vendredi 9 juillet 2021

Cette histoire-là (Alessandro Baricco)

[...] C’est une espèce de don.

L'histoire d'Alessandro Baricco démarre en trombe, à 140 km/h précisément, la vitesse atteinte par les bolides qui firent la course Versailles-Madrid en mai 1903 : une vitesse que, à l'époque, on pensait au-delà de la résistance des choses et des hommes.
C'était d'ailleurs presque le cas, puisque les autorités durent arrêter la course après plusieurs accidents mortels où périrent des pilotes (comme l'un des frères Renault) et des "spectateurs" inconscients  du danger qui n'imaginaient pas des bolides débouler aussi vite ... L'ancêtre du Paris-Dakar peut-être !
[...] Trois millions de personnes, dit-on, alignées pour voir cette merveille, hypnotisées par ce miracle.
[...] La veille encore ils ne savaient pas vraiment ce qu’étaient les automobiles : ils les voyaient tout au plus comme des bijoux masculins hypertrophiés. Maintenant, elles tuaient.
[...] En effet, il mit fin à la course, le gouvernement français, par un décret foudroyant et solennel. On étouffa le monstre, avant qu’il puisse tuer encore.
Cette histoire-là c'est celle d'Ultimo (quel prénom !) né au moment où l'automobile prenait tout juste possession des routes et des esprits.
[...] Ultimo s’appelait ainsi parce qu’il avait été le premier enfant. 
— Et le dernier, avait aussitôt précisé sa mère, dès qu’elle eut repris ses sens après l’accouchement. Il fut donc Ultimo, le dernier.
Ultimo est un enfant étrange et un peu particulier.
[...] C’était un truc à lui, ça : c’était quelqu’un, quand il était là, tu t’en apercevais. Il y a des gens qui ont ça, c’est une espèce de don. Dans mon coin, on dit qu’ils ont l’ombre d’or, mais je ne sais pas pourquoi. Lui, il l’avait.
Pendant que son père s'inventait garagiste un peu trop tôt et attendait les automobiles encore trop rares sur les routes, Ultimo ne rêvait que de routes aux courbes magiques. 
[...] Moi, je construirai une route, dit-il. Où, je n’en sais rien, mais je la construirai. Une route comme jamais personne n’en a imaginé. Une route qui finit là où elle commence. Je la construirai au milieu de nulle part.
[...] Ce ne sera pas une route pour les gens, ce sera une piste, faite pour courir.
Mais il grandissait dans un début de siècle agité et il se retrouva bientôt dans les tranchées du front italien face aux autrichiens : on découvre dans un long passage pas bien gai ce que fut l'effroyable bataille de Caporetto, le Verdun italien, un véritable désastre qui se termina par une déroute titanesque.
[...] Les onze batailles de l’Isonzo, au cours desquelles les Italiens tentèrent d’enfoncer le front autrichien, donnèrent des chiffres hallucinants : pour déplacer la frontière d’une quinzaine de kilomètres, plus d’un million de soldats disparurent du champ de bataille, soit morts, soit blessés.
Mais cette histoire-là est racontée par Baricco et c'est ce qui fait réellement la magie du bouquin, celle qu'on avait découverte avec le mémorable Soie : la plume de l'italien est dense, riche, soignée, ciselée, nourrie des arts et des sciences, réellement jubilatoire, elle nous emmène quelque part entre prose et poésie.
[...] Ne vous laissez pas prendre par la curiosité de savoir qui est l’assassin. Ça, c’est bon pour les romans policiers. Ce sont les coiffeurs qui lisent les romans policiers.
— Vraiment ? 
— Chez nous, en tout cas. Le barbier les lit et ensuite il nous les raconte pendant qu’il nous fait la barbe. Comme ça il nous évite la peine, voyez ? 
— C’est un bon système. 
— On a essayé avec les vrais livres, mais ça n’a pas marché. 
— Ah non ? 
— Notre idée sur les livres, c’est que si on n’arrive pas à les raconter pendant le temps d’un rasage, alors c’est de la littérature. Et ça, c’est pas pour nous. Vous lisez ?
Le livre alterne de grands chapitres comme autant de points de vue sur le parcours d'Ultimo. Tout cela s'emboîte avec plus ou moins de bonheur mais laissera à chacun le loisir de piocher ici ou là. On regrette tout de même un peu que le bouquin ne soit pas plus concentré sur les courses automobiles et le mystérieux Ultimo que l'on ne découvre qu'en contrepoint finalement.

Pour celles et ceux qui aiment les autos.
D’autres avis sur Babelio.

Aucun commentaire: