vendredi 13 septembre 2013

Les évaporés (Thomas B. Reverdy)


Vapeurs radioactives.

Spécial Rentrée Littéraire.
Il y a quelques siècles au Pays du Soleil Levant, les proscrits avaient l'habitude de se laver de leur passé dans les sources chaudes des montagnes, avant de renaître ailleurs à une nouvelle vie. C’est de ces brumes que vient l’expression « évaporés », johatsu en japonais.
Les récentes crises financières successives ont produit de nouvelles générations d'évaporés : pères de famille endettés, petits patrons en faillite, employés licenciés, ...
Le cinéaste Imamura a même réalisé (en 1967) un film sur ce sujet : Ningen Johatsu (l'homme évaporé) et ces légendes urbaines de disparitions mystérieuses n’auraient certainement pas dépaysé notre islandais préféré (clic).
Comme d'habitude avec le Japon (hikikomori, shinjû, johatsu, ...), il est bien difficile de démêler la réalité sociale de l'imaginaire fantasmé. Mais après tout, en littérature ce n'est peut-être pas nécessaire.
Quand un auteur français bien de chez nous se pique d'écrire un "roman japonais", quand il rend hommage à Richard Brautigan(1), lui-même grand amoureux du Japon, on se dit qu'on tient là encore un auteur complètement tatamisé et qu'on peut sans hésitation chausser avec lui les lunettes déformantes d'un nouveau "regard occidental" sur cet extrême pays de l'orient.
Et chacun sait que le Japon extrêmement oriental change les yeux mêmes de celui qui le regarde.
[...] Tous les clichés du Japon sont vrais, même ceux qui se contredisent. Mais il n'y a pas un seul étranger pour les regarder. Il n'y a aucun exotisme.
Rien que des japonais partout et leurs habitudes machinales, leurs rythmes et leurs gestes, bref leur quotidien - incompréhensible.
Thomas B. Reverdy a semble-t-il coutume de hanter les lieux post-apocalyptiques : après L'envers du monde (pas lu ici) qui évoquait Ground Zero post 11 septembre, voici donc Les évaporés, disparus dans les vapeurs radioactives de Fukushima.
[...] " C'est là que tu vivais ? Tu ne m'as pas dit d'où tu venais. C'est loin ?
- C'était là. Par là. "
Il fait un geste vague de la main, qui ne désigne rien de particulier.
Il n'y a rien de particulier à désigner.
Il y avait certainement de quoi se méfier un peu des lumières trop brillantes branchées sur la mode : johatsu, Fukushima, ...  humm ?
Mais dès les premières pages, avant même de rentrer dans le roman, nous voici rassurés : Thomas B. Reverdy écrit bien !
Plaisir de lecture assuré.
D'autant plus que cette histoire de johatsu s'annonce prometteuse, on l'a vu.
Richard B. (B. comme Brautigan bien sûr) tourne un peu en rond sur sa côte ouest. Un beau jour son ex, Yukiko(2), l'appelle au secours : son père Kaze(3) qui vit au Japon, a disparu sans laisser de traces, envolé ...
Et nous voici donc partis au Pays du Soleil Levant et des Évaporés.
Les chapitres et les personnages s'entrecroisent : Richard B., Yukiko, Kaze et un jeune garçon sdf qu’on ne sait pas encore comment raccrocher à l’histoire (mais ça viendra !).
Bien vite on nous laisse deviner que Monsieur Kaze semble s’être évaporé pour  fuir quelques escrocs ou même peut-être quelques yakuzas.
Enquête, désastre écologique, amour, ... oui, un peu de tout cela.
Mais surtout la quête de chacun des personnages à la poursuite d'autre chose, ou plus exactement dans la fuite de quelque chose, entre deux mondes en quelque sorte ...
Paradoxalement (enfin non, peut-être pas) les pages sur notre concitoyen occidental (l’américain Richard B.) sont les moins intéressantes : on passe rapidement et on se passionne beaucoup plus à découvrir les raisons de la fuite de Monsieur Kaze, les difficultés du retour au pays de Yukiko, les mystères des peurs du jeune sdf, … plutôt que les atermoiements amoureux ou alcooliques, trop convenus, trop connus, de l’ami Richard B.
On est à quelques pages seulement du coup de cœur mais on regrette quelques longueurs, quelques énumérations un peu fastidieuses : la belle et fluide prose de Thomas B. Reverdy gagnerait à un petit dégraissage pour être tout à fait maîtrisée et en parfait accord avec un sujet aussi âpre que celui qui est évoqué dans ces pages.
Finalement et contrairement à ce que l’on pouvait craindre, les pages sur la région dévastée par le tsunami et ruinée par la radioactivité s’avèrent les plus intéressantes : bien écrites et plutôt réalistes, évitant les couplets écolos redoutés, elles nous dépeignent le monde d’après.
C’est pas joli-joli et ceux qui croyaient encore nos sociétés les plus modernes et les plus avancées peut-être au moins capables de gérer ce genre de catastrophes seront bien déçus. C’est désespérant.
Bien plus que le cataclysme lui-même, contre lequel malheureusement on ne peut rien, l’incurie de nos sociétés(4) est affligeante : on ne vous en dit pas plus pour ne pas trop dévoiler de l’intrigue et pour vous laisser le plaisir de la lecture, mais les évaporés …
[...] “ Ça n'a jamais été dangereux, allons ! Quelques jours l'an dernier, au moment de l'accident, mais du temps a passé depuis. Il faut que vous preniez vos précautions. Vous sortez couverts s'il se met à pleuvoir, et si vous ne pouvez pas faire autrement que de prendre l'averse, une douche en rentrant, voilà ce qu'il faut pour se décontaminer, mais aucun risque là-dessus. Et mangez du miso ! "
On l’a dit, c’est un regard de plus d’un occidental sur ce Japon extrêmement oriental, mais un regard extrêmement sombre et désabusé. Et un Japon qui ressemblerait bien à un miroir …
[…] - Tu es une japonaise de la douceur de vivre et de la délicatesse, comme moi je suis un américain des grands espaces et de la pêche à la truite. Nos pays n’existent plus.
Et alors ? Ça se finit bien ou ça se termine comme les histoires d’amour en général ?
[…] - Je ne sais pas. Je ne sais pas comment cette histoire se termine. C’est une histoire japonaise.
Ce bouquin nous a été offert par Babelio et les éditions Flammarion et c’est l’un de nos bouquins de la rentrée littéraire.
(1) - tient en voilà un qu'il va falloir ressortir de la poussière des étagères ...
(2) - encore un auteur tombé amoureux du Japon en général et des japonaises en particulier : la Yukiko de ce roman fait inévitablement penser à celle de Brautigan ou à celle, plus proche, de Frédéric Boilet
(3) - Kaze : le vent en VO ...  comme dans Kamikaze, le vent des dieux
(4) - et ne nous voilons pas notre face occidentale derrière le trop lointain Japon !

Pour celles et ceux qui aiment une certaine idée du Japon.
D'autres avis sur Babelio et celui du Bison.
Et une interview de T. Reverdy par l’équipe de Babelio (avec la question de BMR, yes!)

1 commentaire:

le Bison a dit…

On se retrouve de nouveau sur une histoire japonaise !
Sans peur, ni crainte, j'ai adoré ce roman. J'ai plongé dans cette histoire qui débute à San Francisco et qui se finit dans les méandres boueux de Fukushima.

J'y rajouterai un immense coup de cœur, le livre de la rentrée pour moi (bon OK, c'est mon seul livre de la rentrée). Mais il a quelque chose d'exceptionnel, quelque chose de Brautigan...