mercredi 21 septembre 2016

86, année blanche (Lucile Bordes)

[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste.

2016 sera radioactive, la faute aux anniversaires : celui des 5 ans de Fukushima qui nous a valu un très intéressant manga [1] et celui des 30 ans de Tchernobyl qui incite Lucile Bordes à revivre ici l'été de ses quinze ans.
Avec ce 86, année blanche, l'auteure nous invite à partager l'été 1986 de trois femmes : elle-même, jeune ado d'une famille communiste dans le sud de la France, et l'été de deux femmes russes nées du mauvais côté du fameux nuage.
Tandis que sa famille est traumatisée par la fermeture des chantiers navals de la NORMED de La Ciotat et La Seyne/mer, la jeune Lucile n'a d'yeux et d'oreilles que pour la télé qui annonce timidement la fin du monde quelque part dans l'est.
[...] Est-ce que ça pouvait être la fin du monde à un endroit et pas à un autre ?  
Aucune polémique dans ce bouquin qui se contente (et c'est son charme et c'est sa force) de décrire par le menu les doutes de ces trois femmes, toutes trois baignées dans l'idéal communiste (revisité avec tendresse et bienveillance), toutes trois désemparées par ce qui leur arrive (ce qui arrive au monde).
[...] On ne se doutait pas. On ne doutait de rien.
[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste. 
Les pages les plus fortes résonnent comme un écho au manga de Kazuto Tatsuta et décrivent comment les hommes, les liquidateurs, furent envoyés à la guerre contre l'atome.
[...] Je n’ai imaginé à aucun moment que c’était la guerre. Que certains donnaient leur vie.
[...] Les dosimètres claquent si fort que les machines ne tiennent pas le coup. Les robots (les robots allemands même) tombent en panne et se jettent dans le vide. Seuls l’homme, et la pelle, et la main, quand la pelle n’est pas commode.
[...] Très vite, aucun homme de sa section ne s’embarrasserait plus des appareils de mesure, bridés une fois pour toutes à une dose forfaitaire, ils arrêteraient de compter, ils en seraient là, ils ne compteraient plus, au sens propre. 
Certains les compteront tout de même et parleront de plus de 500.000 liquidateurs.
Le plus intrigant, le plus inquiétant, n'est pas tant le combat mené par cette 'chair à centrale' envoyée nettoyer la 'zone' mais bien la vie qui continue pour les épouses et les enfants restés en arrière.
Le dévouement de l'épouse qui accompagne les derniers jours de son mari gravement irradié reste imprimé pour longtemps dans la mémoire du lecteur.
Trois voix de femmes, très attachantes, qui ne vivent pas directement au cœur de l'événement mais qui, en quelque sorte, le regarde et le commente : c'est bien pire et tout cela préfigure ce que notre siècle est en train de devenir, où la vie ordinaire s’accommode tant bien que mal de la radioactivité grandissante. Et où la cueillette des champignons est interdite.
Dans un silence assourdissant.
Un petit livre rouge indispensable.

Pour celles et ceux qui aiment les communistes.
Bientôt d’autres avis sur Babelio.

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