lundi 1 décembre 2025

Du sang sur les pierres (Adrian McKinty)

[...] J’ai jamais rien vu de pareil.


McKinty est l'un des auteurs de polars anglo-saxons les plus attachants, tout comme son héros Sean Duffy, le seul flic catholique de la police protestante d'Ulster. 
On retrouve ici aussi bien l'humour sarcastique que le stress des années 80 et des "Troubles" qui font tout le charme de cette solide série irlandaise.

❤️❤️❤️❤️🤍

L'auteur, le livre (432 pages, octobre 2025, 2016 en VO) :

Adrian McKinty est un irlandais de la région de Belfast, parti vivre aux US puis en Australie, qui aura longtemps attendu le succès après avoir bouffé de la vache enragée comme on dit [clic].
Fort heureusement il a persévéré et on l'avait découvert en 2013 avec Une terre si froide, première enquête de son héros Sean Duffy, un flic catholique égaré dans les rangs de la police protestante d'Ulster.
Et puis la trilogie s'est faite série au long cours : voici le dernier épisode en date (pour la traduction française) qui a pour titre Du sang sur les pierres.

Le pitch et les personnages :

Sean Duffy est peut-être le seul flic catholique dans toute la police protestante d'Ulster.
Un brin paranoïaque, le flic catholique vérifie soigneusement sa voiture avant de démarrer, des fois que les jeunes du quartier lui aurait collé une bombinette sous le châssis. Un véritable running gag à l'ironie un peu amère, surtout dans cet épisode (mais chut !).
« Je prends mon arme, sors de la maison et vérifie d’abord sous la BMW qu’il ne s’y trouve pas de bombe à interrupteur au mercure. C’est bon. »
Au fil des épisodes on s'est attaché à ce flic un brin intello :
« — Un diplôme d’ingénieur, c’est un peu plus utile que ton… C’était quoi, déjà, ce truc de branleur que t’as étudié – philo ?
— Psycho. »
Et qui finalement sort un peu du lot de ceux que l'on fréquente habituellement au rayon polars.
« Le policier qui a des problèmes de dépendance affective et des soucis avec sa copine. Ça suffit les clichés, quoi ! »
On voit que l'humour acide n'est pas ce qui fait défaut ni à McKinty ni à Sean Duffy.
D'ailleurs « l’idiome par défaut de cette ville est le sarcasme ».
Duffy est flic à Carrickfergus et « la ville de Carrickfergus est dotée d’un nombre embarrassant d’usines désaffectées. Ouvertes dans l’optimisme des sixties, fermées par le pessimisme de la décennie suivante, et près de tomber en ruine, aujourd’hui, dans l’apocalypse du milieu des années quatre-vingt.  ».
Une délégation d'industriels venus des pays du nord est donc la bienvenue pour redynamiser l'économie moribonde du patelin.
« — Je croyais que c’étaient des Suédois, ces visiteurs. Volvo, Saab, un truc du genre ?
— Non. Pas des Suédois. Des Finlandais. Et pour des téléphones, pas des voitures.  »
On leur fait visiter les friches industrielles prêtes à les accueillir et même le château médiéval, haut lieu de la culture locale. 
Le lendemain on découvre du sang sur les pierres au pied du donjon, le cadavre d'une journaliste qui les accompagnait. Qui donc l'a suicidé et pour étouffer quels secrets ?
Le château était fermé et Sean Duffy va devoir jouer les Rouletabille pour démêler ce vrai-faux suicide. 
Voilà bien « une affaire insolite n’importe où dans le monde, mais particulièrement étonnante dans l’Ulster des Troubles, où les meurtres ne sont jamais baroques ou complexes ».
« Personne ici n’a jamais rien vu de pareil.
— J’ai jamais rien vu de pareil, dit le sergent à côté de moi. »

♥ On aime :

 Nous revoici donc en 1987 en Irlande du Nord, dans ce « pays déchiré par une guerre civile interconfessionnelle », dans « cette maudite ville de Carrick pendant ces maudits Troubles de l’Irlande du Nord ». Cette période, celle des années 80 et de ces fameux "Troubles", nous ne la connaissons pas toujours très bien et surtout nous l'avons un peu oubliée.
« Vous ne savez pas. Vous n’avez pas idée. Vous n’y êtes pas. Pour vous, les années quatre-vingt, c’est le triomphe de Thatcher, les Argentins vaincus aux Malouines, le pétrole de la mer du Nord, les syndicats brisés, le pas de deux de Reagan & Thatcher. Pour vous, mais pas pour nous.
Pour nous, c’est les hélicoptères, les nuages bas, les soldats. »
L'IRA, le MI5, les milices paramilitaires orangistes et la Special Branch font toujours partie du décor.
 Avec quelques péripéties ironiques en guise de séquence d'ouverture, puis avec le mystère du château entièrement clos, Adrian McKinty joue avec son lecteur et les codes du roman policier.
Mais il ne perd jamais de vue ses thèmes de prédilection : les réalités quotidiennes en Ulster pendant ces "Troubles", les réseaux de corruption, l'impunité des riches ou des puissants, ...
Avec les polars noirs de McKinty, les mots de justice ou d'ordre perdent souvent tout leur sens.
 Et puis ce sont toujours des romans dont la trame fictionnelle entremêle soigneusement quelques fils d'histoires vraies : ici, on va retrouver le sulfureux présentateur vedette anglais Jimmy Savile (fait chevalier par Margaret Thatcher et même par le pape !) et le sinistre institut pour jeunes délinquants Kincora (rebaptisé Kinkaid dans le roman).

Pour celles et ceux qui aiment les irlandais.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Fayard et à NetGalley (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.