Le retour du charpentier.
Rédemption est le premier roman (après un recueil de nouvelles) de Matt Lennox, un canadien qui a d’abord endossé l’uniforme en Afghanistan avant de se mettre à écrire.
Le titre de la VO est The carpenter (le charpentier) : la profession de Joseph et de Leland King, dit Lee.
Lee vient de sortir de prison où une bonne quinzaine d’années lui auront permis d’apprendre la menuiserie et d’échapper à l’emprise de l’alcool.
Le voici donc de retour au pays où un pasteur rigoriste lui a proposé une réinsertion et un job sur des chantiers.
[…] Dans ma famille tout le monde ne parle que de Jésus. Ma grand-mère est mourante, et personne n’en parle. Mon vrai père est parti avant ma naissance, et personne n’en parle. Mon oncle a fait dix-sept ans de prison, et absolument personne n’en parle. […] S’il n’y avait pas Jésus, je vivrais dans une maison totalement silencieuse.
Lee retrouve sa famille (mère, sœur, neveux, …), d’anciens amis et connaissances, et quelques fantômes …
Les années de prison en effet, n’ont effacé ni la dette de Lee ni le souvenir du crime commis (on découvrira tout cela peu à peu) et le moins qu’on puisse dire c’est que tout le monde n’est pas ravi ravi de voir Lee de retour.
Étrange fascination qu’exercent ces bouquins où l’on sent d’entrée de jeu, après quelques lignes seulement, que tout cela va très très mal finir.
Chapitre après chapitre, on est partagé entre l’envie de voir l’ami Lee réussir sa réinsertion malgré l’hostilité rampante de ses concitoyens, et la certitude que le faux-pas ne va pas tarder parce que dans ce genre d’histoire, l’échec est à peu près garanti.
[…] Parfois, on sait comment tout va se terminer. Parfois on a envie de cette douleur. Dès le début.
Matt Lennox prend tout son temps pour nous amener là où il veut. Il nous décrit minutieusement la vie de cette petite ville de l’Ontario, trop petite et peuplée de préjugés, il nous dépeint soigneusement toute une galerie de personnages. Lee bien sûr, son jeune neveu Pete qui n’a pas connu les événements du passé, et Stan un flic à la retraite qui lui, sait déjà à peu près tout.
Et plein d’autres encore.
[…] Je me souviens de vous, dit Stan.
– Ah bon ?
– Oui. Vraiment. J’ai été flic pendant des années. » Lee ne répondit pas. Stan lui avait fait un croque-monsieur et il avait réussi à en avaler quelques bouchées.
« J’avais entendu dire que vous étiez revenu, poursuivit Stan. Je ne sais pas si vous l’avez oublié ou non, mais c’est moi qui vous ai conduit à la prison provinciale. Vous n’étiez pas bien vieux…
– J’avais vingt-deux ans.
Effet emblématique du rythme patient que Matt Lennox donne à son histoire, c’est dès les premières pages que l’ex-flic Stan découvre un suicide qui sent la mise en scène. Et pourtant, l’enquête avance à peine, c’est d’ailleurs tout juste s’il y a vraiment enquête. Matt Lennox nous balade de personnage en personnage, alors qu’à chaque page on sent bien que la fatalité va finir par rattraper Lee et que ce crime ou un autre va lui être collé sur le dos.
Lee fait pourtant de louables efforts pour supporter les sermons du pasteur, pour obéir aux ordres de son patron, pour éviter les pièges de ses anciennes fréquentations, … Ambiance pesante et étouffante.
[…] « Il y a quelque chose que je voudrais savoir, dit-il.
– Quoi donc ?
– Si avec tout ce que j’ai pu faire, voilà où j’en suis, c’est que tout était écrit d’avance, non ?
– Je ne sais pas, répondit Stan. Vous croyez que c’est le cas ?
– Non, je ne crois pas. J’ai beau me creuser la tête, je ne vois pas comment ce serait possible. »
Le rythme est lent, provincial mais inexorable : ce n’est que vers le troisième quart du bouquin que tout bascule. On apprend enfin les secrets du passé de Lee, comment il sait manier le marteau de charpentier et ce qui l’avait conduit à la case prison. Au même moment, la mécanique d’horlogerie patiemment et minutieusement mise en place par Matt Lennox se met en branle, les connexions entre les personnages se font, les rouages s’enclenchent qui vont finir par broyer notre ami Lee. Redoutable.
Il n’est pas question de destin ici mais des choix que l’on fait (ou ne fait pas), des petites décisions, des actes quotidiens qui s’enchaînent peu à peu. Dans la mauvaise direction.
[…]– Tu ne crois pas à l’enfer ?
– Bien sûr que si. Je l’ai vu de mes propres yeux. Il est ici, en ce bas monde où les gens eux-mêmes le font vivre aux autres. »
L’étiquette polar est bien réductrice. On tient entre les mains un roman noir, bien noir.
Pour celles et ceux qui aiment les anciens prisonniers.
D’autres avis sur Babelio. Unwalkers en parle.
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