dimanche 4 avril 2021

La soustraction des possibles (Joseph Incardona)

[...] Parce que ça ne suffit jamais.

Joseph Incardona est un petit suisse de papa sicilien !
Autant dire que les histoires d'argent plus ou moins sale, blanchi dans d'obscures lessiveuses confédérées, on a dû lui en raconter quand il était petit !
En dépit de son titre ronflant à la mode (opération marketing), La soustraction des possibles est une sorte de thriller avec, comme le dit l'auteur lui-même : du sexe (pas mal), du fric (très beaucoup) et même de l'amour (un peu quand même).
[...] J'ai décidé que ma seule patrie, le seul drapeau auquel faire allégeance est le pognon. Et quand il y a le pognon, on est tous copains, on n'est pas raciste ni rien. Il n'y a jamais de problèmes dans les hôtels cinq étoiles, jamais. T'as remarqué?
La prose d'Incardona est également surprenante : l'auteur est bavard et n'hésite pas à s'adresser directement à ses personnages et même à son lecteur, et il ira jusqu'à se mettre en scène lui-même !
Mais on s'y habitue et cette écriture nerveuse finit par donner un bon rythme au récit.
Un bouquin récent (2020) qui nous invite à un petit retour en arrière vers 1990 : internet n'existe pas encore, les banques ne sont pas encore sous surveillance, le rideau de fer se fissure de toutes parts et ouvre le champ Est des possibles. La belle époque, quoi.
[...] Son gin-tonic arrive, il allume une cigarette.
En 1990, c’est encore faisable.
Le problème avec la vie qui avance, c’est qu’elle soustrait les possibles. Justement.
[...] Vous avez de l'argent à recycler ? J'ai besoin de liquidités. C'est une question de complémentarité et nous sommes là pour la favoriser, la fluidifier. Nous sommes, en quelque sorte, des "facilitateurs".
La Suisse est connue pour son chocolat (chocolat amer ici) mais surtout pour son niveau de vie : on a donc droit à une gravure au vinaigre des mœurs bourgeoises et corrompues de ses compatriotes calvinistes, peinture qui frise parfois le règlement de comptes un peu facile.
Mais certains rappels sont franchement salutaires : comme l'insalubrité de la prison Saint-Paul à Lyon, le parcours d'UBS ou encore le percement du Saint-Gothard (près de 200 morts et une grève réprimée dans le sang).
Visiblement Incardona a pris le parti de la Suisse d'en-bas, ce que l'on comprend mieux au détour d'une interview [Libé] quand il évoque son enfance :
[...] Souvenirs d'enfance. Mes parents ont travaillé comme domestiques dans de riches familles genevoises. Mon père était chauffeur et ma mère cuisinière.
Il faudra attendre les dernières pages pour que la mécanique infernale d'Incardona s'enclenche, mettant en mouvement les grands méchants, les petits gentils, les banquiers, les truands (ne pas confondre) et les valises d'argent sale.
Une fin qui nous laisse quand même un peu sur notre faim, même si l'on a été curieux de découvrir cette plume suisse.

Pour celles et ceux qui aiment l'évasion (fiscale).
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