mercredi 15 février 2023

Lady Chevy (John Woods)

[...] Nous avons laissé ça arriver.

      L'auteur, le livre (466 pages, 2022, 2020 en VO) :

L'américain John Woods connait bien les Appalaches de l'Ohio qui l'ont vu grandir. 
Après quelques nouvelles, Lady Chevy est son premier roman que le New York Times a retenu comme l'un des meilleurs romans noirs de 2020.

      On aime un peu :

❤️ Un premier roman plutôt bien maîtrisé avec une histoire puissante. Un roman noir, désenchanté, réaliste, désabusé, dérangeant et tout à fait amoral.
❤️ Un ton, un style, qui évitent le misérabilisme tout comme le pamphlet polémique (la pollution, la pauvreté, le racisme, ...) : bien sûr les messages passent au fil des pages, l'air de rien, mais l'héroïne Chevy est une boule de colère pétrie d'énergie contenue et c'est elle qui donne le ton.
❤️ Des personnages franchement borderline et qu'on n'oublie pas comme cette Lady Chevy originale au caractère bien trempé, qui n'a pas froid aux yeux (de beaux yeux orangés) et qui "déménage" comme on dit, et puis ce Hastings, un shérif adjoint aux comportements pour le moins inattendus.
[...] - Je croyais que vous étiez un gentil monsieur.
- Dans ce cas. Je tuerais d'abord ton chien.
[...] La vie d'un homme ne peut quand même pas se résumer à essayer de rendre heureuse une salle conne.

      Le contexte :

Le bouquin a été écrit en 2020, juste avant l'assaut sur le Capitole.
Une immersion au cœur de l'Amérique profonde, celle des laissés pour compte qui n'ont plus grand chose à perdre. Ni à gagner d'ailleurs. 
[...] Un curieux brassage de hippies vegan anti-déforestation et de fermiers racistes pro-armes.
Un Ohio pauvre et sans avenir, déserté par les industries, où les plus pauvres ont dû louer leurs terres aux "frakers" des grandes entreprises minières qui pratiquent la fracturation hydraulique pour pomper le gaz de schiste. 
L'eau polluée est devenue imbuvable, la terre tremble pendant la messe, les enfants naissent difformes.
[...] Les experts soutiennent que la fracturation hydraulique est sans danger. C'est ce que dit le journal local, comme il a commencé à le faire cinq ans avant leur arrivée, pour nous préparer, pour nous convaincre. Leurs discours rassurants promettaient richesse et sécurité à cette partie oubliée de la vallée de l'Ohio.
[...] Peu après l'installation des tours, mon petit frère est né difforme. Son oreille gauche est repliée sur elle-même, comme une aile de chauve-souris. Et ses yeux bleus sont toujours baignés de larmes. Les crises reviennent chaque semaine gencives serrées dans des spasmes, bave teintée de sang. Ses membres potelés pris de secousses tapent contre le sol Ses cris sont des gargouillements étouffés dans une bouche noyée d'écume. Papa prend rarement son fils dans ses bras, pose rarement un regard sur lui. Il l'évite comme si mon frère était un trou dans lequel il pouvait tomber. Nous avons laissé ça arriver.
[...] J'adore mon frère, mais j'ai vu d'avantage de réactions intelligentes chez des veaux tout juste nés.

      L'intrigue :

Amy Wirkner est une jeune fille de 18 ans, pas trop gâtée par la nature.
[...] On m'appelle Chevy parce que j'ai le derrière très large, comme une Chevrolet. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.
Elle s'apprête à prendre le large pour quitter cette contrée oubliée des dieux : c'est la seule à pouvoir prétendre à des études universitaires pour devenir vétérinaire.
Si elle réussit à dégoter une bourse et si tout se passe bien.
Mais y'a-t-il encore des lecteurs suffisamment naïfs pour croire que tout va bien se passer ?
Car nous sommes dans un roman noir, au fin fond de l'Ohio.

     On aime moins :

Quelques envolées introspectives un peu pesantes sur les états d'âme de Chevy ou le suprémacisme blanc (le grand-père de Chevy était le grand manitou du KKK pendant les belles années, ça vous forge une famille).
Plus généralement, la prose de John Woods aurait sans doute gagné à être allégée, épurée et grattée jusqu'à l'os tant son histoire se suffisait à elle-même.
Et la toute dernière partie du bouquin, très désabusée, pourra décevoir quelque peu où John Woods s'apitoie un peu trop sur son triste sort d'américain dont le pays part en sucette (et c'était pourtant avant le 6 janvier 2021). 

Pour celles et ceux qui aiment les rednecks.
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