lundi 24 juillet 2023

À prendre ou à laisser (Lionel Shriver)

[...] Le syndrome de midi moins cinq.

    L'auteure, le livre (269 pages, 2023, 2021 en VO) :

Lionel Shriver, une américaine installée à Londres, est une habituée des provocations, elle qui a commencé par changer de prénom à l'âge de quinze ans !
Ses bouquins sont réputés pour l'humour caustique avec lequel elle dépeint notre société et nos comportements : une fine observation des mœurs de ses contemporains, au ton mordant et au regard incisif.

      Le contexte :

Avec son dernier roman, À prendre ou à laisser (On part ou on reste ? en VO), elle s'attaque à un sujet très à la mode, un sujet qui nous a interpellé : comment quitter dignement ce monde avant l'âge fatidique où la déchéance de notre corps et de notre esprit nous transforme en fardeau pour nous-mêmes, nos proches et la société ?
C'est la question à laquelle vont tenter de répondre Cyril et Kay, un couple de britanniques.

    On aime un peu :

❤️ On aime l'humour acide et sans concession de l'auteure avec lequel elle questionne un sujet grave (elle n'hésite pas à se brocarder elle-même au détour d'une page !).
❤️ On aime la tendresse de ce couple, leur regard ironique sur eux-mêmes, leurs enfants, leurs vies, leur pays.
[...] Il n’arrivait pas à se décider, avait-elle l’air étonnement jeune pour son âge ou ne la voyait-il plus telle que les autres la voyaient ?
Elle, fut une infirmière se rêvant plutôt décoratrice d'intérieur, lui fut un toubib, résolument engagé dans la grande aventure socialiste du NHS, le système de santé d'état britannique que l'on critique tant de ce côté-ci du Channel mais que d'autres ont décrit comme la chose la plus proche d'une religion pour les anglais (Nigel Lawson député tory en 2000).
❤️ On aime l'immersion dans le quotidien ordinaire des britanniques, un quotidien pas si éloigné du nôtre (au NHS près !), finalement pas si différent qu'on veut parfois le croire, même pendant la pandémie.
[...] Ce confinement absurde et profondément contraire au caractère anglais était une période où régnaient recours à outrance à la police, obéissance aveugle, délation et critique permanente.
[...] L’impréparation, l’alarmisme irresponsable des épidémiologistes et l’hystérie disproportionnée du public en partie à l’origine de la débâcle du coronavirus.

      L'intrigue :

Cyril et Kay sont de cette génération (la nôtre) qui est aujourd'hui la première à devoir prendre en charge des parents très âgés, trop âgés lorsque survient la déchéance du corps et de l'esprit, des parents qui n'ont aucunement anticipé leur dernière étape dans la vie.
[...] Une des libérations qu’apportait l’âge était une indifférence aux raisons pour lesquelles tel ou tel mécanisme du corps se mettait à dérailler. Car si l’un ne se détraquait pas, alors c’était au tour d’un autre.
[...] J’ignore ce qui se passe après la mort, mais il est hautement probable qu’il ne se passe rien. L’unique avantage de la mort, c’est qu’elle signe l’arrêt des souffrances.
Soucieux de ne pas infliger cela à leurs propres enfants, ni à eux-mêmes ou à la société, à cinquante ans, Cyril et Kay ont conclu un pacte : lors de leur quatre-vingtième anniversaire, ils se suicideront ensemble pour quitter ce monde dignement, encore sains de corps et d'esprit, pour éviter [le syndrome de midi moins cinq].
[...] — Prenez garde au syndrome de midi moins cinq », tu te rappelles ? Tout le monde fait la même erreur, on ne se rend pas compte que midi moins cinq, c’est midi.
[...] — Tu peux oublier l’idée que des milliers, sinon des millions de tes collègues socialistes utopistes suivraient ton exemple héroïque à quatre-vingts ans et que le sacrifice de masse des vieux pourrait devenir le salut du NHS. Tu crois que je ne sais pas quel genre de fantasmes grandiloquents te passe par la tête ?
[...] — C’est la meilleure façon de tirer sa révérence, martela-t-il. À nos conditions, chez nous, quand nous sommes encore sains d’esprit et capables de nous reconnaître mutuellement, de nous embrasser pour nous dire au revoir. Avant que nous tombions dans la déchéance et l’humiliation.
Depuis cette décision, le temps a filé, il est midi moins une et les voici à la veille de l'échéance. Nous sommes en plein Brexit, l'Empire Britannique tremble sur ses fondations immémoriales et à l'heure même où l'île quitte le continent européen, survient cette pandémie qui fit paniquer et confiner le monde entier. Avouez qu'il y a quand même là de quoi faire vaciller la plus ferme des résolutions ...
[...] Il s’était servi de la diversion du Brexit pour éviter de penser à leur propre sortie – Cyrexit et Kayexit, en quelque sorte.
[...] Éviter une infection mortelle pour être en état de se suicider était pour le moins incohérent.
On pouvait craindre la leçon de vie à la morale pontifiante ...
Mais c'était sans compter sur l'imagination littéraire de dame Shriver !
Sans se départir de sa tendresse pour ce tendre couple vieillissant, l'auteure va imaginer toutes sortes d'issues pour sortir de l'impasse dans laquelle elle s'est engagée avec ses personnages.
Dès lors, il en va de la seconde partie du livre comme de tous les recueils de "nouvelles" : il y a des hauts, il y a des bas. On feuillette rapidement certains scénarios qui tombent dans l'exercice de style un peu trop répétitif mais d'autres sont de véritables fables d'anticipation, de mini contes philosophiques comme celui sur le "Retrogeritox" ou celui sur les migrants.
En dépit de l'effet de répétition parfois un peu longuet, les meilleurs "scénarios" sont savoureux, amusants (avec même des running gags) et souvent très percutants. 
De quoi interpeller, sans trop se prendre au sérieux, tous celles et ceux qui sont en âge de se demander quelle serait [la meilleure façon de tirer sa révérence].

Pour celles et ceux qui aiment les pilules.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.

Aucun commentaire: