les aime, appuyé par une rigoureuse enquête de journaliste comme on les aime : que du bonheur pour ce salutaire travail de mémoire contemporaine.
❤️ Un devoir de mémoire indispensable parce que quelques semaines plus tard, le monde entier oubliera Gênes lorsque deux tours s'écrouleront à New York.
❤️ Un rappel salutaire : c'était hier tout juste et l'actualité nous montre que le fascisme n'est jamais aussi loin qu'on voudrait bien le croire.

      Le contexte :

En 1999, état d'urgence et couvre-feu s'abattent sur ce qu'on a carrément appelé la bataille de Seattle lors du sommet de l'OMC et la planète découvre la détermination altermondialiste (... et celle de l'autre camp).
En 2000, le sommet du FMI à Prague cristallise à nouveau manifestations et répression.
En juin 2001, à Göteborg le sommet européen se solde par un mort par balle (ce sera le sommet de l'angoisse dans la soi-disant si tranquille démocratie suédoise).
Ce sont les années de la naissance des fameux black blocs, du moins de leur naissance médiatique.
Autant dire que quelques semaines après la Suède, en juillet 2001, les puissants sont sur les dents et pètent de trouille à l'approche du sommet gênois : l'escalade de la violence et de la répression est à son paroxysme et chacun des camps affute ses armes pour en découdre, au sens propre souvent.
George Bush dormira même sur un navire de l'US Navy ancré dans la baie.
Frédéric Paulin était sur place à Gênes et en est revenu bouleversé par des scènes dignes des dictatures fascistes sudaméricaines : la boucherie de l'école Diaz, les tortures de la caserne de Bolzaneto et bien sûr le décès de Carlo Giuliani abattu par un carabinier pris au piège.

      L'intrigue :

Paulin s'empare de ces événements et les met en perspective dans un sacré roman.
Aux côtés des 'vrais' protagonistes de l'époque, il développe tout son art pour camper une galerie de personnages de tous bords et nous faire (re-)vivre de l'intérieur ces événements que l'on a oubliés seulement vingt ans après.
Nous voici donc en Italie en compagnie d'un couple de jeunes altermondialistes qui écument les sommets, celui de Gênes après celui de Göteborg.
Un militant du MSI italien devenu conseiller en sécurité du nouveau gouvernement de Berlusconi compromis avec les néo-fascistes.
[...] Carli sait que ses chefs sont pour la plupart incompétent, que sans le retour au gouvernement de Berlusconi ils n'auraient jamais pu se retrouver à gérer un tel événement. Pour lui, le choix de Gênes, une ville aux ruelles tortueuses construite sur un terrain escarpé, est une aberration. Seule la zone de réunion des huit chefs d'état a d'ailleurs été sécurisée. Les autres quartiers ont été abandonnés. Les émeutiers, les rouges, les noirs et tous les étrangers réduiront la ville en miettes si bon leur semble.
Un jeune conseiller en communication du cabinet Chirac. 
[...] La guerre froide est terminée, les antagonismes est-ouest se sont dissipés. Maintenant, le temps de l'opposition nord-sud est venu. Et ça, ça fascine Chirac.
Un duo de flics de notre DST. Une journaliste qui voulait jouer les reporters de guerre.
Tout le monde est en place pour trois jours de violence déchainée et l'on tourne tourne les pages sans pouvoir reposer le bouquin.
On peut aussi, pour se mettre dans l'ambiance, jeter un œil sur le film américain inspiré des événements de Seattle (qui n'arrive pas à la cheville du bouquin de Paulin).
Un livre qui éclaire également les violences policières plus récentes et l'incapacité (plus ou moins assumée) de nos polices à préserver la sécurité en même temps que la liberté de manifestation.

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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