Entre deux solstices d’hiver.
On connait bien le suédois Henning Mankell par ses polars et son inspecteur Wallander qui tient même désormais série sur Arte.On avait également suivi cet auteur prolixe et éclectique (il écrit du théâtre, il écrit sur l'Afrique, ...) avec un roman social sur l'immigration en Suède : c'était Tea-Bag(1).
Le voici de nouveau avec autre chose qu'un policier : Les chaussures italiennes, assurément son meilleur roman jusqu'ici (merci Véro !) et, tout aussi sûrement, un des meilleurs bouquins, tous rayons confondus, qu'on ait lu ces derniers mois, avis unanime et partagé de BMR et de MAM.
On aimerait en voir adapté un film, non pas à cause du scénario mais parce que les images y sont évoquées avec une force peu commune(2) et qu'il ne faut que quelques lignes à Mankell pour nous plonger au cœur de l'hiver suédois aux côtés de son Fredrik Welin.
Un type qui s'achemine lentement mais sûrement sur ses 70 ans, qui vit reclus sur une des îles de l'archipel suédois avec une fourmilière qui envahit peu à peu son salon, un type qui snife un pot de goudron dans son hangar à bateau quand ça va vraiment mal, un type qui tient un journal de bord résolument insignifiant où il ne parle que du temps et de la force du vent, et qui tous les matins creuse un trou dans la glace pour s'immerger dans l'eau glacée, comme pour se convaincre qu'il est encore vivant et qu'il fait plus froid dehors qu'en sa tête ou son cœur.
Il survit ainsi, taraudé par son passé : un amour de jeunesse qu'il a fuit lâchement sans explication et une erreur professionnelle qu'il a commise quand il était chirurgien.
Un beau jour d'hiver, boitillant sur la glace qui mène à son île, rongée par un cancer(3), surgit Harriet son ex-amie ...
Dès les premières pages on sent qu'on tient là un superbe roman à l'écriture sobre, qui fait mouche à tous les coups, qui touche à toutes les pages. Ça sent l'humanité, la vraie vie.
Si style, époque, pays et météo sont bien différents, on y a retrouvé un peu de la force d'évocation de John Fante, l'humour en moins, et ce sens de la chute au coin d'un paragraphe, pour aller droit au cœur, à l'essentiel.
[...] Le vent a soufflé par intermittence pendant toute la nuit.Comme un coup de pied dans la fourmilière, l'arrivée d'Harriet va bousculer la vie jusqu'ici anesthésiée du chirurgien : les histoires et les femmes du passé vont envahir l'île de cet ermite du cœur.
J'ai mal dormi. Couché dans mon lit, je l'écoutais se déchaîner contre les murs. Le courant d'air de la fenêtre côté nord était plus important que l'autre, côté est, je pouvais donc en déterminer sa direction : vent de nord-ouest, avec rafales. J'en prendrais note dans mon journal de bord le lendemain. Mais la visite d'Harriet, je ne savais pas si je la mentionnerais.
Quant aux chaussures italiennes, seule petite note de couleur et d'optimisme, comme déplacée dans cette histoire très vraie mais pas très gaie, on vous laisse découvrir ce qu'elles viennent faire dans les forêts enneigées de Scandinavie.
Et toujours sans trop en dévoiler pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture, relevons que le docteur Welin et l'inspecteur Wallander partagent un peu des mêmes difficultés dans leurs relations familiales ...
Alors, que ceux qui ne connaissent pas encore Mankell ou qui n'en connaissent que ses polars, se précipitent sur cet excellent roman. De la très très belle littérature.
Un livre où l'on découvre qu'il n'est pas bon de vivre gelé dans son passé.
(1) : avec cette paire de Chaussures italiennes, Mankell se permet même une petite coquetterie et une allusion (page 185) aux personnages de Tea-Bag.
(2) : la nuit au fast-food ou la petite "fête d'été" donnée sur l'île sont des morceaux d'anthologie.
(3) : Harriet a son cancer, lui sa fourmilière ...
Pour celles et ceux qui aiment qu'on leur raconte la vie avec plein de choses dedans.
Seuil édite ces 341 pages qui datent déjà de 2006 en VO et qui sont traduites du suédois par Anna Gibson.
Avis unanimes de Jostein, Stephinette, Calepin, Nathalie, Julien, ...
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