dimanche 11 août 2013

Là-haut, vers le nord (Joseph Boyden)


Chez ces gens-là.

On a beaucoup hésité avant de rouvrir un bouquin de Joseph Boyden.
Après le si remarquable Chemin des âmes, on voulait rester sur une bonne impression : J. Boyden était-il capable de nous emporter à nouveau chez les indiens ?
Frileusement, on a décidé de recommencer avec un recueil de nouvelles : Là-haut, vers le nord.
Forcément avec des nouvelles, dans le lot, il y en aurait bien quelques unes de bonnes ?
Oui, effectivement, pari gagné. À peu près douze excellentes nouvelles.
Sur une douzaine au total, ah ah.
Définitivement, Joseph Boyden est un auteur à ranger sur l'étagère des grands conteurs d'histoire(s).
Voici donc quelques tranches de vie, comme on dit, de ces gens qui vivent là-haut, vers le nord.
On y parle de catch, de jeûne et bien sûr de bingo.
Des existences parfois misérables, parfois emplies de poésie, parfois violentes, qui sont celles d'un peuple perdu sur ses propres terres.
Mais l'écriture de Boyden est pleine d'empathie et d'humanité, et ne verse jamais dans le misérabilisme facile.
On referme le bouquin en ayant eu l'impression de passer quelques belles soirées chez ces gens-là, des gens qui "valent" plus qu'il ne semble, des gens que l'on voudrait ne plus quitter.
Rappelons-nous ce que l'on disait précédemment [clic] du Chemin des âmes :

On se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoë. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure encore.

Ah bien sûr, on se doute bien que la vie n'est pas toujours facile là-haut, vers le nord !
On apprend des choses terribles sur (au hasard !) les pensionnats religieux qui, comme en Australie ou ailleurs, servaient la purification ethno-culturelle et l'expansion de la colonisation blanche.

[…]  Beaucoup de Blancs, sur la réserve, trouvent commode d’attribuer mon alcoolisme à mon enfance - vu que là-bas, au pensionnat de Fort Albany, on m’enculait à la file. Moi, je les laisse dire : si ça leur permet de mieux dormir. Mais je ne suis pas le seul du coin dans ce cas-là et la plupart des autres ne boivent pas une goutte. Ça fait de moi une exception.

On apprécie également à leur juste valeur les bienfaits de cette civilisation blanche !

[…] Les Blancs ont apporté bien des choses aux Indiens. Les fusils, les moteurs hors-bord. La télévision. Le café. Le Kentucky Fried Chicken. Le hockey sur glace. Les jeans extra large, les casquettes de base-ball. Le rock’n roll, la cocaïne.

Certaines histoires se terminent peut-être sur un ton un peu trop didactique comme cette Légende de la fille sucre qui conte, et de manière forte, les ravages terribles de l'alimentation à haute teneur en glucose apportée par les blancs.

[…] Quand ils avaient été très sages, on leur donnait un bonbon, un petit caillou dur, sucré, de couleurs vives. On suçait le bonbon jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un éclat sur la langue; puis il fondait tout à fait. La petite fille les préférait encore au sucre en poudre. Le goût en était plus puissant, plus profond. […] Les jours gris du pensionnat passaient plus vite grâce aux bonbons.
[…] Le jour arriva pour elle de quitter la pension. Elle n’aurait jamais cru cela possible - mais ce jour-là, elle eut peur de s’en aller. Les religieuses ne lésinaient pas sur les corrections, mais elles lui donnaient aussi ce dont elle avait besoin : de quoi se vêtir, de quoi manger. Elles avaient simplement omis de lui apprendre à les obtenir par elle-même.
Le gouvernement lui alloua un peu d’argent, tour comme à ses parents. Chose étrange, à présent qu’elle était libre de les voir, elle le faisait rarement. Elle parlait une autre langue; elle avait d’autres goûts. Cette idée la rendait parfois triste; il lui semblait avoir perdu une chose très importante. Et chaque fois que la tristesse remontait en elle, elle la faisait taire en consommant du sucre sous toutes ses formes.

D'autres histoires sont tout simplement exemplaires avec le ton juste, comme cette histoire d’Abitibi canyon où l’on voit des mères anishnabe (les indiens algonquins) se mobiliser avec leurs enfants(1) contre un barrage qui va inonder leur vallée.
Bref, le détour avec Joseph Boyden par la Baie James et Moose Factory vaut le voyage.
Du coup, le troisième bouquin de J. Boyden est dans la pile à lire : ce sera Les saisons de la solitude.

(1) - on vous laisse la surprise concernant ces enfants, tout raccourci serait ici par trop réducteur de la subtilité des nouvelles de Boyden en général et de celle-ci en particulier


Pour celles et ceux qui aiment les histoires d’indiens sans cow-boys.
D’autres avis sur Babelio.

1 commentaire:

Kathel a dit…

Vivement la prochaine traduction de Boyden ! mais quand ?