mercredi 14 août 2013

Je suis vivant et vous êtes mort (Emmanuel Carrère)

Confessions d’un barjo.

Si vous vous souvenez [clic], on avait été emballé par la biographie de Limonov romancée par Emmanuel Carrère.
En tournant autour de cet auteur, voilà-t-y pas qu’on découvre qu’il a également commis une bio de Philip K. Dick ?
Je suis vivant et vous êtes mort.
Il n’en fallait pas plus pour précipiter BMR quelques trente ans (chut !) en arrière.
À l’époque, BMR comptait parmi les fans et avait lu et relu toute la prose du barjo. Il faisait partie, comme le dit E. Carrère :
[des] admirateurs étrangers de Dick : babas bon teint, gauchistes marcuso-reichiens, inoffensifs barbus.

Parce que Philip Kindred Dick, tout le monde connait (si, si) ne serait-ce que par les nombreux films adaptés de ses œuvres au ciné : Total Recall, Blade Runner, Minority Report, L’agence, … c’est lui. Même le Truman show est très fortement inspiré des délires dickiens.
Mais avant cette (relative) célébrité cinématographique, Dick était réputé comme un auteur complètement délirant de romans de SF complètement délirants.
Ses histoires étaient celles du gars qui rêve qu’il est mort alors qu’il est vivant dans un autre monde parallèle, le vrai monde, mais en fait le gars est habité par quelqu’un d’autre qui lui, est bien mort mais que finalement il ne rêve pas … Comment ça, vous n’avez pas suivi ?
C’était la bonne vieille époque du LSD (T. Leary, A. Huxley, Lucy in the Sky with Diamonds, …) même si Dick n’en n’a quasiment jamais pris : hypocondriaque notoire, il était plutôt accro à diverses substances psychotropes vendues légalement en pharmacie pour se sentir d'abord plus cool, et ensuite d'autres pour être un peu plus speedé parce que trop mélancolique, et alors d'autres encore pour moins d'euphorie, puis … bon, faut que je retourne en chercher, y’a plus rien dans l’armoire à pharmacie.
Le roman d’E. Carrère nous apprend, ou plutôt nous confirme, que Philip K. Dick était bien barjo et carrément : paranoïaque à tendance schizoïde (c’était le temps de la guerre froide puis de Nixon), il ne faisait pas vraiment de différence entre ses romans et sa vie. Ce fut sans aucun doute très bien pour ses écrits, pour le cinéma et pour nous, mais ce fut dramatique pour tous ses proches, ses amis et ses diverses compagnes qui ne tenaient jamais bien longtemps.
Accessoirement, ce fut dur aussi pour ses docteurs et autres psychiatres qu’il arrivait à embobiner avec naturel et facilité en fonction de ses envies : jouer (?) au barjo quand il avait besoin de quelques substances (avec même le bon profil adapté à la pilule souhaitée), ou feindre le gars plus normal que vous et moi quand c’était nécessaire, ou bien encore, docteur dites-moi que c’est moi qui suis fou hein ? Aaaarrgh …
Pour résumer parfaitement tout cela, on peut citer l’anecdote du cambriolage. Sa maison sur la côte ouest fut un jour visitée, cambriolée et pas mal saccagée. Bien sûr il y voyait la main sournoise du KGB. Ou plutôt celle du FBI qui voulait faire croire à un coup monté par les communistes. À moins alors que les rouges n’aient réussi à manipuler la CIA ?
Bref, je vous épargne toutes les hypothèses, j’ai pris que les plus simples et les plus évidentes. Dick porte plainte. Pour une fois, sympas, les flics de Beverley l’écoutent et se déplacent même jusque chez lui pour le constat.
En partant, le flic : mais pourquoi vous avez fait ça ? Aaaarrgh …
Voyez docteur, un parano a aussi des ennemis.
Et donc on parcourt avec E. Carrère toute la vie du cher barjo.
Qui démarre fort, puisque sa mère laisse quasiment sa sœur jumelle mourir de faim en quelques semaines et que sur la tombe de la petite, le père fait également graver le nom du garçon en laissant vide (ouf) la date de fin. On choisit pas ses parents.
Toute la vie du barjo défile donc. Avec ses bouquins, ses essais, ses notes, ses erreurs, ses ratages, ses romans inachevés, ses reprises, et même ses succès.
On y croise même de nouveau (simple hasard puisque le bouquin date de 1993) Hannah Arendt :

[…] C’est une idée qui l’avait beaucoup frappé en lisant Hannah Arendt : que le but d’un état totalitaire est de couper les gens du réel, de les faire vivre dans un monde fictif.

E. Carrère s’étend un peu trop longtemps sur ce mélange osmotique entre la vie et l'œuvre (façon relecture d'un exégète) : certes, on comprend bien que Dick ne faisait guère de différence entre les deux mondes (comment ça docteur, il n’y a que deux mondes ?) mais le procédé est un peu répété longuement et il n’était peut-être pas utile de détailler tout cela pour chacune de ses œuvres majeures : Ubik, Le maître du haut château, Simulacres, Les androïdes … même si cela nous rappelle toute une époque, ah nostalgie …
Au fil des années, Dick finira par écrire de moins en moins et du coup, c’est le roman de Carrère qui décolle pour brosser un portrait plus humain d’un écrivain vieillissant et tourmenté, le cerveau complètement tourneboulé, ne serait-ce que par toutes les pilules avalées depuis ces années, mais c’était pour aller mieux hein ?
À l’approche du dénouement, les peurs exagérées du bonhomme (qui suis-je et où cours-je ?) se rapprochent alors de nos propres incertitudes.
Cette deuxième partie du bouquin est de loin la meilleure alors que paradoxalement la première moitié n’a pas réussi à nous donner suffisamment l’envie de replonger de nouveau à corps perdu à cerveau fondu dans l’une des grandes œuvres de Maître Dick. Faut dire que contrairement à BMR, ces histoires-là ont dû quand même vachement mal vieillir … ?

Pour celles et ceux qui aiment savoir s’ils rêvent en dormant ou le contraire.
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