jeudi 10 mars 2016

La huitième reine (Bina Shah)

[...] Mais, tout de même… Donner de l’instruction aux filles ?

Difficile de ne pas répondre à l'invitation de Bina Shah de visiter son pays, le Pakistan, ou plus exactement sa région natale : le Sindh, la vallée et le delta de l'Indus, la région sud du Pakistan, frontalière du Rajahstan indien et du désert de Thar. C'est là que se trouve Karachi et ses 20 millions d'habitants, la plus grande ville du monde musulman.
Le Pakistan est un pays que l'on connait bien mal et dont la seule réputation chez nous est celle des attentats à répétition ou des compromissions d'un régime corrompu avec des extrémismes de tout bord, à commencer par les talibans de l'Afghanistan voisin.
Bina Shah est femme et journaliste et son roman entreprend résolument de nous faire découvrir sa région et son pays en mêlant la période actuelle et les origines géopolitiques de la partition coloniale de la région lorsque, en 1947, les britanniques décidèrent de tracer des frontières sur les cartes, obligeant des millions de personnes à des exodes croisés en fonction de leurs convictions religieuses.   
petite carte [ici] pour réviser en vitesse une Histoire jamais apprise
La période contemporaine se situe en 2007 lorsque Benazir Bhutto, La huitième reine, revient de son exil pour mener campagne et reconquérir le pouvoir.
là encore, une petite révision [1] [2] est bien utile
Le personnage principal, Ali Sikandar, est journaliste lui-même : désabusé quant à son propre avenir et à celui de son pays, il ne songe qu'à partir aux États-Unis. Sa famille lui pèse lourdement et sa petite amie est ... hindoue, encore une voie qui s'annonce sans issue.
[...] Devoir faire face jour après jour aux problèmes du type pas-d’eau-pas-d’électricité-pas-de-chauffeur-pas-de-domestiques. La crainte que quelqu’un ne s’introduise dans leur maison et ne les cambriole, ne viole sa sœur, sa mère. Le stress d’une vie citadine qui faisait tout pour vous accabler et rien pour vous encourager.
[...] Le pays se trouvait soudain confronté à une pénurie de blé : jamais encore Ali n’avait vu des gens faire la queue derrière des camions d’où on leur lançait des sacs de farine, comme s’ils s’étaient réveillés dans l’un de ces pays africains où règne la famine. Partout, des attentats suicides à la bombe, des fanatiques promettant de prendre le pouvoir dans le pays, d’y imposer la charia et de conquérir le monde entier.
Et voilà notre pauvre Ali chargé par son journal de couvrir le retour de Benazir Bhutto, l'idole de son père qu'il s'efforce de renier : un ancien propriétaire terrien, un 'féodal' détesté qui soutenait ardemment Benazir Bhutto et son clan.
[...] Elle était comme les Sept Reines de Shah Abdul Latif Bhittai, ce poète soufi qui avait décrit avec tant d’émotion les femmes du Sindh qui avaient combattu les oppresseurs, conduit des guerres, perdu la vie pour leurs amants. 
[...] L'accord secret de Benazir avec le gouvernement et aussi, peut-être, avec l’Amérique : Faites-moi nommer Premier ministre et je vous permettrai de venir attraper Oussama ben Laden.
La plume vive, mordante, ironique et moderne de Bina Shah fait le reste et tout cela nous donne un éclairage décalé sur le Pakistan d'hier et d'aujourd'hui. Elle aime manifestement son pays mais regrette profondément ce qui en a été fait.
Même le portrait de l'idole du pays (dame Bhutto, la huitième reine) n'est pas tendre et la corruption qui a entaché son règne est évoquée sans détours.
Sans avoir à braver les risques d'attentats, du fond de notre fauteuil, on apprend donc beaucoup de choses sur ce Pakistan méconnu et notamment sur ces 'féodaux', cette caste de riches propriétaires terriens (dont le clan Bhutto est issu) dont les colons britanniques assurèrent la pérennité en échange de leur soutien.

Pour celles et ceux qui aiment la géopolitique.
D’autres avis sur Babelio et un article de 2008 sur les travailleurs liés.

1 commentaire:

PatiVore a dit…

Très envie ! Une voix féminine pour ce pays peu connu effectivement. Et la couverture est vraiment belle !