[...] Une excellente lecture pour une nuit de mars orageuse.
L'auteur, le livre (372 pages, 2023) :
Le journaliste et écrivain américain David Grann n'est pas un inconnu : c'était lui l'auteur de la Cité Perdue de Z (adaptée au cinoche) mais on a découvert récemment cet amateur de non-fiction avec un beau récit d'exploration polaire : White darkness.
Et on vient tout juste de lire La note américaine avant la sortie du film de Scorcese (au cinoche : Killers of the flower moon).
Le revoici donc avec l'épopée navale et britannique des Naufragés du Wager, et les droits du livre ont (encore !) été achetés par Scorcese et Di Caprio.
Comme à son habitude, David Grann met un point d'honneur à s'effacer derrière "les faits" de cette non-fiction. Il est même allé en Patagonie pour mieux se rendre compte sur place des conditions (c'était l'été et il était chaudement vêtu !), pour mieux comprendre ce qui pouvait se cacher derrière les mots des archives qu'il a lues. Mais il n'évoquera jamais ce voyage "personnel" dans son livre qu'il ne voulait surtout pas romancer.
David Grann s'est appuyé sur des archives, des documents, des récits et des journaux de bord dont les carnets d'un jeune enseigne de vaisseau, John Byron ... qui sera le grand-père du poète Lord Byron !
Le contexte :
En 1740, le HMS Wager, vaisseau britannique de sa Majesté avec deux cent cinquante officiers et hommes d’équipage à bord, est envoyé en mission secrète pour piller les cargaisons d’un galion de l’Empire espagnol.
Au large du cap Horn, le Wager fait naufrage.
Une poignée de rescapés survit sur une île désolée au large de la Patagonie mais la situation va vite dégénérer.
Un premier groupe de vingt-neuf survivants réapparaît au Brésil près de trois cent jours après le naufrage. Trois rescapés de plus atteindront le Brésil trois mois plus tard.
Commence alors une autre bataille, celle des récits cette fois, afin de sauver son honneur et sa vie face à l’Amirauté et au grand public.
On aime beaucoup :
❤️ On aime l'humilité et la rigueur de cet auteur, spécialiste de non-fiction, qui s'efface discrètement derrière la réalité de l'histoire mais qui manie la plume avec suffisamment de brio pour nous emporter dans son récit des faits. On apprendra donc ici beaucoup de choses sur la difficile vie à bord ou sur les rivages de la Terre de Feu.
❤️ On est pris par l'aventure de ces marins partis dans des conditions épouvantables, pendant des années autour des mers furieuses, à la poursuite d'un vain trésor de guerre pour la gloire de l'Empire. On est captivé par la résistance de ceux qui eurent la chance d'en réchapper et leur volonté de survie.
❤️ On apprécie aussi les photos, gravures, portraits et cartes qui viennent agrémenter le livre.
L'intrigue :
[...] L'expédition d'Anson, avec son butin tant célébré, s'était soldée par une débâcle. Sur les presque deux mille hommes qui avaient pris la mer, plus de mille trois cents avaient péri - un tribut effarant, même pour un aussi long périple. Et bien que l'amiral soit rentré avec un trésor d'une valeur de quatre cent mille livres, la guerre avait coûté au contribuable quarante-trois millions de livres.
Avec les rigueurs et les privations de l'hiver sur ce rivage inhospitalier, viendra le temps des querelles puis bientôt des mutineries, le temps des bagarres puis bientôt des meurtres.
La dernière partie du bouquin n'est pas la moins intéressante et c'est peut-être ce qui passionna David Grann : lorsque les quelques rescapés reviendront en Angleterre après plusieurs années d'errances et de souffrances, commencera alors la "guerre des récits" où chacun essaiera de raconter l'histoire à son avantage pour éviter la corde lors d'un procès pour mutinerie.
[...] À présent, plusieurs mois après son retour dans son pays [le canonnier] décida de se lancer dans une autre sorte de rébellion, de nature littéraire. Il s'employa à faire publier son journal. Il allait façonner l'opinion publique et, comme il l'avait fait sur l'île, il rallierait les gens à sa cause.
[...] Dès que les journaux populaires et les périodiques furent pleins d'articles palpitants, des éditeurs de livres rivalisèrent pour publier les témoignages des anciens naufragés. Peu après le retour de Cheap en Angleterre, Campbell arriva du Chili à bord d'un autre navire. Il publia son propre récit d'une centaine de pages.
Une Cour Martiale sera bien sûr convoquée en grande pompe dans la baie de Portsmouth mais, visiblement, tout le monde se trouvera bien embarrassé de devoir étaler toute l'expédition et ce désastre au grand jour et l'on trouvera rapidement quelques compromis pour enterrer toute l'affaire.
[...] Il est impossible de savoir de façon certaine ce qui transpira dans les coulisses, mais l'Amirauté avait certainement de bonnes raisons de vouloir voir cette affaire s'effacer des esprits. Exhumer et examiner l'ensemble des faits incontestables qui s'étaient produits sur l'île - les pillages, les vols, les flagellations, les meurtres - aurait fini par saper un principe fondamental par lequel l'Empire britannique tentait de justifier sa domination d'autres peuples : en l'occurrence, l'affirmation que ses forces impériales et sa civilisation étaient par nature supérieures. Et l'idée que ses officiers étaient des gentilshommes, et non des brutes.
[...] La décision de l'Amirauté de ne pas intenter de poursuite pour mutinerie flagrante sentait la justification embarrassée.
Laissons le mot de la fin à un autre grand auteur des mers, cité par David Grann dans son bouquin :
Dans La Vareuse blanche, son roman paru en 1850, Herman Melville observe [...] qu"ils constituent une excellente lecture pour une nuit de mars orageuse, quand le vent ébranle vos fenêtres à grand bruit et rabat la fumée des cheminées sur le pavé qui pétille sous les gouttes de pluie".
Pour celles et ceux qui aiment les coques de noix.
D’autres avis sur Bibliosurf et sur Babelio.
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