vendredi 23 mai 2014

L’année des volcans (François-Guillaume Lorrain)

2 îles + 2 femmes  = 4 volcans

Amours sulfureuses et volcaniques.
Étonnant roman que cette Année des volcans de François-Guillaume Lorrain, un journaliste passionné de cinéma.
Certes le sujet et la 4° de couv' semblaient fort alléchants mais c'est d'abord l'écriture qui nous a accroché et motivé pour continuer : Lorrain possède une plume claire et fluide qui coule comme une gourmandise intelligente, parfaitement adaptée à cette multi-biographie où l'on retrouve un peu le style que l'on affectionne chez Échenoz ou Deville par exemple.
Un peu moins de souffle épique et romancé et plus de travail d'enquête journalistique, on est peut-être plus proche encore d'Emmanuel Carrère.
Une fois conquis par le style, il ne nous reste plus qu'à se laisser porter par une histoire de passion(s) passionnante : dans les années d'immédiate après-guerre, deux monstres sacrés du cinéma, la blonde suédoise Ingrid Bergman et la brune volcanique Anna Magnani, rivalisent autour de Roberto Rossellini, l'un des pères du néo-réalisme italien et sans doute du cinéma moderne(1).
Dieu des césars et des oscars, quelle affiche !
Rossellini va s'attirer les foudres du monde en général et de 'La Magnani' en particulier pour s'être amouraché de la suédoise qui, aux US, avait détrôné sa compatriote Greta Garbo.
[…] Son rire déclencha les flashes et elle commença à accorder à chacun son sourire angélique. Les photographes échangèrent bientôt des regards admiratifs. Cela les changeait des vamps et de leurs œillades. Cette femme ne se contentait pas de fixer l'objectif, elle leur offrait son âme. Elle leur apportait aussi l'Amérique et son aura, avec une telle gentillesse qu'ils succombèrent à leur tour à son charme. Le cinéaste le devinait. La magie opèrerait. Il s'effaça derrière la magicienne.
La rivalité est si forte, le triangle amoureux si obsédant, le chassé-croisé si prenant, qu'en 1950, ce sont deux films qui sont tournés dans les îles éoliennes et la réalité dépasse alors la fiction : Rossellini met en scène Stromboli, terre de Dieu avec sa nouvelle conquête Ingrid Bergman. Tandis qu'à quelques encablures, Anna Magnani obtient d'un obscur faiseur allemand(2) le rôle principal dans Vulcano !
Deux îles, deux femmes, quatre volcans.
Ce pourrait être un scénario hollywoodien ou même un roman harlequin : mais non, c'est bien la vraie vie, même si c'est une vie hors du commun comme seul le show-biz sait nous en donner et nous en faire rêver ! La folle vie de ces gens-là dans les années d'après-guerre, dans une Italie (et peut-être un monde) à reconstruire.
[...] "Voilà à quoi je ne me résigne pas, ne pas vivre". Ces mots feraient l'effet d'une bombe sur leur maison, elle le savait, mais pour s'en aller, il fallait parfois tout détruire. 
Une histoire en or pour un passionné de cinéma comme François-Guillaume Lorrain qui nous donne un récit savoureux, plein de fougue et de passion(s).
Avec deux grandes et belles femmes  du siècle (bon, du siècle dernier doit-on dire désormais)  : une jeune et f(o)ugueuse Ingrid Bergman qui n'est pas encore celle dont on se souviendra plus tard devant la caméra de son homonyme et compatriote, et une brune et sauvage italienne dont la carrière s'est éteinte avant de pouvoir nous toucher (zut pas assez vieux, loupée La Magnani !) mais que célébra Youri Gagarine depuis son Soyouz dans les étoiles :
"Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts, et Anna Magnani."
… rien de moins !
Sans vouloir retirer quoi que ce soit à nos deux belles stars féminines, le personnage de Roberto Rossellini, déjà aux allures de Berlusconi d'aujourd'hui, n'est pas le moins surprenant des trois : un rebelle fantasque, un escroc insaisissable, un artiste controversé, un amoureux impénitent, ... on ne sait trop s'il s'est vraiment compromis ces dernières années avec le pouvoir fasciste, on ne sait trop ce que vaut vraiment sa façon de filmer sans script ni scénario (sic !), on ne sait trop s'il a vraiment le pouvoir de créer les stars ou s'il s'en nourrit lui-même, ... Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas volé sa place sur l'affiche de ce film ce bouquin !
À vouloir vivre à toute allure, rattraper le temps perdu pendant les années noires, brûler la vie par les deux bouts, nos papillons affolants vont se cramer les ailes aux feux des projecteurs et aux laves des volcans.
(1) - François Truffaut et surtout Federico Fellini grandiront dans ses pas
(2) - allez, nommons tout de même cet inconnu qui rivalisa avec Rossellini et qui filma La Magnani : William Dieterle ! À ressortir dans un prochain quizz ciné avec Véro !


Pour celles et ceux qui aiment les femmes, le cinéma et les livres, bref pour nous tous !
D'autres avis sur Babelio. Delphine en parle.



2 commentaires:

Kathel a dit…

Oh, un livre que je n'avais jamais repéré et qui semble avoir tout pour me plaire ! L'évocation de Echenoz et Carrère en ajoute une couche... ;-)

BMR a dit…

BMR @ Kathel : je crois que c'est à Delphine que je dois cette découverte, hors des sentiers battus de la blogoboule.

http://delphine-olympe.blogspot.fr/2014/01/lannee-des-volcans-francois-guillaume.html