jeudi 17 décembre 2015

Un été au Kansaï (Romain Slocombe)

Hiroshima, le 6 août 1945. Ma chère Liese, ...

On ne connaissait pas encore Romain Slocombe, un artiste plutôt sulfureux si l'on en croit son passage par Metal Hurlant et surtout ses photographies de japonaises emplâtrées et bandées [clic], une sorte de musée du bondage médical qui nous évoque le Crash de J.G. Ballard.
On va découvrir ici un auteur bien plus sage (quoique ...) avec ce roman épistolaire qui nous emmène passer Un été au Kansaï.
Slocombe nous propose de lire la correspondance de Friedrich Kessler, un jeune ambassadeur allemand en poste au Pays du Soleil Levant durant la dernière guerre.
Un nazillon peu convaincu mais bien chanceux qui avait trouvé, loin de la fureur qui ravageait l'Europe, la bonne planque au sein de la communauté allemande en villégiature dans un Japon militariste et accueillant (bon d'accord, de temps à autres l'ambiance se rafraichissait au gré des alliances internationales).
[...] Moi – qui m’octroie le luxe du spleen tandis que je me prélasse à l’autre bout du monde, à des milliers de kilomètres des enfers de feu, d’éclats d’obus et de sang.
[...] Voilà qui convient admirablement à mon état d’esprit actuel. Ton frère va se soûler avec de quasi-prostituées pendant que les bombes et les incendies ravagent Berlin, et que les meilleurs fils de l’Allemagne continuent de crever sur le front de l’Est.
Cela nous vaut quelques pages savoureuses et édifiantes sur l'aveuglement dont peuvent faire preuve des esprits vaguement endoctrinés et tout à fait insouciants.
[...] Nous prendrons Moscou cet été, et automatiquement le régime monstrueux de Staline s’effondrera comme un château de cartes. Viendra ensuite le tour de la Grande-Bretagne, qui ne perd rien pour attendre ! Les bombardements sur l’Allemagne cesseront définitivement et nos victimes civiles seront vengées.
[...] Des convois entiers auraient été gazés à leur arrivée. Mais pourquoi tuer tous ces gens ? J’ai de la peine à croire que le Führer puisse approuver un pareil meurtre collectif.
Mais hormis le diplomate Friedrich Kessler, chacun sait bien que l'Histoire finit toujours par nous rattraper.
Le frère japonisant s'inquiètera d'abord pour sa sœur restée en Allemagne sous les bombes incendiaires des américains, ravis de l'occasion qui leur était offerte de tester de nouvelles tactiques militaires (rappelez-vous Yoshimura).
[...] On raconte que des quartiers entiers ont été transformés en mer de flammes ! Les gens sont restés prisonniers du goudron fondu, étouffés dans les tourbillons de feu. Les estimations les plus prudentes font état de cinquante mille morts. Est-il vrai que depuis les toits de la capitale on apercevait à l’horizon la lueur rouge de Hambourg en train de brûler ?
Et bientôt ce sera au tour du Japon lui-même de courber l'échine sous le déluge de feu des américains.
[...] L’impréparation et l’ignorance des Japonais au sujet des bombardements des zones civiles, lesquels deviennent hélas un des traits marquants de notre siècle. 
Pas tout à fait nazi mais encore moins résistant, le jeune et bon aryen n'est évidemment guère sympathique. Un homme ordinaire, à l'intelligence ordinaire, placé dans des circonstances pas du tout ordinaires.
Pas franchement le héros pour lequel on aurait envie de s'enthousiasmer.
Mais c'est peut-être là toute la subtilité du roman épistolaire de Slocombe qui, par la lecture de ces lettres (lettres envoyées à la sœur restée en Allemagne), nous amène, nous oblige à faire peu à peu connaissance de ce monsieur presque-tout-le-monde : la guerre vue du côté des perdants (très vite les doutes sont là), et doublement encore, puisqu'il s'agit d'un allemand qui vit au Japon.
Tout d'abord bercé par ce japonisme exotique, on accompagne avec un mélange de dédain, de dégoût et de condescendance, ce jeune nazi imbu de lui-même, de sa 'race' et de son Reich.
Mais l'horreur de la guerre fut la même pour tous et ne connut pas de frontières, jusque de l'autre côté du globe. Le lecteur et le diplomate seront bientôt tous deux rattrapés par les horreurs et les bombes américaines au phosphore.
On se prend alors à vouloir en finir au plus vite, oublier ce dont personne ne veut se souvenir, refermer ce que l'on voudrait n'être qu'une parenthèse, lire enfin la dernière lettre ...
[...] Hiroshima, le 6 août 1945. Ma chère Liese, ...
On était pourtant prévenu : Slocombe cachait bien son jeu et nous livre un roman bien troublant.

Pour celles et ceux qui aiment la guerre vue du côté des vaincus.
D’autres avis sur Babelio.

2 commentaires:

Sandrine a dit…

De Romain Slocombe, j'ai lu "Monsieur le Commandant", épistolaire aussi (d'une certaine façon puisque le roman n'est qu'un seule lettre) et excellent.La guerre aussi, les vaincus aussi et c'est tout à fait glaçant.

Alex Mot-à-Mots a dit…

La touche finale m'a tout de même un peu déçu: trop clichée.