lundi 30 juin 2025

Belle journée pour mourir (Laurent Graff)


[...] J’attends de recevoir une balle.

Le héros de Laurent Graff a un avantage sur nous : il sait "comment" il va mourir. De la balle d'un sniper. Mais il ne sait pas "quand", alors il attend et dans cette attente, chaque nouveau jour est une belle journée pour mourir.
Laurent Graff nous entraîne quelque part entre le récit philosophique et le roman à énigme.

L'auteur, le livre (112 pages, mai 2025) :

L'archiviste savoyard, Laurent Graff (né en 1968) a été touché par le bouddhisme, peut-être au cours de ses nombreux voyages, en Asie du sud-est notamment.
Il a publié plusieurs romans, depuis les années 2000 essentiellement, plusieurs couronnés de prix, certains adaptés au cinéma, des romans où revient souvent l'obsession de la fin, de l'effacement, de la disparition.

Le personnage et le canevas :

Chacun de nous s'attend à mourir un jour, c'est notre lot à tous, le propre de l'Homme. 
Aucun de nous ne sait ni quand, ni comment.
Jacques Ferré lui, ne sait pas quand non plus. Mais il sait comment : ce sera d'une balle en pleine tête, tirée de loin par un sniper.
Jacques est un gars solitaire, célibataire, sans famille, qui a appris à vivre avec son « statut de condamné ». Il attend le tir fatal. 
De son passé de militaire, le lecteur soupçonne peut-être une vieille rancune, une vengeance tenace, un règlement de comptes.
« [...] J’attends de recevoir une balle. Je ne sais pas d’où elle viendra, par quelle gâchette elle sera tirée, ni à quel moment. Je ne crois pas avoir de véritable ennemi qui voudrait m’assassiner. Ni d’ami qui pourrait m’éviter cette fin. J’attends. Je suis prêt. N’importe quand, où que je me trouve, ça peut arriver. Là. Assis à mon bureau devant la fenêtre.
[...] La menace semble se préciser . Elle se fait plus prégnante, plus sérieuse pour ainsi dire, bien que je ne l’aie jamais prise à la légère. Elle est plus proche : oui, c’est ça, le tireur s’est rapproché et pointe son arme sur moi avec plus d’insistance. Je m'en accommode. »
À mi-parcours, le récit bascule dans d'autres dimensions, d'autres perspectives. On n'en dira pas plus.

♥ On aime :

 La première partie du récit, l'attente, a tout du conte philosophique. Si Beckett attendait Godot, Jacques Ferré, lui, attend le tir de Godot. C'est peut-être la meilleure partie du bouquin quand, en attendant la balle fatidique, Jacques s'imagine presque mille morts, dans sa cuisine, à son bureau, dans la rue, au supermarché, à la pêche au bord de la rivière, ...
Son entourage est peuplé d'étranges personnages, on dirait presque des fantômes, qui viennent divertir l'attente et questionner le lecteur. 
Jacques attend la mort et tente de l'apprivoiser. Il a d'ailleurs déjà apprivoisé le tueur : « nous formons un couple inséparable. Je n’ai pas de garde du corps, mais j’ai un assassin qui veille sur moi. »
 Mais les bouquins de Laurent Graff sont des constructions astucieuses et il n'était pas question d'en rester là : l'heure et les pages tournent, le bouquin n'est guère épais, il est temps de passer aux explications.
Ou presque. 
D'ailleurs ce conte philosophique ne serait-il pas plutôt un polar ? On y parle tout de même de mort, d'enquête, de flic ...
Un récit à énigme oui, un roman noir assurément. Très cérébral.

Pour celles et ceux qui aiment les coups tordus.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Le Dilettante (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.   

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