mardi 24 septembre 2013

Dans les forêts de Sibérie (Sylvain Tesson)

Sibérie m'était contée.

Dans la série : les bons bouquins lus cet été

BMR et MAM ont encore le souvenir de leur rencontre en 2006 avec le lac Baïkal, Anastasia et Irkoutsk.
Il n'était donc pas question de laisser passer une nouvelle(1) occasion d'y retourner, ne serait-ce que par la lecture du journal de Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie.
Le bonhomme est un peu géographe, un peu voyageur, un peu "raider", un peu écrivain.
C'est surtout un intellectuel parisien, arrogant et écolo(2).
Mais il le sait. Et c'est ce qui sauve son journal, écrit au fil des six mois passés, non pas au cœur de la forêt russe mais au bord du lac Baïkal(3). Trois mois d'hiver, trois mois d'été. Le lac pris par deux mètres de glace pendant presque la moitié de l'année et la violente débâcle en quelques jours de printemps. Un programme passionnant pour qui veut échapper quelque temps à la fureur frénétique du monde, bien équipé pour survivre presque confortablement : des stères de bois, des kilos de pâtes, et surtout des litres de vodka. Quelques bouquins aussi.
Les plus proches voisins sont à une journée ou deux de marche ou de kayak. Quelques visiteurs parfois, en camion ou en bateau, selon la saison.
L'expérience érémitique est sagement organisée et mesurée(4), bien loin de la vie folle et ascétique des premiers anachorètes.
Mais depuis un certain vendredi où Daniel Defoe écrivit son Robinson sans même quitter son île britannique, chacun de nous rêve plus ou moins de cette parenthèse loin du monde et de nos semblables. Sylvain Tesson a décidé de le vivre, ce rêve. Quelques mois.
Et nous, on est ravis de suivre le naufragé volontaire pendant quelques pages, même si quelques sentences prétentieuses pouvaient être évitées (des aphorismes  de sous-préfecture, dit Sylvain Tesson lui-même) :

[…] Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieure.
[…] Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix.

Tranche de vie écolo : sur un air connu, c'est l'occasion de (re-)découvrir dame nature, le cycle des saisons, le rythme du temps, les petits animaux (les mésanges ou les moustiques) comme les gros (les phoques ou les ours).

[…] 4 avril
Aujourd’hui, beaucoup lu, patiné trois heures dans une lumière viennoise en écoutant la Pastorale, pêché un omble et récolté un demi-litre d’appât, regardé le lac par la fenêtre à travers la fumée d’un thé noir, dormi un peu dans les rayons du soleil de 16 heures, débité un tronc de trois mètres et fendu deux jours de bois, préparé et mangé une bonne kacha et pensé que le paradis n’était pas ailleurs que dans l’enchaînement de tout cela.
7 avril
Une heure entière à nettoyer la cabane. Mon balai de roseau fait des merveilles. Je passe un coup d’éponge sur la toile cirée et astique les carreaux à la vodka. Comme c’est jour de nettoyage, je prépare mon banya. Le soir, propre comme un rouble, je suis à la table avec la vodka dans mon verre, la kacha qui chauffe, le thé sur le poêle, les bougies qui pleurent et le lac qui grince : chacun a sa place accomplissant son devoir. Le baromètre chute brutalement, j’entends siffler la cime des cèdres...

Tranche de vie littéraire : c'est surtout l'occasion de lire, de lire des livres enfin d'une seule traite, de lire sans interruption ni autre obligation. Et bien sûr, c'est aussi l'occasion d'écrire, comme en écho à ces lectures.

[…] La dernière caisse est une caisse de livres. Si on me demande pourquoi je suis venu m’enfermer ici, je répondrai que j’avais de la lecture en retard. Je cloue une planche de pin au-dessus de mon châlit et y range mes livres. J’en ai une soixantaine. À Paris, j’ai pris grand soin de constituer une liste idéale. Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide. L’erreur serait de choisir exclusivement de la lecture difficile en imaginant que la vie dans les bois vous maintient à un très haut degré de température spirituelle. Le temps est long quand on n’a que Hegel pour les après-midi de neige.

Tranche de vie russophile : finalement, on se rend compte au fil des pages que voisins et visiteurs prennent beaucoup plus de place que l'on ne pensait. Bien entendu ils viennent de manière intempestive et inconvenante, déranger l'agencement tranquille de la retraite mais ce sont également eux qui remplissent une existence qui, sans ces intrusions, s'avèrerait plutôt vaine. On se prend bientôt à attendre la prochaine invasion de quelques russes trop fougueux, visite dont on sait qu'elle sera beaucoup plus riche et instructive que la trop gentille venue de la pittoresque mésange matinale sur le bord de la fenêtre.

[…] Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu’un à qui l’expliquer.

Par une sorte de paradoxe - mais avec un peu de recul, c’est sans véritable surprise - le supposé ermite parisien n'acquiert finalement de sens que par les quelques rencontres qu'il fait en ce pays qui n'est pas le sien !

Premier épisode d’une petite série qu’on entame sur les ermites solitaires et les cabanes en forêt …

(1) - souvenez-vous également du Canapé rouge de Michelle Lesbre
(2) - et je sais de quoi je parle, disait le bobo
(3) - le naufragé a toujours besoin d'un rivage
(4) - seule la vodka n'est pas mesurée !


Pour celles et ceux qui aiment les îles désertes.
D’autre avis sur Babelio.


1 commentaire:

keisha a dit…

Lac Baïkal, oui, pour ce bon opus de Sylvain Tesson. L'homme peut être agaçant, mais ces mois en cabane se passent bien, avec lui.Petit traité sur l'immensité du monde n'est pas mal non plus.