[...] Il est des espions dont on ne fait pas des romans.
En 1954, une authentique et véridique affaire de "fuites" va secouer la IVe République avec, au cœur de cette incroyable histoire d'espionnage franco-française : François Mitterrand !
L'auteur, le livre (240 pages, mai 2025) :
Frédéric Potier, costard-cravate, énarque, préfet, aïe !
Et en plus il est né dans le Béarn (en 1980) !!!
Bon, si l'on cherche un peu au-delà de la plaisanterie facile, on voit que Frédéric Potier s'est plutôt campé à gauche, en opposition aux racismes de tous poils.
Mais laissons là tranquille l'homme politique, plutôt discret, et intéressons nous donc à l'auteur et à son dernier livre : La taupe de l'Élysée.
Un auteur qui n'en est pas à son coup d'essai dans le genre thriller politique très contemporain, puisque l'un des précédents avait fait parler de lui, déjà : La poésie du marchand d'armes.
Et il nous propose là une passionnante leçon d'histoire : en 1954, une affaire de fuites, d'espionnage, qui va secouer le petit monde politique français.
Le contexte et le canevas :
Nous sommes en juillet 1954. L'armée coloniale vient de se distinguer à Diên Biên Phu.
La France va engager des négociations de paix à Genève pour sortir du bourbier de l'Indochine.
Nous vivons les dernières années de la IVe République. Le président de la république (René Coty) n'a pas encore beaucoup de pouvoir et c'est le président du conseil (Pierre Mendès-France, PMF pour les amis) qui tire les ficelles.
Dans l'opposition, le Parti Communiste très actif est dirigé par Jacques Duclos, « le puissant patron des communistes ».
Et tout cela alors que « la guerre froide a fait perdre la raison aux esprits les plus tempérés » et qu'aux US, le sénateur MacCarthy vit ses heures de gloire.
Voilà le contexte géopolitique idéal pour une affaire d'espionnage, la fuite de documents secret-défense, qui va défrayer la chronique de l'époque et faire trembler le microcosme politique de la France d'alors.
♥ On aime :
➔ L'auteur fait preuve d'une précision étonnante dans son récit : on n'est pas dans de la politique-fiction et il s'agit, bien sûr, d'une histoire véridique et authentique, et le récit austère évoque davantage le sérieux journalistique que les romances à la James Bond, car « il est des espions dont on ne fait pas des romans. Leur discrétion est absolue. Leur monde secret, cloisonné, hermétique à tout regard extérieur. Ils agissent sans laisser de trace, ni bagarre, ni violence, ni cadavre. ».
Si l'on veut pousser plus loin la plaisanterie, nous serions plutôt sur : « Mon nom est Mitterrand. François Mitterrand ». C'est moins cinoche, j'avoue.
Car bien sûr, parmi toutes les personnalités évoquées dans le bouquin, c'est bien le Ministre de l'Intérieur de l'époque, celui qui n'était pas encore Tonton, qui va intéresser le lecteur d'aujourd'hui.
C'était lui que les "espions" cherchaient à déstabiliser, c'est du moins l'angle d'attaque retenu par l'auteur pour démêler cette sombre histoire : « l’affaire des fuites devait compromettre Mitterrand aux yeux de Mendès France, le gouvernement Mendès France aux yeux des Français et enfin la DST aux yeux des services secrets américains. En somme un enchaînement contagieux de mensonges se propageant dans tout l’appareil d’État ! Un discrédit général .».
Alors qui était la taupe de l'Élysée, l'espion à l'origine des fuites, logé au plus près des sommets du pouvoir ?
➔ Au fil d'une lecture sérieuse mais qui reste fluide et agréable, on peut parfois penser à John Le Carré, le lecteur va également croiser de nombreux autres personnages plus ou moins connus.
Comme Roger Wybot, chef de la DST. Ou Françoise Giroud de L'Express : « la journaliste trouva à Wybot une étrange ressemblance avec son homologue américain, John Edgard Hoover, le puissant et détesté patron du FBI. ».
Bref, il y a largement de quoi satisfaire le lecteur curieux parti à la (re-)découverte des coulisses de cette IVe République, finalement assez mal connue. Une République déjà bien secouée par la fin annoncée de l'époque coloniale et par la guerre froide contre le communisme, une République déjà affaiblie qui n'avait vraiment pas besoin de cette affaire.
D'ailleurs le gouvernement de Pierre Mendès-France n'y survivra pas : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
Sans doute que comme le dit l'auteur, « il est des espions dont on ne fait pas des romans », mais on tient là une étrange affaire dont Frédéric Potier a réussi à tirer une excellente histoire.
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire de France.
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