jeudi 12 octobre 2023

Devant Dieu et les hommes (Paul Colize)

[...] Avant de savoir, on ne sait pas.

    L'auteur, le livre (320 pages, 2023) :

Le belge Paul Colize (que l'on connait déjà) continue d'explorer avec finesse et intelligence le passé et l'histoire de son pays.
Devant Dieu et les hommes fut d'abord une pièce de théâtre (un faux procès joué au festival Quai du polar à Lyon en 2021) mais jamais éditée. Il fallut l'insistance de ses pairs pour que Paul Colize en transcrive un roman, en y ajoutant un personnage qui sera notre guide dans le procès : une journaliste, une femme dans un monde d'hommes (nous sommes en 1958).

      Le contexte :

Une sombre tragédie : le 8 août 1956, une explosion et un incendie ravagent la mine de Marcinelle, au Charbonnage du Bois du Cazier. Il n'y aura que quelques rescapés et plus de 260 mineurs y laisseront la vie.
Il y avait une majorité d'italiens parmi ces mineurs : à cette époque, les Charbonnages belges avaient littéralement "acheté" des travailleurs à l'Italie qui peinait à se remettre de la guerre.
[...] L’Italie elle devait donner cinquante mille ouvriers. En échange, la Belgique elle devait donner deux cents kilos de charbon par jour et par homme. Tu sais combien c’est, deux cents kilos de charbon ?

    On aime beaucoup :

❤️ On aime la façon dont Paul Colize nous transporte en 1958 à Charleroi : sa prose toujours très visuelle rend parfaitement compte des mœurs de l'époque, du machisme ambiant, du racisme envers les italiens (avec les bars interdits aux chiens et aux macaronis), des conditions épouvantables d'exploitation des mineurs (un esclavage moderne), des circonstances du drame, ...
❤️ On se passionne pour le procès imaginé par l'auteur, aux allures de polar rythmé par de courts chapitres qui rendent la lecture addictive, ménageant le suspense alors même que pour les deux italiens accusés, le verdict semble plié d'avance.
❤️ On apprécie la place faite aux femmes dans ce récit. Des femmes qui n'avaient pas la vie bien facile à cette époque : qu'elles fuient les armées en guerre, qu'elles essaient de tenir leur foyer aux côtés de leur mineur de mari ou qu'elles tentent de se faire une place dans la rédaction d'un grand journal.

      L'intrigue :

Plutôt que de retracer le long et fastidieux procès de l'accident, Paul Colize imagine un autre procès, celui de deux rescapés, deux mineurs italiens, accusés d'avoir profité du terrible accident pour assassiner leur Kapo, leur porion, un salopard notoire.
Notre guide au tribunal sera une jeune journaliste d'origine polonaise (comme l'auteur) dont les parents ont fuit les armées russes en 1944. 
[...] — Comme vous le savez probablement, le procès de Marcinelle s’ouvrira la semaine prochaine à Charleroi. 
— En effet. 
— J’aimerais que vous couvriez l’événement. 
[...]  Elle l’observa d’un œil amusé. — Vous vous demandez pourquoi je fais appel à vous. 
— Je l’avoue. 
[...] La mission était gratifiante, mais les raisons qui avaient poussé Wellens à la lui confier restaient obscures. Elle ne croyait pas à son discours progressiste. Que cachait cette soudaine ouverture à la diversité ?
Notre guide journaliste est encore tourmentée par de sombres images de son passé (ses parents polonais ont fui les armées russes) : un traumatisme qui va bientôt entrer en résonnance avec le drame du Bois de Cazier.
[...] Des montées d’angoisse continuaient à la tenailler. Les images du passé s’estompaient puis revenaient la tourmenter, telle une marée envahissante.
[...] Ni l’Église ni la psychanalyse ne pourraient venir à son secours. Elle seule pouvait exorciser le passé et se libérer de ses ruminations obsessionnelles.

Pour celles et ceux qui aiment les mineurs.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Mon billet dans 20 Minutes.

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