[...] L’élégance au carré.
Coup de cœur pour la plume de Laurence Cossé, vive, riche, enjouée, trempée dans l'ironie et la dérision. Elle arrive à nous captiver et nous intéresser à un sujet aussi ennuyeux et rébarbatif que la construction d'un immeuble de bureaux.
L'auteure, le livre (368 pages, 2016) :
Mais quelle curieuse idée que d'ouvrir un livre documentaire sur la construction d'un édifice monumental de Paris La Défense !
Le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche, date de 2016 et un film en a été adapté cette année : L'inconnu de la Grande Arche réalisé par Stéphane Demoustier.
Livre et film sont au programme du du Festival de Vernoux Roman et Cinéma 2025 et c'est ce qui a motivé cette inhabituelle lecture, bien loin de notre zone de confort habituelle.
Les personnages :
Le personnage principal du bouquin c'est bien sûr ce quartier monumental de La Défense avec au cœur des enjeux politiques et immobiliers, la sortie du côté ouest, cette zone dite Tête-Défense qui attendait sa couronne depuis de nombreuses années.
L'autre grand rôle dans cette pièce dramatique c'est celui de l'architecte. Et bien malin le lecteur qui pouvait citer le nom de l'acteur avant d'ouvrir ce bouquin. On pense évidemment à Ieoh Ming Pei (qui proposera effectivement plusieurs maquettes) mais non, il s'agit d'un illustre inconnu (ce que souligne le titre du film adapté du livre). Un danois, à peine connu même chez lui, avec seulement quelques églises à son actif, mais ce sera finalement lui le vainqueur du concours international lancé par Mitterrand en 83, roulement de tambours, j'ai nommé : Johan Otto von Spreckelsen.
Spreck pour les intimes.
Le livre est donc aussi l'histoire de cette homme, « un homme pris dans une affaire énorme sans appui, sans agence, sans collaborateurs. Or son projet était quelque chose de dingue. »
On va découvrir également tous ceux qui ont œuvré à ce que le rêve d'un artiste soit réellement bâti pour de vrai, en dépit de si nombreuses contraintes techniques, financières, politiques, ...
Il y a là Robert Lion, également directeur de la Caisse des Dépôts.
Il y a là Paul Andreu, l'architecte ingénieur de ADP (oui, les aéroports).
On ne peut pas tous les citer ici mais sans ces deux-là, "le Cube" comme on disait alors, ne serait pas devenu La Grande Arche, dont l'inauguration aura lieu le 15 juillet 1989 pour le Sommet du G7 qui se tient à Paris lors du bicentenaire de la Révolution.
♥ On aime vraiment beaucoup :
➔ Agréable surprise, la plume de Laurence Cossé est vive, riche, enjouée, trempée dans l'ironie et la dérision : c'est précisément ce qu'il fallait pour captiver le lecteur et l'intéresser à un sujet aussi ennuyeux et rébarbatif que la construction d'un immeuble de bureaux, fut-il cette fameuse Grande Arche.
➔ On apprend évidemment beaucoup de choses sur cet étonnant bâtiment. En quelques lignes, Laurence Cossé arrive à nous passionner pour les avantages du béton précontraint (inventé en 1928) sur le classique béton armé (qui date de 1886) !
➔ On apprend évidemment beaucoup de choses sur cet étonnant bâtiment. En quelques lignes, Laurence Cossé arrive à nous passionner pour les avantages du béton précontraint (inventé en 1928) sur le classique béton armé (qui date de 1886) !
Quelques lignes qui n'ont l'air de rien mais qui sont lumineuses et truffées d'infos soigneusement documentées, de fine ironie et même d'autodérision. Tout cela de la part d'une auteure qui ne s'y connaissait sans doute pas plus que nous hier en techniques de BTP.
« [...] Les efforts de documentation auxquels j’ai dû m’astreindre pour écrire sans trop d’inepties les paragraphes précédents ont réduit en poussière un des piliers de mon équilibre psychique. »
Depuis des années, l'édifice s'était fondu dans le panorama familier des Parisiens, mais la lecture de ce roman va inciter les lecteurs à redécouvrir La Défense et à porter un tout autre regard sur ce bâtiment hors du commun : on comprend mieux pourquoi les étrangers viennent se photographier à ses pieds.
➔ Cette histoire est également une véritable immersion dans les coulisses du pouvoir et l'arrière-cour de nos institutions : sordides tractations politiques, subtiles magouilles financières, rivalités d'egos disproportionnés, ... on connait la musique bien sûr, mais Laurence Cossé nous en propose une relecture vivante et instructive. « Autour de cette œuvre monumentale, il y a eu des conflits monumentaux » ou encore : « comprenne qui pourra au royaume du Danemark. Il y a quelque chose de pourri dans la République française. »
➔ Et puis bien sûr, il y a le feuilleton Spreckelsen : cet improbable architecte danois, sorti d'on ne sait où et toujours flanqué d'une épouse aussi élégante que secrète. Le lauréat du concours y gagnera la célébrité (ou presque) mais quittera le chantier, de guerre lasse, usé par les querelles et les contraintes.
Après avoir démissionné en 86 aussi discrètement qu'il était arrivé en 83, il finira même par y laisser la vie : la maladie le rattrapera en 87 avant que son "Cube" magique soit inauguré.
L'ironique Laurence Cossé nous dit que « les grands danois, dits aussi dogues allemands, sont souvent braques ».
Spreck, le rêveur sublime, « n’avait en tête que sa superbe épure, et la certitude qu’on allait l’abîmer. Il ne voulait céder sur rien. Pour finir, il a refusé l’obstacle. La construction, c’est une épreuve. Il l’a refusée. »
De là à imaginer que le décès de l'architecte est peut-être celui de la légende qui veut qu' « on ne peut pas construire un monument si un être humain n’est pas sacrifié. Sinon, le monument s’écroule, et s’écroule toutes les fois qu’on essaie de le remonter. Pour conjurer cette malédiction, il faut emmurer quelqu’un de vivant dans les fondations. »
Quant à son Arche si élégante, « Johan Otto von Spreckelsen ne l’a jamais observé[e]. Parmi tous les marcheurs qui avancent vers l’Arche, parmi les passants qui s’arrêtent à sa vue, puisse l’un ou l’autre, un instant, avoir une pensée pour celui qui n’aura pas vu la Forme très pure dont il avait eu la vision. »
Pour celles et ceux qui aiment les bâtisseurs.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu dans le cadre du Festival de Vernoux Roman et Cinéma 2025.
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.
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