samedi 13 décembre 2014

Les démons de Berlin (Ignacio del Valle)

Le crépuscule de ceux qui se sont pris pour des dieux.

C'est sur le front de l'est, près de Leningrad, qu'on avait laissé [clic] le soldat Arturo Andrade, un espagnol de la Division Azul qui fut envoyée par Franco pou prêter main forte aux allemands durant la dernière guerre.
Après les Empereurs des ténèbres, voici donc : Les démons de Berlin du même Ignacio del valle.
Le Reich vit ses derniers jours et comme tant d'autres, Arturo erre dans un Berlin qui courbe l'échine sous les bombes, en espérant que les américains arriveront avant les russes, les Ivans, les terribles Ivans qui réussirent à terroriser les nazis.

[…] Le Reich offrait son visage le plus terrible dans le chaos des routes, bloquées par un flot gris de véhicules et de réfugiés faméliques, exténués et terrorisés par les cris de Der Iwan kommt !
[…] – Et où se trouve la ligne de front ? Gracq partit d’un rire de dément, ouvrant ses énormes bras pour englober toute cette scène sanglante. Ses yeux brillaient comme s’il était sous l’emprise de drogues.
– Partout, torerito, partout. On ne peut plus sortir de Berlin. Les Popofs ont complètement encerclé la ville. Berlin, c’est déjà Stalingrad, un Kessel, un chaudron gigantesque, ha, ha, ha…
[…] Tel que l’avait envisagé un général allemand, on pouvait se rendre désormais du front de l’Est à celui de l’Ouest en S-Bahn.

Dans le bunker de Hitler, un haut gradé est assassiné, Arturo enquête. On parle d'espionnage. Les américains seraient à la recherche de mystérieuses WuWa, les WunderWaffe, les armes miracles que les nazis seraient sur le point de lancer ... Délire SS ? Propagande nazie ? Ou réel danger atomique ?

[…] On les attire avec une vérité pour qu’ils avalent ensuite le mensonge. On leur a confié des dossiers sur les activités secondaires du programme atomique et sur les mouvements des collaborateurs. Des données suffisamment explicites pour ne pas éveiller leurs soupçons et facilement vérifiables, mais rien qui puisse mettre en danger nos activités.

Arturo et quelques rescapés de la division Azul se lancent sur les traces des espions Alliés, des scientifiques allemands et d'une mystérieuse confrérie nazie, ...

[…] - Stratton en a-t-il dit plus ?
– M. Stratton est décédé ce matin, répondit Bauer avec une froideur notariale. Arturo écarquilla les yeux.
– Que s’est-il passé ?
– Crise cardiaque. C’était un homme sain et robuste, et ceux qui étaient chargés de l’interroger étaient des gens compétents… C’est un coup de malchance.
Un sentiment diffus de solidarité crépita dans le sang d’Arturo à l’évocation du corps du commando américain roué de coups, couvert de plaies et électrocuté : ce n’était pas une mort pour un soldat.
– Toutefois, il nous a livré une dernière chose intéressante avant de nous quitter.

Comme d'habitude, Del Valle convoque tout un ensemble de personnages et de faits réels, même si c'est sans grand souci de vraisemblance, pour les mélanger habilement, ici dans le chaudron infernal de Berlin en 1945 : l'ordre de Thulé par exemple a bel et bien existé, tout comme le baron Von Sebottendorf ou encore la division Charlemagne, l’équivalent français de la division Azul.

[…] La Thulé a acquis d’autant plus de force qu’elle était invisible, et dans tous les événements qui ont suivi, je dis bien tous – l’autodafé, la nuit des longs couteaux, l’incendie du Reichstag, la nuit de cristal, la Rhénanie, les Sudètes, l’invasion de la Pologne, l’attaque contre l’Angleterre, l’expansion vers l’est… –, beaucoup ont vu la main invisible de la Thulé…

Tout cela est instructif mais les quelques dérives qui parsemaient l'épisode précédent prennent ici une importance beaucoup trop grande. Dans cette ambiance de fin de règne, de déroute militaire, la fin du monde est si proche, Berlin ressemble tellement à l'enfer, que Del Valle se laisse emporter par ses propres démons. Ses envolées philosophiques ou lyriques, ses digressions romantiques ou mystiques, prennent beaucoup de place et de pages, pour finir par dévorer l'intrigue policière.

[…] Ce serait l’enfer : Arturo se rappela une fois encore les mots du tailleur et se représenta les scènes de cauchemar à venir. Il attendit que Möbius en dise davantage sur le cataclysme en question, mais celui-ci se borna à murmurer :
– J’étais à Dresde.
[…] Et partout, des cadavres atrocement déformés, tordus dans les flaques de leur propre graisse, réduits à un tiers de leur taille normale, et sur certains, de petites flammes de phosphore bleutées et tremblotantes.

Tel un Néron pyromane, l'auteur se perd (et nous avec) dans les descriptions flamboyantes de la ville en proie aux bombes et aux flammes.
Il faut dire que tandis que les allemands courent après l'arme atomique, les américains quant à eux peaufinent encore, quelques mois seulement après les terribles bombardements de Dresde et Hambourg, leurs techniques d'extermination massive. Et l'artillerie russe est toute proche.

[…] Il lui remit une capsule de cyanure.
– C’est une mort certaine, ajouta-t-il.
– Toute mort est certaine, mein Hauptsturmführer, fit remarquer Arturo. Toute mort…

Tout cela est décrit avec une fascination morbide et disons-le, parfois trouble et inquiétante, pour la folie suicidaire des soldats du Reich : le crépuscule de ceux qui se sont pris pour des dieux.


Pour celles et ceux qui aiment les fins du monde.
L'avis de Jean-Marc et d'autres sur Babelio.



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