mercredi 23 avril 2008

Les belles endormies (Yasunari Kawabata)

Éros et Thanatos.

On a déjà eu l'occasion de croiser ici Yasunari Kawabata, l'un des deux prix Nobel nippons de littérature (rien que ça), avec l'excellent Pays de neige.
Revoici cette belle écriture venue d'extrême-orient avec Les belles endormies.
Moins accessibles que le Pays de neige, encore plus japonaises, Ces belles endormies nous proposent une bien étrange visite.
Celle d'une maison de «passe». Une maison où l'on «passe» la nuit aux côtés d'une belle.
Aux côtés d'une belle endormie.
Une maison où quelques vieillards avisés, mais plus tout à fait en mesure d'honorer une belle (des «vieillards de tout repos» !), passent une nuit paisible auprès d'une belle, endormie artificiellement.
[...] Et pourtant, pouvait-il exister chose plus horrible qu'un vieillard qui se disposait à coucher une nuit entière aux côtés d'une fille que l'on avait endormie pour tout ce temps et qui n'ouvrait pas l'oeil ?
Comble de l'horreur ou comble du bonheur ?
[...] ... le vieux Kiga, celui qui avait introduit Eguchi, avait dit que c'était comme si «l'on couchait avec un Bouddha caché».
Un bien étrange rituel, très loin de nos fantasmes occidentaux, très proche du shinjû, le double suicide amoureux de l'imaginaire nippon. Car du sommeil tout court au sommeil éternel, il n'y a qu'un pas. Un pas de deux.
En contrepoint des rêveries d'Eguchi, le client que nous suivons au fil des nuits, on savoure les réparties sans réplique de la maîtresse des lieux qui tient sa maison d'une main ferme  :
[...] - De nos clients, aucun ne fait jamais rien. Nous ne recevons que des clients de tout repos.
Ou encore, le lendemain matin :
[...] - Ne pourriez-vous me permettre de rester ici jusqu'à son réveil ? 
- Ça ! cela ne peut se faire ici ! dit la femme d'un ton un peu plus précipité. Même nos clients les plus fidèles ne font pas cela.
Et après une autre nuit :
[...] - J'aurais voulu avoir de la même drogue que la fille. J'avais envie de dormir d'un sommeil pareil au sien. 
- Ça, c'est interdit ! Et d'abord, ce serait dangereux à votre âge ! 
- J'ai le coeur solide rassurez-vous ! Et si par hasard, je m'étais endormi pour l'éternité, ce n'est pas moi qui m'en serais plaint !
Oui, car au-delà de la fascination pour les corps délicats de ces jeunesses endormies, Eguchi le vieillard, est tout autant obsédé par leur sommeil que rien ne vient réveiller. Un sommeil que l'on pourrait croire éternel.
Un sommeil qui sera bientôt le sien, vu son âge avancé.
Dix ans après avoir écrit Les belles endormies, Kawabata se suicidera, un an après le seppuku de son ami Mishima.
Voir aussi Le grondement de la montagne.

Le Livre de Poche édite ces 124 pages traduites du japonais par René Sieffert. 
Pour celles et ceux qui aiment la jeunesse. 
Vaovan en parle (qu'on a découvert grâce à LsF), Jeanne (Nuages et vent) aussi. 
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