Élévation d'âme.
Okinawa.
Tout le monde connait cette île rendue tristement célèbre par la bataille qui s'y déroula en 1945 peu avant les bombes atomiques et la reddition du Japon.
Peut-être sait-on également qu'elle sert toujours de base avancée aux américains : entre le Japon et Taiwan, face à la Chine et la Corée, ce porte-avions naturel est évidemment d'une importance stratégique pour l'Oncle Sam.
Le manga de Susuma Higa nous raconte justement la vie quotidienne des habitants d'Okinawa (plus d'un million d'habitants quand même !) forcés de cohabiter avec la présence américaine. Une présence envahissante : exercices et manœuvres, passages d'avions et décollages d'hélicos, et surtout un système de 'compensations' qui gangrène l'économie naturelle de l'île (qui malgré ces subventions reste l'une des régions les plus pauvres du Japon).
Susuma Higa prend prétexte de différents faits divers récents et se plait à imaginer et dessiner de petites histoires autour de ces événements : peu à peu il nous fait pénètrer au cœur de la vie quotidienne et ordinaire des habitants (on songe parfois aux BD d'Étienne Davodeau).
Et peu à peu on s'approche de l'âme d'Okinawa : Mabui en VO, c'est un peu le côté spirituel, celui qui s'en est allé avec ces perturbations étrangères.
L'archipel des îles Ryūkyū est en effet réputé pour la longévité de ses habitants ainsi que (est-ce lié ? !) la spiritualité dont est imprégnée leur culture : culte des ancêtres et nécessaire harmonie des relations entre les vivants, les dieux, la nature et les morts. Dans cet écosystème, les femmes occupent une place prépondérante et celles qui développent des qualités de medium (noros et yutas) jouent les chamanes et les intermédiaires [lien].
Ainsi, on mesure d'autant plus le bouleversement apporté par les bulldozeurs et les hélicos de l'US Army.
On retrouve (et découvre !) tout cela dans cette BD à multiples facettes : une plongée passionnante et instructive dans un Japon original, loin des clichés habituels.
Le propos de Susuma Higa, intelligent et sensible, est loin d'être manichéen et explore avec beaucoup d'humanité toutes les subtiles nuances et toutes les contradictions de la situation.
Un peu d'esprit en ce monde de brutes.
Quelques planches de la BD : [1] [2]
Nota :
Ce volume (Mabui, les âmes d'Okinawa) est le second album. Il est normalement précédé de Soldats de sable qui décrit l'immédiat après-guerre (mais ce thème nous a moins attirés).
Pour celles et ceux qui aiment l'humain.
D'autres avis sur Babelio.
1 commentaire:
ça me plairait, j'en suis sûre. On retrouve le même décor et des thèmes proches dans "L'âme de Kôtarô contemplait la mer" chez Zulma, des nouvelles que j'ai beaucoup aimées.
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