Joyeux Noël.
Il y a des jours où l'on devine que l'on ferait mieux de rester couché.Le 25 décembre de cette année-là est l'un de ces jours pour Holly.
Une journée de Noël qui commence on ne peut plus mal : une panne d'oreiller tout d'abord.
Ni le réveil, ni leur fille Tatiana ne les ont réveillés. Le mari Eric part en catastrophe chercher ses parents à l'aéroport.
Et puis un mauvais pressentiment qui semble surgir du passé, quand Eric et Holly étaient allés en Russie pour adopter une petite fille.
On connait Laura Kasischke pour sa férocité à démonter pièce par pièce le rêve américain et on se rappelle son Oiseau blanc dans le blizzard qui tenait presque du polar.
Cette fois son Esprit d’hiver tient plus du roman psychologique même si la première partie, inquiétante et sournoise flirte avec le fantastique.
[…] Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. […]Accablée par son pressentiment et les préparatifs à terminer en hâte, Holly broie du noir, déteste ces repas de Noël imposés, se débat avec le rôti et l'argenterie.
Quelque chose qui avait été là depuis le début. À l’intérieur de la maison. À l’intérieur d’eux-mêmes. Cette chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.
La journée catastrophe continue : le blizzard s'abat sur la ville et Eric reste coincé quelque part par la neige.
Les autres invités vont bientôt décommander. C'est presqu'une bonne nouvelle pour Holly qui déteste la plupart d'entre eux. Et puis de toute façon le rôti sort à peine cuit du four. Et puis Holly manque s'empaler sur le couteau de cuisine et puis les verres en cristal qu'on sort pour ces grandes occasions finissent en mille morceaux par terre. Tatiana ne s'est toujours pas levée. Crise d'ado ?
Les souvenirs de Holly remontent à la surface.
Sa propre enfance peu enviable.
Le voyage en Russie pour aller chercher leur fille adoptive.
Les infirmières qui voulaient à tout prix donner un nom américain à la petite : Bonnie (comme Bonnie et Clyde), Sally, ….
[…] Incroyable, leur semblait-il, que les infirmières les aient tout simplement laissés quitter l’orphelinat Pokrovka n° 2 avec cette princesse fée ! Juste un adieu tranquille, la porte s’était ouverte, et ils avaient dorénavant cette petite fille rien que pour eux. Pour toujours ! (Bien sûr, cela leur avait coûté des milliers de dollars, des montagnes de paperasses et presque deux années de leur vie, ils ne l’oubliaient pas, mais ils y étaient !Finalement ce sera l'une des poules du jardin qui s'appellera Sally.
[…] Les infirmières l’avaient baptisée Sally. Elles avaient expliqué à Eric et Holly : « On donne un nom américain pour que, dans sa vie et dans sa mort, elle ne soit pas agitée en Amérique, ou qu’elle n’essaie pas de revenir en Russie. — Mais nous voulons qu’elle soit fière de ses origines russes, avait tenté d’expliquer Holly, à son tour, sans être certaine pourtant que son anglais puisse être compris. Nous voulons l’appeler Tatiana car c’est un superbe prénom russe pour une superbe petite fille russe. »
Et qui finira dévorée par ses congénères. Un épisode sanglant qui comme d'autres remontent à la surface des souvenirs de Holly.
Car en ce beau jour de Noël blanc, il faut compter avec la plume acérée de Laura Kasischke qui entreprend de démonter pièce par pièce le rêve américain de Holly. Et Holly aura eu beau développer au fil des années une capacité peu commune à oublier, à ne pas voir, à ne pas regarder les choses en face, depuis sa stérilité jusqu'à l'adolescence de Tatiana en passant par le sombre épisode de l'orphelinat sibérien …
[…] Eric s’était mis en colère. Il avait dit : « Seigneur, Holly. Toute cette merde que tu essaies d’ignorer en t’enfouissant la tête dans le sable et tu choisis ce sujet pour être complètement ouverte et cool ? Elle n’a pas besoin de ça ! » Mais qu’entendait-il par là ? À propos de quoi Holly s’enfouissait-elle la tête dans le sable ? Quoi donc ?Rien n'y fera : le scalpel affuté et sans pitié de Laura Kasischke dissèquera ses peurs et ses faiblesses jusqu'au plus profond.
Qu'est devenue Tatiana, cette adolescente à la peau bleutée ?
BMR a eu du mal avec la première partie d'exposition, un peu longue, mais évidemment nécessaire pour démontrer le lent glissement de Holly dans la folie ordinaire.
Le rêve américain finira comme les verres en cristal.
Pour celles et ceux qui aiment les fêtes de Noël qui tournent mal.
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