[...] L'enlèvement c'est un sport national.
Ian Manook met le cap vers le pays du matin calme pour une nouvelle série policière avec l'inspecteur Gangnam. La balade est aussi réjouissante que dépaysante. Coup de cœur pour ce divertissement aux personnages attachants, truffé d'humour et parcouru d'instants de grâce.
❤️❤️❤️❤️❤️L'auteur, le livre (448 pages, octobre 2025) :
On connait bien ici Ian Manook cet écrivain-voyageur, auteur de thrillers dits "ethniques", qui nous balade depuis une dizaine d'années vers diverses contrées exotiques, depuis la Mongolie de son Yeruldelgger jusqu'à son plus récent Krummavisur islandais.Ian Manook c'est l'un des multiples visages de Patrick Manoukian, journaliste au bonnet de Commandant Cousteau (il écrit également sous le pseudo de Roy Braverman pour des trucs plus américains).
Cette fois il nous emmène dans un voyage en Corée avec ce qui pourrait bien être une nouvelle série, celle des enquêtes de l'inspecteur Gangnam.
Gangnam c'est un quartier chic de Séoul, devenu célèbre grâce à la fameuse chanson Gangnam Style, « succès planétaire du rappeur Psy ».
Le pitch et les personnages :
Manook s'y entend pour nous dessiner des personnages amusants, intéressants mais surtout très attachants.
Par ordre d'apparition à l'écran (car c'est du grand cinéma) :
- Verneuil, touriste français, un flic retraité qui écrit désormais des romans policiers, un joli prétexte pour truffer le récit de pointes d'humour d'écrivain. « Il a l'air sympa mais c'est un écrivain, ces types-là sont biscornus de la tête, surtout les auteurs de polar ».
- Mado : sa femme qui vient de se faire enlever par des voyous coréens car là-bas « l'enlèvement c'est presque un sport national » pour les mafieux avides d'une belle rançon.
- Lee Min-ho dit Gangnam : un flic en rupture de ban à l'histoire mouvementée, un « homme tranquille et fatigué », c'est lui qui va aider Verneuil à retrouver son épouse mais il est affligé du même patronyme que le très célèbre acteur Lee Min-ho d'où une belle série de running-gags de la part de ses compatriotes
- Chin-sun : une jeune fliquette surdouée aux allures d'Hello Kitty qui va être chargée de l'enquête officielle.
Heureusement pour Verneuil et le lecteur, Gangnam parle français :
« - J'ai été marié à une française, Gabrielle. Elle était de La Rochelle. J'ai appris avec elle. Pendant cinq ans. Cinq ans, trois mois et quatre jours, pour être précis. Elle est partie il y a deux ans avec un Chinois. Et de Taïwan en plus ! Vous croyez ça, vous ? »
Quant à Chin-sun, elle arrive toujours « fringuée façon manga ».
« - C'est vraiment elle qui va s'occuper de nous ?
Verneuil lui donne dix-huit ans. Cheveux courts à la garçonne, une frange en travers du front, jeans moulants et baskets blanches, rubans porte-bonheur à un poignet, montre Samsung Galaxy connectée à l'autre, Park Chin-sun est une gamine. La plus jeune recrue du commissariat à n'en pas douter. Une stagiaire peut-être bien.[...] Difficile de croire , dans son sweat-shirt fluo floqué d'une tête de dinosaure orange et joufflu, débarquant d'une Fiat 500 jaune poussin, qu'elle est l'inspectrice chargée d'enquête de la police de Séoul ».
C'est en compagnie de cet équipage improbable, « un ex-flic ripou et une fliquette déguisée en cosplay », que nous allons essayer de sauver Mado de la pègre coréenne.
♥ On aime vraiment beaucoup :
➔ Manook n'est bien sûr pas plus coréen que vous ou moi mais il s'y entend pour nous composer une ambiance vraiment dépaysante, certes pleine de cartes postales et de clichés stéréotypés, mais tout cela est aussi très étayé et soigneusement documenté.
Même ses mafieux, ses dragons de papier, sont un hommage aux films coréens hyper-violents que l'on apprécie tant !
On apprendra donc plein de choses sur Séoul et la socio-culture coréenne.
De la météo à l'urbanisation, avec passage obligé par le rayon cuisine, le lecteur va découvrir la Corée du Sud sans quitter le confort de son chez soi.
Un pays où l'on peut s'organiser de fausses funérailles dans un vrai cercueil, histoire de mieux apprécier la vie ensuite (à essayer sûrement ?) ou même se condamner soi-même à être enfermé dans une fausse prison pendant quelques jours pour se recentrer et se retrouver.
Et puis cette manie de s'asperger d'eau dans les salles de bain : « cette façon de s'envoyer des brassées d'eau au visage et sur le torse, depuis les robinet ouvert en grand ». « Ce pays, expliquait alors Gangnam, a reçu son bonheur de l'eau et des montagnes ».
Et l'auteur n'oublie pas de nous rappeler que ce pays coupé en deux a connu des matins pas si calmes pendant la dictature des années 60-70.
➔ L'intrigue va également nous immerger dans l'univers de cette fameuse K-Pop (Korean pop), un mastodonte de l'industrie du spectacle qui génère ou blanchit des milliards et qui a submergé les palmarès mondiaux, tout comme les voitures ou les machines à laver coréennes ont conquis nos foyers.
Fort heureusement on n'est pas obligé d'actualiser sa play-liste mais il faut découvrir ce milieu étonnant.
➔ La prose de Manook est toujours un délice : c'est fluide, divertissant, plaisant, truffé d'un humour subtil, et cette exploration du Pays des matins pas si calmes est un véritable festival et, thriller coréen oblige, les services du procureur vont tout de même dénombrer près de trois cent victimes avant la dernière page.
« Comment tout cela est-il possible ? Comment un tel enchaînement a-t-il pu conduire à un tel drame ? »
Si côté polar on savoure avec grand plaisir cet agréable et dépaysant divertissement, le coup de cœur va venir de notre attachement aux personnages soigneusement dessinés (on n'a pas tout dit sur le passé de Chin-sun ou celui de Gangnam) et surtout des surprenants moments de poésie, véritables instants de grâce, que l'auteur arrive à glisser dans son intrigue trépidante.
Comme cette interrogatoire en traduction simultanée sur les paroles de Mistral Gagnant, la chanson de Renaud (savoureux !).
Ou encore les instants passés sur l'île de Jeju en compagnie des haenyo, ces plongeuses en apnée d'une coopérative matriarcale de pêcheuses de fruits de mer. Ces coréennes sont l'équivalent des ama japonaises que l'on avait découvert récemment avec le photographe Uraguchi Kusukazu.
Le livre refermé, on se rend compte qu'un peu de nous est resté en Corée : de quoi nous donner l'envie d'aller faire un tour à Séoul en attendant la suite des aventures de Gangnam ...
Pour celles et ceux qui aiment le pays du matin calme.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Flammarion (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.
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