mercredi 12 novembre 2025

Règlement de comptes (Davide Longo)

[...] Un mort encombrant, une star disparue.


Quatrième épisode en compagnie du fameux trio d'enquêteurs piémontais imaginé par Davide Longo, la dernière star du polar italien. 
Cette lecture est une véritable gourmandise à savourer avec un verre de grappa.

❤️❤️❤️❤️❤️

L'auteur, le livre (496 pages, octobre 2025, 2022 en VO) :

Si vous n'avez pas encore découvert la nouvelle vedette du polar italien, il est encore temps de vous rattraper. Le transalpin Davide Longo est arrivé jusque chez nous l'an passé et ce Règlement de comptes est déjà le quatrième épisode des enquêtes du commissaire Arcadipane, qui est en ce moment le flic le plus savoureux de la police italienne, ex-æquo peut-être avec l'insupportable préfet Schiavone (celui d'Antonio Manzini).
Coïncidence ou non, ces deux-là officient dans le Piémont italien, même si Arcadipane habite Turin et que Schiavone y a été muté depuis les antipodes (i.e. Rome).
En VO le titre donne La vita paga il sabato parce que « La vie paie le samedi », disait souvent mon père, pour dire qu’elle finit toujours par vous présenter la note. »

Le pitch et les personnages :

C'est avec grand plaisir que l'on retrouve le fameux trio d'enquêteurs imaginé par D. Longo.
Il y a là Corso Bramard, celui qui tenait la vedette des premiers épisodes de la série mais qui se retrouve aujourd'hui poursuivi par un cancer tenace.
Et puis la jeune geek de service, percée et tatouée, Isa Mancini, un clone italien de Lisbeth Salander (une filiation assumée par l'auteur mais pas vraiment par Isa).
L'enquête est désormais menée par l'ancien disciple de Bramard, le commissaire turinois Vincenzo Arcadipane, « cinquante-cinq ans, dont l’allure d’homme quelconque ne doit tromper personne ».
Arcadipane est appelé avec son adjoint Pedrelli, « utile et inoffensif », dans un village de montagne où l'on a découvert un riche producteur de cinéma étranglé dans sa voiture en même temps que la disparition de sa célèbre épouse : « un mort encombrant, une star disparue, un village de montagne fermé comme une huître. »
« Sans compter qu’un mort et une disparue en même temps, c’est toujours le bordel. »
Arcadipane est un flic un peu bancal toujours accompagné d'un chien à trois pattes.
Un chien qu'il doit confier parfois aux bons soins d'Ariel, handicapée, qui est autant sa psychothérapeute que son amante : un personnage qui prend de plus en plus la lumière au fil des épisodes. 

♥ On aime vraiment beaucoup :

 Se plonger dans un roman de Davide Longo avec un verre de grappa (ou sans), c'est la promesse d'une savoureuse lecture. 
Jubilatoire, comme on dit trop souvent. 
L'italien prend tout son temps pour installer décor et intrigue mais quand il arrive à cloîtrer tout son petit monde dans un hôtel perdu en montagne, c'est parti pour une avalanche de dialogues à vous élargir le sourire page après page. 
Sans compter les pittoresques digressions de Vincenzo sans cesse interrompues.
Au fil de la série, les personnages ont pris de l'épaisseur, chacun avec son passé et ses failles, et désormais l'écrivain peut laisser libre cours à toutes sortes de fantaisies au gré des humeurs et des caprices de l'un ou de l'autre.
On ne peut que se délecter à la lecture de ces dialogues savoureux qui sont de véritables gourmandises littéraires.
Quand on retrouve à la même table, Bramard, Isa, Arcadipane et même Ariel, sa chérie infirme, leur rencontre fait des étincelles, le lecteur se fait alors aussi discret que l'agent Pedrelli, et franchement, ça vaut le voyage de l'autre côté des Alpes. 
Un style qui devrait certainement plaire aux fans de Fred Vargas, puisque l'on est ici dans une prose érudite, travaillée et à peine moins fantasque. 
 Malgré tout cela, l'enquête n'avance guère (le pavé fait tout de même près de 500 pages) mais tout à son plaisir, le lecteur égoïste s'en fiche éperdument. 
Bien au contraire, si cela lui permet de rester un peu plus longtemps en compagnie de ces personnages, et bien soit : que les coupables courent donc encore et que la star kidnappée croupisse plus longtemps au fond d'une cave humide !
Comme bien souvent les intrigues de Davide Longo plongent leurs racines profondes dans le passé, l'auteur et son personnage Bramard sont tous deux des érudits.
Un passé lointain quand il s'agit d'une pratique hérétique et moyen-âgeuse, la Socha, pour lutter contre la consanguinité au fond des vallées.
Un passé plus récent quand on évoque l'âge d'or du cinéma italien ou alors beaucoup plus sinistre, quand il s'agit du terrible accident du barrage du Vajont en 1963.
Quel rapport peut-il bien y avoir entre tous ces événements, si toutefois rapport il y a car l'auteur pourrait tout aussi bien nous promener dans les alpages, et d'ailleurs il nous dit que « de preuves au sens strict du terme, il n’y en a pas [...]. Autrement, cette histoire serait moins fascinante ».
« — Vous ne l’avez pas encore compris ?
— Peut-être , mais il y a tant de choses à comprendre, dans ce village. »
Il faudra bien la sagacité de l'intuition de Corso Bramard et la ténacité des questions de Vincenzo Arcadipane pour démêler la pelote emberlificotée depuis des lustres mais le lecteur a l’habitude que cet auteur « n’en fasse qu’à sa tête, qu’il garde ses cartes pour lui et ne les abatte qu’à la toute fin ».
 On adore ce Piémont italien, un pays de montagnards taiseux, des gens de peu de mots. 
Le récit est tout en ellipses, ce qui change intelligemment des polars trop explicatifs, décortiqués comme des scénarios formatés pour Hollywood.
La prose de Davide Longo est plutôt riche et même parfois recherchée. Son humour et ses effets de manche cachent de jolis textes.
Ainsi, Arcadipane est capable des plus jolis compliments même à l'endroit de son ex-femme :
« Une femme qui a survécu à toutes ces années, qui a élevé deux enfants pas superbes mais solides comme les casseroles d’autrefois, et a fini par conclure : « J’ai donné, messieurs-dames ! Et ce qui reste est pour moi ! »
[...] Elle a beau s’être un peu étoffée, aux endroits qui déjà montraient des dispositions à l’accueil, elle est toujours belle, il n’y a pas à dire. »
Mais quand une autre dame n'a pas l'heur de lui plaire, il a plutôt la dent dure :
« Une femme d’environ soixante-cinq ans, plus grande que lui d’une tête, qui a conservé un corps mince sans avoir à faire d’effort. Une histoire de gènes. Dommage que la température interne de ce corps ne dépasse sans doute pas 15 degrés – l’endroit idéal pour y stocker des salaisons : sombre, froid, sec et trop souterrain pour les souris. »

Pour celles et ceux qui aiment l'Italie.
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Livre lu grâce aux éditions JC. Lattès - Le Masque (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

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