jeudi 21 avril 2016

L'art d'écouter les battements de coeur (Jan-Philipp Sendker)

[...] Ces gens-là croyaient qu’on voyait avec les yeux. Qu’on couvrait de la distance avec des pas.

Si nous n'avions pas en tête un prochain voyage en Asie du sud-est et en Birmanie, on n'aurait sans doute jamais téléchargé ce titre aux faux airs d'arlequinade : L'art d'écouter les battements de cœur.
L'allemand Jan-Philipp Sendker cache bien son jeu qui fut longtemps correspondant pour le Stern dans ces contrées lointaines aux parfums d'encens et aux sonorités zen.
Avec ce premier roman, il embarque ceux qui veulent bien le suivre dans ce qui est tout à la fois un beau voyage exotique, une superbe histoire d'amour, un conte magique et philosophique.
L'histoire du crocodile qui protégeait les amours du prince et de la princesse, l'histoire de la jeune infirme dont le chant guérissait et bien entendu l'histoire du moinillon aveugle qui entendait les battements des cœurs autour de lui.
Dépaysement total et ambiance zen.
Notre guide s'appelle Julia, une avocate américaine, archétype de l'occidentale qui, comme le lecteur, va se retrouver sur une autre planète.
Tout comme nous, Julia fait partie de ces gens-là,
[qui] croyaient qu’on voyait avec les yeux. Qu’on couvrait de la distance avec des pas.
Son père d'origine birmane avait mystérieusement disparu il y a quelques années, abandonnant brusquement tout, carrière brillante, position sociale enviée et famille bcbg.
[...] Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point le mariage de ma mère avait été malheureux. Je pensais à une phrase qu’elle m’avait dite la veille : « Ton père m’a quittée bien avant le jour où il a disparu. » Et moi, alors ? pensai-je. Depuis combien de temps mon père m’avait-il quittée ?
Julia retrouve une vieille lettre d'amour adressée à une mystérieuse Mi Mi, 38 Circular Road, Kalaw, État de Chan, Birmanie [ici, entre Mandalay et le lac Inle].
Nous voici donc partis en sa compagnie dubitative et sceptique, sur les traces de ce père mystérieux, certainement parti rejoindre son amour de jeunesse.
[...] J’étais nerveuse, agitée et je me demandais ce qui m’attendait. Je ne suis pas de ces gens qui apprécient les surprises.
Arrivée à Kalaw, elle fera la rencontre de U Ba qui semblait l'attendre et qui va lui raconter toutes ces histoires, l'histoire de son père, son histoire.
[...] Où est mon père ?
— Je vous en prie, encore un peu de patience. C’est l’histoire de votre père.
— C’est vous qui le dites. Où sont les preuves ? Si, à un moment quelconque de son existence, mon père avait été aveugle, vous ne croyez pas que nous, sa famille, l’aurions su ? Il nous l’aurait raconté.
— Vous en êtes certaine ?
[...] Elle voulait demander à Tin Win s’il y avait un secret et s’il pourrait lui enseigner l’art d’écouter les battements de cœur. Au moins les rudiments.
[...] — Ton cœur. Ce sont les battements de ton cœur que j’entends.
— De si loin ? Elle rit à nouveau, mais sans la moindre ironie. C’était évident à son ton. Son rire était de ceux à qui on peut faire confiance.
— Tu ne me crois pas ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas. Peut-être. À quoi ça ressemble, alors ?
— C’est merveilleux. Non, encore mieux que ça. Ça ressemble à… Tin Win se mit à bégayer, cherchant les mots justes.
— C’est indescriptible, reprit-il.
— Tu dois avoir l’ouïe fine. Il aurait pu croire qu’elle se moquait de lui. Mais il suffisait de l’entendre pour savoir que ce n’était pas le cas.
— Oui. Non. Je ne suis pas certain que ce soit avec les oreilles qu’on entende.
[...] Il marmonna quelque chose à propos d’un virus, le virus de l’amour, dont tout le monde est porteur mais dont quelques-uns seulement souffrent.
On ne vous en dit pas plus pour vous laisser entier le (grand) plaisir de la découverte pas à pas, page après page, de cette histoire merveilleuse qui nous emporte loin des rivages habituels.
Une histoire d'Amour avec un grand A, celui qui est plus fort que tout, plus fort que les crocodiles et les distances. Rassurez-vous c'est loin d'être une romance à l'eau de rose de fleur de lotus et certains passages sont même assez rudes : la vie en Birmanie n'est pas toujours facile.
Mais avec sa tête rasée de moine zen, Sendker réussit à nous laisser entrevoir une petite part de cette pensée orientale si différente de la nôtre, lorsque ce que nous appelons (faute d'autres concepts) le respect des conventions sociales ou encore le détachement des contingences matérielles rend certains comportements totalement incompréhensibles à nos yeux occidentaux.
Une belle et grande histoire d'amour, à très haute teneur en spiritualité qui ravira littéralement ceux qui veulent bien laisser leur âme voyager là-bas mais qui ennuiera sans doute ceux qui croient
qu’on voit avec les yeux. Qu’on couvre de la distance avec des pas.

Pour celles et ceux qui aiment l'esprit zen.
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