Chez la voisine de Woody Allen.
Siri Hustvedt n'est autre que l'épouse de Paul Auster : un parrainage qu'elle assume fort bien tant son style est limpide et maîtrisé comme le montre son roman, Élégie pour un américain.
Élégie : poème lyrique, écrit dans un style simple, qui chante les plaintes et les douleurs de l'homme, les amours contrariés, la séparation, la mort.
Pour une fois tout est dit dans le titre (The sorrows of an american en VO).
Le roman entremêle (très habilement) le présent d'un psychanalyste new-yorkais et de sa sœur avec le passé de leur père, voire de leurs grands-parents.
Avec même des extraits des mémoires du père (des vraies mémoires du vrai père de Siri Hustvedt).
Une famille d'immigrés norvégiens (Siri Hustvedt est d'origine norvégienne) et cette histoire «intergénérationnelle» comme on dit, pourrait faire le lien transatlantique entre les sagas nordiques qu'on a découvertes récemment ici ou là et les histoires plus américaines qu'on a pu lire ici et là.
Les plus attentifs auront également repéré quelques mots-clés : psychanalyse, New-York, ... oui, on est en plein dans le monde de Woody Allen. Celui des intellectuels américains (enfin, new-yorkais) tourmentés aujourd'hui par les suites du 11 septembre et la guerre en Irak (les américains semblent avoir découvert le mal depuis qu'il a frappé chez eux).
C'est ce côté parfois un peu jérémiade qui peut agacer, comme peuvent aussi gêner les références répétées à la psychanalyse et aux patients du héros.
[...] La mère de Mr. B. s'était ouvert les veines dans son bain. Son mari avait découvert son corps lorsque l'eau ensanglantée avait passé sous la porte. Après avoir fermé le robinet, il avait trouvé son fils en bas, dans la cuisine, et lui avait annoncé laconiquement : Ta mère est morte. Après quoi il l'avait enfermé dans sa chambre, où le gamin était resté assis pendant des heures. Les adultes lui avaient menti au sujet de la mort de sa mère, même si "le cœur" avait constitué une métaphore efficace pour ce dont avait souffert la mère de Mr. B. Tant de mutisme.
On aurait peut-être préféré se concentrer sur la belle histoire du frère et de la sœur à la recherche de leur père, de la mémoire de leur père, quitte à ce que ce soit dans des rêveries ...
[...] Il portait les lunettes à monture sombre dont je me souvenais depuis mon enfance, et je m'approchais de lui. "Papa ?" Il se mettait à parler de notes en bas de page, mais j'avais de la difficulté à suivre ce qu'il disait et sa voix paraissait venir de loin, comme d'une autre pièce, en dépit du fait que son visage sans rides se trouvait proche du mien et paraissait étrangement agrandi. Il n'y avait pas de bonbonne d'oxygène près de lui, pas de cicatrice due au cancer sur son nez, pas d'appareils auditifs dans ses oreilles. Sa jambe gauche n'était pas raide. Il vieillit sous mes yeux. Mon vieux père remplaçait le jeune homme. Les lunettes qu'il portait devinrent les lunettes à monture d'acier que je lui avais vues les derniers temps, son visage se couvrit de rides profondes. Je vis la marque violacée sur le côté droit de son nez, là où les chirurgiens lui avaient greffé de la peau de son crâne afin de réparer les dégâts résultant de l'opération par laquelle ils lui avaient extirpé le mal. Il sourit.
"Père, lui dis-je. N'es-tu pas mort ?
- Si", répondit-il, penché en avant, les bras tendus vers moi.
Siri Hustvedt est plus connue pour l'un de ses livres précédents : Tout ce que j'aimais, que les lecteurs semblent avoir préféré à ce dernier. Il a donc fallu qu'on le lise également !
Pour celles et ceux qui aiment les tourments.
Comme pour «monsieur», c'est Actes Sud qui édite ces 394 pages qui datent de 2008 en VO et qui sont traduites de l'américain par Christine Le Boeuf.
Guillaume en parle longuement. D'autres avis sur Critiques libres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire