vendredi 9 septembre 2016

Le verger de marbre (Alex Taylor)

[...] On ne pouvait pas revenir d’avoir tué un homme.

Après la Louisiane des Maraudeurs de Tom Cooper, on change d'état pour le fin fond du Kentucky mais on reste dans le même registre du roman noir, avec Le verger de marbre d'Alex Taylor.
Un roman noir dans les règles de l'art, où tout commence très mal en nous laissant penser que ça va finir encore plus mal.
Dans la famille Sheetmire, je voudrais Beam, le fils de Clem et Derna, chargé de manœuvrer le bac qui permet de traverser la Gasping River, version locale du Styx.
Un beau soir à la nuit tombée, Beam tue plus ou moins par accident un passager trop agressif.
Mais Clem reconnait le passager qui n'est autre que le fils de Loat - l'homme le plus puissant du comté - et il n'a qu'un conseil à donner à Beam :
[...] Tu dois quitter cet endroit, et tu dois partir ce soir.
Le fuyard n'ira pas bien loin, comme emprisonné par les paysages des environs et tout ce petit monde va donc jouer au chat et à la souris. Un jeu de cache cache où la meilleure planque semble être un cimetière.
[...] — Tu aimes les cimetières ? demanda Pete.
Beam se réveilla en grognant, surpris.
— J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
— On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
Un jeu mortel évidemment où les histoires et les rancœurs du passé vont remonter peu à peu à la surface : qui était exactement le passager du bac, qui est réellement Beam, quelles sont les relations troubles et complexes entre Loat, Clem et Derna, qui est Daryl le manchot excité, qui est le mystérieux camionneur en costume, ...
Il y a beaucoup trop de chats et de souris dans le jeu.
[...] Beam savait que seules les zones d’ombre étaient passées sous silence. Les bons moments et les jours heureux étaient racontés si souvent que les histoires en devenaient rabâchées et inutiles. Mais les mauvais moments demeuraient non-dits, comme si leur simple évocation risquait de faire remonter les vieilles afflictions à la surface.
[...] Une fois qu’une chose meurt, elle commence à pourrir. Et c’est quoi la pourriture sinon une sorte de fantôme ? Tu crois pas que le sang reste là où il coule ? Tu crois que tous les malheurs qui viennent frapper certains endroits reculés s’évanouissent quand l’histoire est finie ?
L'écriture est riche et soignée. Plusieurs scènes sont de véritables bijoux, taillés et ciselés avec le plus grand soin. On vous en livre une [ici] en intégralité : un sans faute, à savourer sans retenue même si ces quelques lignes livrent une ou deux clés de l'intrigue (mais sans dévoiler la suite ni gâcher le plaisir de la lecture du roman).
Il y a beaucoup de références mystiques dans cette histoire (le Styx, le diable, la faute, Abel et Caïn, ...) mais sans exagération ni ostentation (on est un peu allergique et on n'aurait pas supporté). Non, c'est plutôt comme un poids qui vient écraser un peu plus les destins de ces personnages que la 'chute' a précipités au fin fond de ce Kentucky bien loin de l'Eden.
Donc tout comme pour les Maraudeurs, nous voici encore à deux doigts du coup de cœur .... (l'écriture mériterait un petit dégraissage pour atteindre à la perfection).
Et toujours comme pour les Maraudeurs, il ne s'agit 'que' d'un premier roman : indubitablement voici deux bouquins à lire et deux auteurs à suivre.

Pour celles et ceux qui aiment les cimetières.
D’autres avis sur Babelio et sur Bibliosurf.

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