mardi 28 janvier 2025

Tous des animaux (Morgan Greene)


[...] Ici, on est tous des animaux.

Polar à énigme et dénouement surprise dans une petite ville aux mains des plus riches. Une construction bien tordue pour ce crime dont on sait (presque) tout dès les premières pages.

L'auteur, le livre (416 pages, février 2025, 2024 en VO) :

Morgan Greene c'est le nom de plume d'un auteur britannique, le gallois Daniel Morgan, et Tous des animaux est son premier roman traduit en français.

Le canevas :

Voilà un polar qui ne va pas nous demander de chercher les coupables : on assiste quasiment en direct à l'assassinat d'un jeune homme par trois de ses camarades, deux gars et une fille. 
On sait même qui des trois vient de porter le coup de pelle fatal.
[...] Ce n’était pas un dimanche soir comme les autres… pour la simple raison qu’on venait d’enterrer le corps de Sammy Saint John. Juste après l’avoir tué.
[...] Ils me dévisageaient sans rien dire, et je me suis demandé s’ils se posaient la même question que moi. Est-ce qu’on avait bien fait de tuer Sammy ? Je n’étais pas sûr de connaître un jour la réponse. Mais trop tard. On ne pouvait plus revenir en arrière, désormais.
Le corps de Sammy est bien enterré et n'est pas retrouvé. Le trio infernal est suspecté mais ne sera pas inquiété, ils ont un bon alibi.
[...] – Les gens ne peuvent pas disparaître sans que personne sache ce qu’ils sont devenus.
– Les gens riches, vous voulez dire. »
Dix ans plus tard, une enquêtrice privée est engagée par la richissime famille de Sammy pour confondre les coupables : elle va leur tendre un piège diabolique.
[...] Vous voulez que je retrouve votre fils ? Je m’y engage. Mais êtes vous prêt à ce que le monde découvre ce que je risque de déterrer en creusant ?

Les personnages :

Ils sont trois, ces jeunes gens complices dans l'assassinat de leur camarade : Nicholas Pips, Peter Sachs et Emmy Nailer, le trio infernal.
La victime c'est Sammy Saint John, fils de Thomas Saint John, le magnat du coin qui tient toute la petite ville de Savage Ridge dans le creux de sa main de fer (y'a même besoin pas de gant de velours) parce que "Savage Ridge échappait aux règles du monde civilisé. L’argent y régnait en maître, et la seule loi était celle des Saint John".
Il y a là également le shérif Barry Poplar qui hésite entre la droiture professionnelle et les courbettes serviles à la famille Saint John.
[...] Pop ? J’ai connu ton père. Il a longtemps fait régner l’ordre ici. Et il a toujours su rester intègre malgré la présence de cette grosse baraque perchée là-haut dans les montagnes. On a besoin d’au moins un flic honnête dans ce bled. » L’insulte était à peine voilée. Le shérif a gardé le silence quelques instants.
Et Lillian Dempsey, agent spéciale du FBI, qui sera rapidement envoyée sur les lieux, mais dont tous les efforts pour coincer nos trois complices semblent avoir été vains : "ses propres investigations n’avaient rien donné. Elle avait certains soupçons, bien sûr. Et Nicholas Pips cochait plusieurs cases. Il avait un mobile – plusieurs, même".
Dix ans plus tard, ce sera Sloane Yo, une détective privée hors du commun, qui va débarquer dans la petite ville de Savage Ridge avec ses méthodes pour le moins inattendues : "de l’extérieur, son boulot ressemblait à de la manipulation, à du chantage et à toutes sortes d’autres choses qui feraient mauvaise impression dans un tribunal. Mais en réalité, putain, c’était du grand art".
[...] Oui, elle n’était qu’une garce sans merci – quand elle estimait que c’était nécessaire. Et dans ces cas-là, elle était toujours payée plus généreusement et plus vite.
[...] Elle était compétente, capable de mener la mission jusqu’au bout et par tous les moyens – c’était même la raison pour laquelle il l’avait engagée – mais elle était aussi imprévisible, limite ingérable, et elle avait un passé compliqué.

♥ On aime un peu :

 Les premières pages de ce roman ont de quoi nous laisser perplexes : les personnages, très stéréotypés, évoluent dans une ville américaine ordinaire, un décor bien convenu où sont réunis tous les clichés les plus standards du polar noir.
Un peu plus loin, une détective privée plutôt originale viendra relancer l'attention. 
Mais ce n'est toujours pas ça, aucun des personnages n'est vraiment sympathique et le lecteur s'impatiente. 
Alors c'est quoi le truc ?
 Pour brouiller les pistes et nous rappeler que la vérité (pourtant évidente ici) est souvent subjective, le roman va nous offrir plusieurs perspectives, chaque angle de vue étant celui d'un personnage principal. Comme si les voix du chœur de la tragédie étaient désaccordées, chaque chapitre apporte une lumière légèrement différente qui vient peu à peu déformer notre image initiale.
 Alors oui, il y a bien un truc. L'histoire ne nous a pas dévoilé tous ses secrets. Les personnages, tout comme l'auteur, ont gardé certaines vérités pour eux, et la fin nous réserve bien des surprises.
Pour autant j'avoue être resté sur ma faim : on comprend bien que si aucun des personnages ne nous est sympathique c'est parce que "on est à Savage Ridge. Ici, on est tous des animaux". Certes, mais c'est à la fois trop et trop peu, comme si Morgan Greene n'avait pas osé se positionner vraiment.
Ce roman à énigme, ce tour de passe-passe, ressemble un peu aux bouquins du suisse Joël Dicker (encore un européen qui se pique d'écrire du noir tout comme les américains).
Une construction savante et alambiquée mais qui reste très intellectuelle et à laquelle il manque le souffle d'une écriture puissante.

Pour celles et ceux qui aiment les coups tordus.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Sonatine (SP NetGalley).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.

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