Quand on n’a plus l’âge de jouer à la poupée.
On se souvient encore avec acuité des images terribles du Médecin de famille, un de nos coups de cœur de la fin de l’année dernière.
Lorsqu’on avait découvert à l’époque, que le film argentin avait été adapté d’un roman par son auteure elle-même, Lucìa Puenzo, on s’était promis de découvrir le bouquin.
Même si l’on sait d’avance que dans ce sens là (film → livre) c’est jamais l’idéal, puisque les images du grand écran viennent un peu écraser celles qui pourraient être suggérées au fil des pages. Mais, tant pis, une auteure qui adapte elle-même son propre roman à l’écran (et avec brio), ça valait forcément le détour.
Malgré cela, pas de déception à la lecture de Wakolda (le nom mapuche de la poupée de Lilith, l’héroïne du film) où l’on retrouve avec précision l’atmosphère empoisonnée et étouffante qui faisait tout le charme vénéneux et létal du film.
En 1960, le médecin qui débarque au fin fond de la Patagonie dans la famille de Lilith(1), c’est Josef Mengele le sinistre tortionnaire nazi qui fuit en Argentine les agents du Mossad qui le recherchent activement : il dispose de quelques mois de répit en attendant que ses poursuivants règlent d’abord le cas d’Eichmann.
[…] Il avait consacré sa vie à libérer le monde des rats, et maintenant – fuyant comme un lâche, rejeté en marge de la société –, il commençait à en être un.
Née avant terme, la petite Lilith est depuis toujours affligée d’un déficit de croissance.
Une presque jeune femme dans un corps de poupée, voilà de quoi raviver les démons qui habitent le bon docteur qui se servira d’elle pour (entre autres …) tester ses hormones de croissance et qui va même se passionner pour toute la famille : le père fabrique des poupées, la mère est enceinte de jumeaux (chic, deux cobayes !), ils habitent une demeure digne de Shining et leurs voisins tiennent une clinique privée de chirurgie esthétique pour anciens nazis en cavale, … le décor est planté et tous finiront par tomber sous le charme envoûtant et diabolique de l’élégant et raffiné docteur. Allant même si besoin jusqu’à se persuader qu’ils ignorent qui il est réellement.
[…] Elle ouvrit le cahier et découvrit des pages et des pages de notes, de chiffres, de listes, de dessins. Les feuilles étaient couvertes d’illustrations : bébés et enfants avec des flèches qui sortaient de leurs yeux, de leurs têtes, de leurs membres et de leurs organes. Sur une page, deux corps étaient unis par le dos. Arrivée à la fin, Lilith se figea : en premier, elle reconnut sa mère, nue, enceinte. Ce n’était pas un dessin d’artiste, mais il était assez ressemblant pour ne laisser aucune place au doute. Autour d’Eva, une série de chiffres : mensurations, kilos estimés, mois de gestation. Homo arabicus, lut-elle. Son père figurait sur la page suivante, à côté de ses frères, également entourés de chiffres et de mensurations. Elle lut : Homo siriacus. Elle apparaissait en dernier.
Le bouquin consacre une grande place à la folie rationnelle de Mengele qui rêve de pouvoir modeler les corps comme on peut le faire des poupées, qui rêve d’atteindre la perfection (aryenne cela va de soi).
[…] Il posa les deux poupées sur la banquette arrière de sa voiture et resta un moment à les regarder… Elles étaient encore loin d’être comme il le désirait, mais le défi lui redonnait une vitalité qu’il croyait perdue. Il remplacerait la perruque en lin par d’authentiques cheveux humains qui seraient insérés dans la cire, à la main, avec une aiguille. Il voulait de vrais cils, des yeux en verre mobiles, des doigts et un cou articulés, des habits faits sur mesure. Il démarra, fasciné par la possibilité de réaliser bientôt deux poupées identiques, parfaites dans leurs proportions, blondes, aux yeux bleus. Si cela avait été aussi facile avec les créatures vivantes…, pensa-t-il. Le trouble l’empêcha de terminer sa phrase.
On se demande où la jeune et jolie Lucìa Puenzo va pêcher ses horribles histoires mais l’on a appris depuis le Médecin de famille, qu’elle est fascinée par la transformation des corps et des genres(2).
L’adolescente Lilith qui se fait la complice de Mengele pour transformer son corps (pour enfin grandir et ne plus être l’objet de moqueries) permet d’explorer de sombres recoins de notre humanité.
[…] L’amour est un acte qui ne peut être réalisé sans complice, lui avait-il dit lorsqu’ils s’étaient rendus au bunker patagonique du Führer. Elle ne comprit la phrase que des années plus tard. Et ne l’oublia jamais non plus. Un jour, la certitude d’avoir été sa complice la torturerait bien plus que tous ses autres secrets.
Peut-être est-ce dû au sens de la lecture (cinéma → livre) qui laisse rarement toute sa place à la chose écrite, mais on a trouvé le film de l’auteure plus abouti, plus construit, un peu moins focalisé sur le seul ‘couple’ Mengele/Lilith et qui offrait d’autres pistes de lecture, d’autres histoires entrecroisées.
On ne saurait trop vous conseiller de lire ce livre et surtout de voir le film qui est sorti en DVD.
(1) - quel prénom ! plus ou moins fille du diable, première femme d’Adam (avant Eve), la nymphette mythique incarnera le démon féminin jusqu’à la Lolita de Nabokov
(2) - autre roman, autre film (également réalisé par elle-même), XXY (qu’on n’a pas lu ni vu) évoque une adolescente hermaphrodite
1 commentaire:
c'est un hasard mais en ce moment, 90% des livres que je lis ont été adaptés en films. Je crois que je vais arrêter de dormir pour lire et regarder des films...
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