C'est une source d'ennuis, Mathilde.
On ne connaissait pas encore le franc-comtois Yves Ravey, apparemment réputé pour s'intéresser à ce qui n'intéresse habituellement personne : les petites gens, les banlieues provinciales, les choses ordinaires.Dans ces décors de seconde zone, il nous concocte ce qui pourrait passer pour des romans noirs de série B. Si l'on n'y prête pas attention.
Sans aucun effet de manche littéraire, il nous plonge sans trop d'explications dans une petite tranche de vie (ses romans ne sont guère épais, à peine plus qu'une nouvelle). Une tranche de quelques heures qui partent en vrille en moins de pages qu'il n'en faut pour l'écrire.
William Bonnet a juré à son meilleur ami (sur son lit de mort) qu'il prendrait soin de sa fille, Mathilde : La fille de mon meilleur ami.
Sauf que la vie de Mathilde est partie en vrille depuis longtemps et qu'elle cherche aujourd'hui à revoir le fils qu'un juge lui a enlevé. William Bonnet semble prendre sa promesse très à cœur, Mathilde aussi peut-être, et se met en peine de ménager une entrevue avec le fiston hébergé par une mère adoptive.
On contemple l'ami Bonnet s'enfoncer consciencieusement dans le noir, mettre inexorablement un pas devant l'autre, juste là où il faut pas. C'est clair pour tout le monde, même pour lui aussi sans doute.
[...] Elle m'a demandé si je regrettais la promesse faite à son père. Elle me connaissait si bien ! Et elle le savait : Je m'en voulais d'avoir accepté. J'ai répondu : C'est pas le moment, Mathilde, de me casser les pieds avec tes questions ! Elle s'est penchée vers moi. J'ai frissonné : Tu sais que je ne regrette jamais rien, Mathilde.Mais Yves Ravey n'entend pas nous laisser tranquillement sur cette seule piste : William Bonnet semble avoir lui aussi des casseroles accrochées aux fesses et l'image du bon copain qui prend soin de la fille de son meilleur ami devient rapidement très floue. Et puis y'a encore d'autres trucs cachés dans le noir qu'un jeu d'éclairages va soudain mettre en lumière.
De ce tout petit bouquin, on retiendra deux ou trois trucs : d'abord une belle écriture, sobre et claire, en parfaite adéquation avec la description minutieuse de ces petites choses qui s'enchaînent de manière désastreuse. Ensuite des tours de passe-passe, un art de la prestidigitation littéraire : oh, regardez donc ce que j'écris de ma main droite là pendant qu'avec la gauche je prépare le chapitre suivant.
Et puis (mais comment fait-il avec une telle économie de mots ?) l'art de planter quelques pièces d'un décor très ordinaire qui resteront gravés sur nos rétines : un parasol et un gin tonic sur la terrasse désolée d'un motel de province, un vieux cartable fatigué dans le coffre d'une vieille Nissan Sunny, ...
Tout cela dans un concentré de quelques pages à ranger quelque part entre Echenoz et Chabrol, qui vous laissent inévitablement un petit goût de revenez-y.
Et donc on va y revenir, c'est certain, nous voici accrochés.
Pour celles et ceux qui aiment que Mathilde soit revenue.
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