[...] Ici, l’absence de l’homme a été trop longue.
Le français Mikaël Hirsch nous emmène dans la chapelle de Notre Dame des Vents sur l'une des îles désolées des Kerguelen en plein océan austral, là où rugissent les vents qui tournent tout autour de la terre, des vents qu'aucune montagne n'arrête jamais.
[...] Notre-Dame des Vents, l’une des chapelles les plus australes du monde, lui confia le disker qui marchait à côté d’elle et observait ses réactions. Les orthodoxes et les baptistes ont colonisé le Pôle, mais, à ma connaissance, le catholicisme austral ne descend pas plus bas.
Nous voici donc embarqués sur le Marion Dufresne, le bateau ravitailleur, avec notre héroïne, une chercheuse venue étudier l'impact du réchauffement climatique sur la flore locale.
On est en 1995, au moment des derniers essais nucléaires français dans le Pacifique.
Jusque là, rien de bien original, si ce n'est le plaisir de découvrir et partager le quotidien des quelques 300 personnes perdues là-bas, dans les TAAF, les Terres Australes et Antarctiques Françaises : quelques militaires, quelques chercheurs, qui s'incrustent là-bas parmi les centaines de milliers de morses, de manchots, d'oiseaux, ...
[...] Cet archipel a une influence sur les gens. On se laisse facilement surprendre au début. On m’avait prévenu. Les dimensions, les accidents, les cahots, les animaux sont à une autre échelle. Il est difficile de trouver ses marques au début.[...] Ici, l’absence de l’homme a été trop longue. Il est inutile de vouloir domestiquer l’endroit. La sauvagerie y est enracinée.
Une ambiance mi réaliste, mi inquiétante, qui rappelle beaucoup celle des Farallon Islands de l'américaine Abby Geni : un séjour rude sur l'un des îlots les plus inhospitaliers de la planète, isolé de tout, en butte aux éléments déchainés, un huis-clos à ciel ouvert battu par les vents, l'exil initiatique d'une jeune femme qui va rencontrer là-bas un autre chercheur, Alexis.
Tout cela sur un fond politique agité : les grèves contre le Plan Juppé, les essais nucléaires français, Greenpeace, ....
[...] Officiellement, ils croisent dans ces eaux pour recenser les populations de sternes, les phoques ou je ne sais quoi, mais en réalité, ils cherchent à contrôler les activités de la France dans la région, rapport aux essais…
— Aux essais ?
— Mais les essais nucléaires, voyons. Le prochain test a lieu dans deux jours seulement. Le Rainbow Warrior II est déjà sur zone, à Moruroa…
— Je ne comprends rien, quel rapport avec les Kerguelen ?
[...] Ils sont manipulés. Les Australiens et les Anglais ont toujours convoité ces îles pour pouvoir bénéficier des zones de pêche.
De retour à Paris, quelques mois après sa mission australe, la jeune femme apprend le décès d'Alexis qui était toujours là-bas ...
Dans la deuxième partie du bouquin, nous faisons plus ample connaissance avec cet Alexis, qui a trouvé dans un vieux cahier le journal de bord d'un chercheur : le lecteur va suivre alors en 1975, les préparatifs du lancement de fusées sondes pour une expérience dans la magnétosphère (la création d'une aurore boréale artificielle) en commun avec les russes et les américains (on est au temps de Giscard et du réchauffement, non pas encore celui du climat mais celui de la guerre froide) : c'était le programme ARAKS.
Des travaux scientifiques sous la haute surveillance des trois puissances, car visiblement on touche aux limites du secret défense ...
[...] On ne badine pas avec la sécurité nationale, même sur un caillou peuplé de manchots.[...] — Les Russes ne savent rien encore, mais croient savoir quelque chose. Les Américains ne savent vraiment rien, mais veulent savoir ce que savent les Russes.— Et nous ?— Nous, on a malheureusement besoin de tous les autres pour en savoir plus. La France est une petite puissance qui mène un jeu dangereux.
À partir de cette toile réaliste (le programme ARAKS a bel et bien eu lieu), Mikaël Hirsch imagine alors des connexions plus mystérieuses qui justifieraient la paranoïa franco-russe et auraient peut-être coûté la vie à notre chercheur Alexis : l'expérience géomagnétique de 1975 cachait-elle quelque secret ? en lien avec les explosions nucléaires souterraines de 1995 ? va-t-on enfin découvrir les fameux trous de Symmes ? Notre curiosité est en éveil !
L'écriture solide et agréable de Mikaël Hirsch fait de ce bouquin au sujet original, un intéressant (et instructif) divertissement, une sorte de Science et Vie littéraire.
Un voyage à compléter par la BD-reportage d'Emmanuel Lepage : Voyage aux îles de la Désolation.
Pour celles et ceux qui aiment les îles désertes.
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